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Le roman commence avec les sensations d’une femme naviguant entre la félicité et le chagrin, entre la sérénité et le trouble : « Que voyait-elle ? C’était bien elle qu’elle regardait ! Elle fit un voyage hors du temps et hors de son corps. Oui, elle revécut toute sa vie à l’envers… La blancheur éblouissante et impressionnante du faisceau lui rappelait combien sa vie était noire, crasseuse, sordide et immonde ». Nabila voit défiler toute son existence sous les yeux. Elle a l’impression de vivre dans une « nuit noire et monstrueuse ». Issue d’une famille modeste, Nabila doit apprendre à se débrouiller seule pour rapporter de l’argent au sein du foyer. Sa sœur Karima, abandonnée par son mari, a bien saisi que les opportunités qui s’offrent à elle sont réduites. Un soir, alors que son père l’apostrophe au sujet de ses sorties nocturnes, elle lui répond : «Chère père, il me reste un seul atout pour nourrir ma fille, et c’est mon corps. Tu penses qu’il m’est facile de le vendre au plus offrant ? Tu dois savoir qu’il y a des personnes qui ont des vies et d’autres des destins. Mon destin à moi, c’est de satisfaire les autres. Tu as une autre alternative, père ? ». Nabil Ayouch ne dit pas autre chose dans Much Loved.
Nabila s’engagera dans cette voie. Ses cheveux blonds sont un atout symbolique sur le marché des désirs. Elle le sait. Elle comprend aussi que la vie sociale est affaire de paraître, de réputation, d’honneur. On tient tous des rôles, surtout lorsqu’on est une femme et que l’on se voit assigner des conduites de vie à respecter. Toutefois, on n’habite pas son rôle de la même façon. Lorsque Karima se marie, elle reconquiert une symbolique autre dans l’espace social : « Karima avait changé de comportement et essayait, par tous les moyens, de récupérer le respect des habitants de sa ville natale en faisant preuve de bonne conduite afin de prouver qu’elle était devenue une autre ». Tomber sur des maris qui puissent leur permettre de reconquérir leur respectabilité est la seule voie de salut pour les deux sœurs. L’institution familiale est une ressource importance dans la quête de reconnaissance. Les femmes qui ne s’y conforment pas sont vite stigmatisées. Nabila part pour Agadir vivre en collocation chez l’une de ses amies. C’est la seule façon d’en finir avec la mauvaise réputation qui lui colle à la peau.
Là-bas, elle rencontre Mehdi. Très vite, elle tombe amoureuse de lui et s’installe à son domicile : « Nabila était une maîtresse de maison incontestable. Elle était aux anges parce qu’elle se sentait, enfin, en sécurité grâce à un homme qui l’avait prise sous son aile et oublia même de penser à ses sœurs. Elle avait un domicile, une vie, et en goûtait tous les plaisirs avec une joie de propriétaire ». Toutefois, la rencontre avec l’hajja, la mère de Mehdi, se passe très mal. Celle-ci n’accepte pas de voir une femme en pyjama dans l’appartement de son fils alors que le couple n’est pas marié. Nabila sera perçue comme une fille de mauvaise vie et cette image sera indélébile aux yeux de la mère. Souad Mekkaoui analyse avec profondeur ces personnes traditionnalistes imbues de religiosité mais incapables de faire preuve d’humanisme à l’égard de leurs proches. Mehdi souffre beaucoup de cette situation. Il épouse quand même Nabila, tant son amour pour elle est fort. Il souffre néanmoins de voir son épouse être systématiquement rejetée par sa famille, y compris lorsqu’elle donne naissance à leur fils. A certains moments du livre, Souad Mekkaoui nous fait croire que le destin de Nabila pourrait basculer du bon côté et s’inscrire dans le bonheur. Toutefois, les apparences sont trompeuses. Ce n’est que pour mieux plonger les lectrices et les lecteurs dans un cauchemar de vie terrifiant, où l’inimaginable de l’horreur devient la plus poignante des réalités. Aux antipodes du film avec Romain Duris dont nous avons repris le titre en tête de notre chronique, où l’amour finit souvent par arranger les choses, Femmes au purgatoire s’interroge sur l’essence même de la vie : compte tenu des souffrances extrêmes susceptibles d’advenir à n’importe quel moment, la vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Est-ce qu’être né n’est finalement pas un gros inconvénient ? Est-ce que la solution résiderait dans le fait même de ne pas advenir et de rester un non-être dans le néant ? Proche de Cioran sur ce point mais aussi de Nietzsche lorsqu’elle décrit l’âme sanguinolente d’un être détruit par la culpabilité et la mauvaise conscience, Souad Mekkaoui fait sortir de l’ombre, à travers la littérature, ces destins brisés qui errent comme des fantômes dans nos environnements sociaux et sur lesquels le regard a du mal à se poser.
* Enseignant chercheur EGE Rabat, Cercle de littérature contemporaine