Dans les territoires palestiniens, le travail des ONG devient "presque impossible"


Libé
Mardi 18 Mars 2025

L'inquiétude monte chez les humanitaires présents dans les territoires palestiniens, qui craignent que leur travail ne devienne "presque impossible" après la mise en place de nouvelles réglementations par Israël.
 
Depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, "on dégringole sur une pente glissante, mais là, on est carrément en train de la dévaler, et les ONG prennent conscience que la situation est inacceptable", avance une cadre d'une organisation non gouvernementale internationale.

Elle a requis l'anonymat, comme les autres travailleurs humanitaires interrogés par l'AFP, par crainte de possibles répercussions sur leurs opérations en Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967, ou à Gaza, sous blocus israélien.

"La capacité à fournir de l'aide tout en respectant les principes humanitaires à Gaza, les restrictions d'accès en Cisjordanie (...) Tout mis bout à bout, ça donne l'impression d'assister à l'apocalypse, c'est comme avoir un extincteur face à une bombe nucléaire", dit-elle.
En cause: des projets israéliens contraignant drastiquement ces organisations, évoqués depuis des mois, voire des années, viennent d'être formalisés.

Selon des ONG, le Cogat (l'organe israélien chargé des affaires civiles dans les territoires palestiniens) a présenté fin février un plan de réorganisation de la distribution d'aide humanitaire aux Palestiniens.

D'après les organisations, les mesures visent à renforcer le contrôle israélien sur l'aide humanitaire, notamment en instituant des centres logistiques liés à l'armée, ou le contrôle de l'identité de toute la chaîne humanitaire, des employés aux bénéficiaires.
"Logistiquement, ce sera presque impossible", déplore une membre d'une ONG médicale qui se demande s'il faudra déclarer qui a pris quel médicament.

L'objectif affiché, et selon les ONG pour justifier le maintien de l'armée, est de lutter contre les pillages et le détournement de l'aide par les groupes armés.
Mais les ONG estiment que ces pillages sont désormais marginaux et que pour les éviter, il faut augmenter les livraisons, alors qu'Israël bloque l'entrée de l'aide humanitaire dans Gaza depuis le 2 mars.
 
"Le présupposé (du Cogat), c'était que le Hamas se reconstruit grâce à l'aide humanitaire", raconte un responsable d'une ONG européenne, "mais c'est faux, et ce n'est pas l'aide humanitaire qui va leur apporter des roquettes ou des missiles".
Israël veut "juste plus de contrôle sur ce territoire", résume-t-il.
Le Cogat n'a, d'après les ONG, pas précisé à partir de quand ces nouvelles règles entreraient en vigueur, et, sollicité par l'AFP, n'a pas répondu.

Une directive gouvernementale entrée en vigueur en mars définit également un nouveau cadre d'enregistrement en Israël des ONG s'occupant des Palestiniens.

Elle impose de partager de nombreuses données sur les employés, et se réserve la possibilité de rejeter les personnels dont Israël estime qu'ils sont liés à sa "délégitimation".
D'après les ONG, aucun permis de travail n'a été délivré pour leurs salariés étrangers depuis l'attaque sans précédent du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023, qui a déclenché la guerre à Gaza.

Au quotidien, les ONG opérant dans les territoires palestiniens disent être confrontées à de très nombreuses difficultés. Et au moins 387 d'entre eux ont été tués dans la bande de Gaza depuis le 7-Octobre, "certains dans l'exercice de leurs fonctions", a récemment estimé l'ONU.

"Au sein de la communauté humanitaire au sens large, il y a un débat pour savoir jusqu'où nous pouvons aller tout en restant fidèles à nos principes" d'indépendance et de non-discrimination des bénéficiaires, explique à l'AFP Philippe Lazzarini, patron l'agence onusienne dédiée aux réfugiés palestiniens (Unrwa) récemment interdite en Israël, ajoutant: "C'est un débat sain".

"Il faut faire front pour s'y opposer", affirme de son côté Amjad Shawa, directeur du réseau des ONG palestiniennes PNGO, estimant que le but des nouvelles mesures est de "soustraire (Israël) à toute responsabilité".
Avec plus de 30 ans d'expérience dans l'humanitaire, il juge que le secteur fait face à une "menace existentielle", rappelant qu'"il y a des vies en jeu".

"Une ligne rouge est franchie", abonde la responsable d'une ONG internationale.
Mais d'autres sont plus partagés. "Si on s'oppose, on sera taxé d'antisémitisme", assure un humanitaire du secteur médical, "et face aux besoins (des Palestiniens), les positions de principes ne tiennent pas".

D'autres encore soulignent que les détails d'application restent flous mais s'interrogent tout de même, comme le chef régional d'une ONG: "en pratique, avec ce cadre hyper restrictif, est-ce qu'on pourra continuer à travailler?"


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