Braconnage et tourisme : Le Mozambique veut rattraper son retard

Grâce à la barrière qui protège les villages depuis 2013, les conflits entre les hommes et les animaux ont été réduits de 70%


Jeudi 2 Août 2018

Braconnage et tourisme : Le Mozambique veut rattraper son retard
Dans le sud du Mozambique, la crête du barrage de Massingir ressemble à un pont tiré entre deux mondes. D'un côté le parc transfrontalier du Grand Limpopo et ses animaux protégés, de l'autre le quartier général de ceux qui les traquent.
Sur la rive sud du lac Massingir, la ville mozambicaine du même nom s'est taillé une réputation de capitale locale du braconnage. Une sorte de base arrière des syndicats du crime organisé, prêts à tout pour franchir la frontière entre le Mozambique et l'Afrique du Sud qui traverse le parc, pénétrer dans la célèbre réserve du parc Kruger sud-africain, et y tuer quelques rhinocéros.
Chaque année, plus d'un millier de spécimens sont abattus en Afrique du Sud pour leurs cornes, très prisées des adeptes de la médecine traditionnelle en Chine ou au Vietnam.
"Il y a d'un côté les forces de la conservation, et de l'autre des chefs de gang établis en ville, qui affichent leurs richesses, leurs belles maisons, leurs voitures de luxe. Nous savons très bien qui ils sont, même si c'est difficile à prouver légalement", explique Peter Leitner, de l'organisation Peace Parks Foundation, qui oeuvre en faveur de zones protégées transfrontalières.
Au coeur de Massingir, les deux restaurants plantés le long de la route principale de cette ville mozambicaine n'ont rien de la table pour touristes. Enfoncés dans leurs chaises en plastique, les quelques rares clients semblent s'y épier.
Un peu en retrait, des jeunes avouent à demi-mot s'être déjà rendus illégalement en Afrique du Sud. Mais c'était, jurent-ils, pour y chercher du travail... Ici, personne ne parle de braconnage, en tout cas pas ouvertement.
"Parfois on remarque que l'un de nos frères n'est pas là", confesse Mariama Alberio, une jeune professeure d'anglais qui réside dans un village proche de la réserve. "Parfois il est en prison. Ou il est tué dans le parc".
L'Afrique du Sud et le Mozambique, qui se partagent avec le Zimbabwe les 37.000 km² de la réserve du Grand Limpopo, ont récemment renforcé leur coopération contre le braconnage.
Conséquence, la frontière entre les deux pays est mieux surveillée et, assurent les autorités de Maputo, les intrusions de braconniers mozambicains sont moins fréquentes en zone sud-africaine.
"Il y a quelques années, on estimait que plus de 70% du braconnage dans le Kruger était le fait de personnes venant du Mozambique. Aujourd'hui, il y a de plus en plus d'infiltrations depuis l'Afrique du Sud", note Peter Leitner.
"Le parc transfrontalier du Grand Limpopo est (devenu) un élément important de stabilité régionale", se félicite Julien Darpoux, le directeur de l'Agence française de développement (AFD) à Maputo, un bailleur de fonds du parc.
Mais malgré des progrès évidents, les moyens déployés de part et d'autre de la frontière pour la conservation et la lutte contre le braconnage restent encore déséquilibrés.
Côté ouest, le célèbre parc Kruger, fondé dès 1926, est une attraction touristique sud-africaine jalousement protégée.
A l'est, celui du Limpopo était entièrement à reconstruire après la meurtrière guerre civile mozambicaine (1976-1992). Les animaux commencent à peine à y revenir et l'accueil des visiteurs n'y est encore que balbutiant.
Pour l'heure, les espoirs de développement touristique des autorités mozambicaines se heurtent à la présence de communautés implantées au coeur de la réserve.
"Le déplacement de ces populations est un enjeu majeur", explique Peter Leitner, "c'est la condition pour faire revenir les +Big Five+ (buffles, éléphants, lions, léopards, rhinocéros) et avoir un parc compétitif sur le plan touristique".
Trois villages ont déménagé depuis 2011. Cinq autres doivent suivre dans les prochains mois. Hommes et bétail sont relogés dans la zone tampon du parc, en échange de maisons en briques, de nouvelles infrastructures, d'un système d'irrigation et d'un pécule symbolique de 2.400 meticais mozambicains (environ 34 euros).
"Les populations sont autorisées à utiliser les ressources du parc dans les limites de la zone tampon, de manière durable et en collaboration avec les autorités", résume Thomàs Meque Chaùque, en charge des relations avec les communautés.
L'opération est déjà un succès, selon lui. Grâce à la barrière qui protège les villages depuis 2013, "les conflits entre les hommes et les animaux ont été réduits de 70%", dit-il.
Les populations locales profitent aussi de l'essor touristique du parc du Limpopo, en recevant chaque année environ 20% des bénéfices engrangés par la réserve.
Le changement ne s'opère toutefois pas sans frictions. Les habitants de Mavodze, le plus gros village de la réserve, doivent être bientôt déplacés et manifestent régulièrement leur mauvaise humeur en coupant la piste qui traverse le parc.
Ils accusent ses responsables de réintroduire des lions pour les forcer à accepter des relogements dans des conditions, selon eux, nettement moins avantageuses.
Les autorités, elles, soupçonnent les réseaux de braconniers d'attiser discrètement cette résistance. Mais affirment que leur détermination est en train de payer.
Tout près de la frontière sud-africaine, en pleine savane, les "rangers" mozambicains ont élu domicile dans l'ancienne école de Massingir Velho, un village déplacé en 2016. Ils assurent que les animaux sauvages reviennent roder aux alentours.
Mariama Alberio s'en réjouit, avec l'espoir que ce changement contribue à l'éducation des populations.
"En tant qu'enseignante", dit-elle, "j'aimerais un jour pouvoir emmener mes élèves dans un parc pour leur montrer comment les animaux vivent quand ils sont bien protégés".


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