-
Driss Lachguar reçoit les dirigeants des partis de Palestine, du Koweït et de Libye
-
La portée stratégique de la régionalisation avancée exige une implication accrue de tous les acteurs dans le processus de concertation et de dialogue constructif
-
La Chambre des représentants et le Haut Conseil d'Etat libyens s'accordent sur la phase préliminaire des échéances électorales
-
Crise libyenne : Nasser Bourita souligne la nécessité impérieuse de s'imprégner de l'"esprit de Skhirat"
-
Libération de quatre ressortissants français retenus à Ouagadougou depuis décembre 2023 suite à la médiation de SM le Roi
Le roman de Benjelloun traite directement de la corruption; celui de Binebine l'aborde de biais, tandis que le livre de Lakhal l'associe à la bureaucratie paralysante des pays du Maghreb.
Certes la corruption sévit sous tous les horizons. Mais dans les pays du Maghreb, elle a l'allure d'un fléau, bien que ses formes soient diverses.
Celle qui est la plus commune, la plus visible et finalement la plus banale, c'est la petite corruption. Elle est artisanale et sous-développée. C'est une corruption de vétille : elle permet de gagner du temps (activer une démarche) ou d'éviter un désagrément (par exemple une amende). Elle permet de contourner la loi, de débloquer un dossier, de faciliter un contact. C'est une sorte d'économie parallèle, discrète mais pas nécessairement souterraine. Certes elle comporte un coût, mais c'est une manière de s'adapter à la cherté de la vie, de compléter un salaire de misère : quand les familles sont nombreuses et les salaires symboliques - et l'Etat est le premier à le savoir- la débrouillardise humaine a des recours pour compenser les manques.
Cette forme de corruption est répandue : nombreux sont les citoyens qui sont régulièrement rançonnés par un policier trop zélé, un fonctionnaire véreux, un douanier dont le regard se détourne quand la main est pleine. Mais nous sommes complices de cette forme de corruption : si nous respectons la loi, nous donnons moins de prise aux corrompus.
L'autre forme de corruption est moins artisanale, plus sophistiquée et plus insidieuse. Elle se présente sous la forme de corruption de copinage. Le terme populaire c'est le piston. Un ami ou un parent, haut placé, capable de vous ouvrir des portes, de vous fournir un conseil voire une information confidentielle, de vous recommander, de vous favoriser lors d'un appel d'offre public. Tout se fait entre amis ou entre parents ou entre personnes de la même tribu, ville, région. Cette forme de corruption permet à quelqu'un de se soustraire à la loi ou de la contourner, de monnayer un service, d'éviter le piège fiscal ou d'échapper à un contrôle, etc.
Plus répandu qu'on ne veuille le faire croire, ce capitalisme de copains et de coquins est un comportement déviant en matière de gestion publique, il coûte très cher à l'Etat et fait douter l'opinion publique de la supposée vertu de transparence et de compétence du secteur privé.
Cette forme de corruption n'est pas propre aux pays du Maghreb ou même des autres pays en développement : loin s'en faut. Les pays développés en pâtissent également. Il suffit d'égrener les scandales qui secouent périodiquement les pays européens : comptes fictifs, détournement de grosses sommes, malversations, comptes numérotés dans les paradis fiscaux pour recevoir les dividendes des compromissions avec les milieux industriels, voire mafieux.
A la seule différence -mais elle est de taille- que la justice dans les pays démocratiques est toujours à l'affût. Et il n'est pas rare de voir des ministres démissionner, et d'anciens chefs d'Etat comparaître pour rendre compte d'actes avérés ou supposés de corruption. Malheureusement dans les pays du Maghreb (comme d'ailleurs dans les autres pays en développement), les mailles du filet de la justice ne retiennent que le petit poisson.
Certes nos juges sont toujours compétents et souvent intègres. Mais sont-ils suffisamment indépendants pour lancer une opération "mani pulite" (mains propres), et demander à certains fonctionnaires de rendre compte de leur enrichissement soudain?
Cette question et d'autres encore me taraudent depuis longtemps. Comment faire le procès à la corruption dans un pays? Comment lutter contre les corrompus sans impliquer les corrupteurs? Comment peut-on être honnête dans une société où le sens de l'éthique est si dévalorisé ? Sommes-nous de taille à nous battre contre ces machines froides et cyniques qui nous broient sans merci ?
Ce sont ces questions que pose Tahar Benjelloun dans son remarquable roman. J'ai relu le roman avec délectation. Il est dédié au grand écrivain indonésien, Pramoedya Ananta Toer, dont le roman intitulé "Corruption" et publié en 1954 avait fait sensation. De l'Indonésie au Maghreb, l'âme humaine quand elle est rongée par la même misère, cède parfois aux mêmes démons. La corruption en est le principal démon, que ce soit sous la forme de survie ou sous la forme de capitalisme du piston. Je persiste à croire que cette dernière est plus pernicieuse, car elle permet de se constituer une fortune par des pratiques déviantes permettant aux tricheurs de passer avant les plus méritants.
Le roman de Mahi Binebine est plus qu'un livre : c'est une peinture. C'est à se demander si Mahi est peintre-romancier ou romancier-peintre. Toujours est-il qu'il raconte merveilleusement la vie de Yachine, à Sidi Moumen, cité à la lisière de Casablanca, parmi ses frères, une mère qui se bat contre la misère et les mites et un père, ancien ouvrier, reclus dans son silence et ses prières.
Ce n'est donc pas un roman sur la corruption. Mais les allusions y sont nombreuses. Et quand il s'agit de dénoncer les corrompus, la plume de Mahi se transforme en une lame de rasoir : tranchante. Voici ce qu'il écrit d'un inspecteur véreux : "C'est une brute, une saleté échouée dans notre dépotoir qui maltraitait les gens et suçait leur sang. Ce fumier régnait en potentat sur la fourmilière de petits trafiquants et autres larrons qui survivaient à Sidi Moumen. Pas une camionnette de hachich ou de produits de contrebande ne franchissait la muraille sans qu'il prélevât sa dîme…"
La corruption : une économie parallèle? Un marché noir? Une forme de survie? Le ventre de l'illicite? Sans doute. Mais c'est surtout un manquement à l'éthique et une perversion de la dignité humaine. J'aime le mot arabe pour désigner la corruption –Rashwa- écrit Benjelloun : "C'est ce qui est miné de l'intérieur, rongé par les mites: on dit cela du bois qui est foutu et qui ne sert plus à rien, pas même à faire du feu".