Bill Cosby reste une idole déchue malgré l'absence de condamnation


Jeudi 22 Juin 2017

Pionnier des Noirs à la télévision, humoriste adulé, incarnation du père idéal, Bill Cosby fut tout cela avant de devenir un paria accusé par des dizaines de femmes. L'annulation de son procès samedi ne devrait néanmoins pas redorer son image.
Jusqu'à sa chute brutale et son inculpation fin 2015, il avait gagné sa place au panthéon de la télévision américaine pour avoir notamment contribué à y faire tomber les barrières raciales.
Il fut ainsi le premier acteur noir à tenir un rôle principal dans une série à succès, "I Spy", et à décrocher un Emmy Award du meilleur premier rôle dramatique, en 1966, en plein mouvement des droits civiques.
Mais plus encore qu'à la télévision, c'est dans les salles de spectacle que Bill Cosby a commencé à imprimer sa marque sur la culture américaine.
Ses "one man shows" ont marqué plusieurs générations d'humoristes, Jerry Seinfeld en tête, par sa capacité à emmener son auditoire dans son univers, tout en utilisant un langage dépourvu de toute vulgarité.
Lors de son procès, c'est un vieil homme fatigué, de près de 80 ans, qui s'est présenté chaque jour à l'audience avec une canne, se disant aujourd'hui aveugle.
Une vision qui tranchait avec celle de l'homme élancé, au charisme naturel et à la voix rocailleuse, qui pouvait faire rire un public sur un simple haussement de sourcils.
Passé par le cinéma, ("Uptown Saturday Night" avec Sidney Poitier en 1974, "Bob et Carole et Ted et Alice", ...), c'est de retour sur le petit écran qu'il a connu la consécration, avec le "Cosby Show" (1984-1992).
Cette série sur une famille bourgeoise, unie autour de la figure patriarcale de Cliff Huxtable, est devenue l'un des plus grands succès de l'histoire de la télévision, bien au-delà des Etats-Unis.
Créateur de la série, acteur principal, Bill Cosby y excellait dans la peau de ce gynécologue respecté, mêlant sérieux et légèreté, avec un humour très physique hérité du "stand-up".
"Nous n'aurions probablement pas" eu Barack Obama à la Maison Blanche "s'il n'y avait pas eu le +Cosby Show+", estimait en 2013 la présentatrice noire Oprah Winfrey. "Parce que le +Cosby Show+ a fait découvrir à l'Amérique une manière de voir les Noirs et la culture noire qu'ils ne connaissaient pas".
Avec son image de père idéal qui, hors écran, faisait l'apologie des valeurs familiales et enjoignait les jeunes Noirs à rester scolarisés, Bill Cosby avait atteint un statut de modèle dans la communauté afro-américaine.
Sa chute n'en a été que plus traumatique et beaucoup de ses admirateurs se sont sentis trahis.
Avant d'être accusé par une soixantaine de femmes d'agressions sexuelles et parfois de viol, il incarnait une ascension sociale exemplaire.
Né en 1937 à Philadelphie (est), l'acteur a grandi entre une mère femme de chambre, un père cuisinier dans la marine, et trois frères, et s'est vite gagné une réputation de clown de la classe.
Après un passage dans la marine à la fin des années 1950, il a décroché en 1961, grâce à ses performances athlétiques, une bourse à l'Université Temple de Philadelphie, avant de débuter comme comédien sur les scènes de théâtres d'improvisation.
Longtemps administrateur d'honneur de Temple, il sera écarté en 2014 au moment où les accusations d'agressions sexuelles ont commencé à pleuvoir.
Il a perdu de nombreux autres titres honorifiques et presque tous ses soutiens médiatiques, comme la chanteuse Jill Scott ou la comédienne Whoopi Goldberg.
Durant son procès, la seule personnalité à avoir fait le déplacement pour le soutenir a été Keshia Knight-Pulliam, qui jouait sa fille Rudy dans le "Cosby Show".
Sa femme Camille, avec laquelle il a eu cinq enfants --dont l'un, Ennis, a été tué par balles en 1997-- continue de le défendre. Elle a fait une apparition lundi, au sixième jour du procès.
Sa carrière, aujourd'hui à l'arrêt, pourrait-elle reprendre avec l'annulation de son procès? "J'ai toujours le sentiment d'avoir beaucoup à offrir en termes d'écriture et de spectacle", assurait-il à la radio mi-mai, le ton enjoué, riant volontiers.
Il sait néanmoins que, même en l'absence de condamnation, et même si un second procès se profile déjà, son retour sous les projecteurs serait compliqué. "Le jury décide", a-t-il reconnu, "mais après, il y a toujours l'opinion publique".


Lu 902 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dans la même rubrique :
< >

Jeudi 19 Décembre 2024 - 14:28 Paul Watson. L'éco-pirate qui fait des vagues





services