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pensent avoir tout lu sur la littérature des années de plomb sont priés de revoir leur postulat.
Le livre de Mohamed Errahoui, « Mouroirs. Chronique d'une disparition forcée » est une thérapie, une catharsis, une immense leçon de survie. Un livre nécessaire, écrit sans fioritures, presque froidement. Probablement parce que la chronique d'une disparition forcée peut se faire l'économie de l'exercice de style et que la douloureuse description du mouroir peut se faire sans une orgie de superlatifs.
Depuis les années 1990, la littérature carcérale est venue contribuer au devoir de mémoire. Les ouvrages d'anciens détenus racontant la torture, les récits de victimes de disparition forcée revenus à la vie ont enrichi petit à petit une étrange collection. Celle qui met en mots l'arbitraire, témoigne de l'indicible, donne à lire pour ne jamais oublier. Des livres sortis au début grâce à de courageux éditeurs qui ne tournent pas la page avant que le récit des souffrances ne soit lu. Derb Moulay Chrif, L'Complexe, Tazmamert, Agdez… ces lieux de mémoire que beaucoup ne veulent pas voir « recyclés » et transformés en maisons de culture ou de jeunesse, sont désormais consignés dans des livres. Parce que les anciennes victimes ont trouvé suffisamment de force pour sonder jusqu'au plus profond de leur mémoire pour raconter, témoigner, dénoncer. Il fallait dire et écrire pour que le « plus jamais ça » ne soit pas un simple slogan et que les affres de la torture, de l'inhumain, l'arbitraire.
Mohamed Errahoui a attendu que la littérature de la détention et de la disparition ne soit plus, comment dire, une mode, une tendance très années 90 pour écrire. Connaissant le personnage, on ne saurait être surpris. Mohamed Errahoui, l'ancien disparu d'Agdez et Kelaat M'Gouna, revenu à la vie, n'aime pas la lumière. Cette aveuglante absence de lumière décrite par Tahar Benjelloun pour raconter les geôles secrètes a quelque part laissé des traces chez cet homme à l'allure fragile…
Mohamed Errahoui est le plus discret du groupe Bnouhachem, ses compagnons de galère du complexe de l'Agdal -ce commissariat secret par lequel transitaient -un passage qui pouvait durer des années, dans la plus grande des illégalités- de tout ceux qui allaient ensuite connaître un long voyage au bout de l'enfer, du bagne d'Agdez puis de celui de Kelaat M'Gouna. Au journal Almaghrib dirigé à l'époque par Mustapha Iznani, un activiste des droits humains, aujourd'hui membre du Conseil consultatif des droits de l'Homme, Mohamed Errahoui était d'une discrétion absolue et parlait à peine. Il était libre depuis peu et ne parlait jamais de sa disparition forcée qui a duré 9 longues années. Son bureau était au sous-sol, dans les locaux de l'imprimerie. L'enfer, son enfer, il le vivait encore dans la solitude, seul dans sa tête. Mohamed Errahoui s'occupait de la documentation, des archives et de la correction.
En paix avec lui-même
Imbattable pour trouver une photo, d'anciens articles, il écrivait aussi de temps en temps. Sans prétention. D'une incroyable courtoisie et le sourire toujours aux lèvres, il donnait l'impression d'être serein, en paix avec lui-même. Un soir, et pour la première fois de sa vie, il a accepté de se livrer. De tout me raconter, jusqu'au moindre détail mais avec une extraordinaire pudeur.
Pour la première fois, il acceptait de témoigner et nous l'avons fait en 2000, dans texte publié sur les colonnes du « Journal », de Boubker Jamaï. A connaître son histoire, ses souffrances, le miracle de sa sortie du bagne, vivant, j'avais, moi, du mal à admettre que Mohamed Errahoui soit réconcilié avec la société.
Longtemps, j'ai trimballé l'image d'un homme cassé, blasé. C'était mal connaître Errahoui, cet ancien révolutionnaire qui a rêvé de liberté et de démocratie pour son pays. Cet enfant de la montagne n'a jamais courbé l'échine. Ses rêves sont aujourd'hui intacts. Son combat pour la dignité humaine se poursuit encore et encore. Et j'ai plaisir à le croiser dans toutes les conférences au cœur de la défense des droits humains.
Mohamed Errahoui a choisi aujourd'hui de se livrer au plus grand nombre en publiant les carnets de sa disparition forcée. Ses co-disparus et amis l'accompagnent une fois encore dans cette aventure d'écriture. Abdenaceur Bnouhachem a signé la préface du livre et c'est Mohamed Nadrani qui en a conçu la couverture. Autant de bonnes raisons pour acquérir et lire sans modération les « mouroirs… » de Mohamed Errahoui.