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Mais la rhétorique, comme la poésie, est réalisée par l’être humain, lequel ayant des qualités et des défauts, ce qui explique la critique qu’elle subit continuellement.
Il s’agit de montrer ici, d’une part, comment les deux rhétoriques évoluent, leurs points de convergence et de divergence, et d’autre part, nous ferons part de la manière dont l’auteur traite de la confrontation des deux systèmes.
En vue de proposer une bonne argumentation, l’auteur recourt à un cadrage théorique inscrivant sa recherche dans une optique scientifique.
Certes, le chercheur reconnaît dès le départ qu’«il est très difficile d’identifier d’une manière exacte les débuts de la rhétorique», néanmoins, l’homme doit recourir depuis belle lurette à l’art oratoire dans la mesure où il a besoin de se défendre par exemple contre une injustice. La rhétorique s’impose donc par nécessité.
Mais pas que, car la rhétorique, qui ne se limite pas à l’engagement, s’impose comme une évidence: «Apprendre à bien parler, affirme Isocrate d’Athènes (436-338 av. J.-C.), c’est apprendre à bien vivre. ». C’est dire que la rhétorique est indispensable ; elle est une des qualités humaines.
La rhétorique occidentale a un triple objectif : toucher, plaire et persuader. On y avait souvent recourt pour se défendre en défendant sa cause. Elle répond à un projet à la fois social et politique.
Après Aristote qui pose les jalons de la rhétorique pour en faire une science (vers 384-322 avant J.-C.), Cicéron et Quintillien l’approfondiront.
Mais la rhétorique a eu un sort étrange ! Elle disparaît et réapparaît. Elle nous surprend à chaque fois de par ses capacités de ressuscitation au moment où on la croit définitivement morte !
Les premiers chrétiens et les théologiens médiévaux ont une attitude plutôt hostile envers la rhétorique. Cependant, il y a toujours eu des contributions capitales qui ont soutenu la rhétorique occidentale. Nous en citerons celles-ci :
- En 1728, Charles Rollin rédige son « Traité des études » en s’inspirant de Cicéron et de Quintilien.
- Au XVIIe siècle, les professeurs s’engagent à l’enseigner.
- Au siècle des Lumières, Crévier (1767) et Gibert (1749) ont publié des traités de rhétorique. Or, compte non tenu de ces efforts louables encourageant la rhétorique, en 1902, alors qu’on a cru qu’elle n’a plus d’adversaires, la rhétorique est exclue des programmes scolaires. Mais malgré toutes ces attaques, la rhétorique résiste toujours tant qu’il y a des voix qui se soulèvent pour la défendre. Il y a trois genres connus qui constituent la rhétorique occidentale : le démonstratif (l’éloge ou le blâme d’une personne déterminée), le délibératif (l’exposé d’une opinion politique) et le judiciaire (l’attaque ou la défense d’un accusé). S’ajoutent à ces genres cinq parties que sont: l’invention (trouver les raisons qui peuvent appuyer la cause); la disposition (mettre ces raisons en ordre) ; l’élocution (trouver les idées et les mots qui conviennent aux moyens fournis par l’invention); la mémoire (fixer, dans l’esprit, les idées et les mots trouvés) ; le débit (adapter la voix et le geste aux idées et aux expressions).
Quant à la rhétorique orientale, elle est née pour relever le défi consistant à l’imitation du Coran. Le Prophète défiait tous ceux qui se disaient grands rhéteurs d’imiter le Coran. Cette inimitabilité du Coran sera soutenue jusqu’au bout par le polémiste ašʿarite Al-Bāqillānī (m. 1013) qui affirme dans ʾIʿǧāz al-Qurʾān que le style du Coran est particulier. Le message divin dépasse celui de l’homme. Même les grands chefs-d’œuvre (la muʿallaqa d’ʾUmrʾu al-Qays) manquent d’une perfection totale. D’ailleurs, même le discours du Prophète, selon le polémiste, n’est pas à la hauteur de celui de Dieu, vu que le Prophète est un homme.
Plusieurs contributions ont été derrière l’épanouissement de la rhétorique arabe. Par exemple, des poètes comme Alfarazdak ou Ǧarīr l’ont soutenue, et ce à travers le fait de louer les mérites de leur tribu ou d’accabler celle de l’adversaire.
Nous ne devrions pas négliger non plus le rôle incontournable qu’ont dû jouer les Perses dans l’épanouissement de la rhétorique arabe. C’est le Persan Ibn al-Muqaffaʿ(724-759) qui transpose en arabe Kalila et Dimna ainsi que des fragments de la logique aristotélicienne. «C’est à ce lettré, rappelle l’auteur, dont le style se caractérise par la pureté et la précision, que l’on doit la première définition de la balāġa ».
En outre, un fait non négligeable est à prendre en considération, à savoir la médiatisation de la rhétorique arabe par d’éminents ministres lettrés, comme Ġaʿfar Al-Barmaki (m. 803), qui ont contribué à médiatiser le rôle de la rhétorique à laquelle ce dernier accorde le privilège de la clarté. Plus tard, Al- Ġaḥiẓ (780-868) s’en inspirera.
Mieux, la querelle des Anciens et des Modernes n’est pas sans apports positifs avec la rhétorique arabe dans la mesure où le débat autour de la rénovation de la poésie a fait que la rhétorique en tire profit. Le cas dʾAbūʾal ʿAtāhiya (748- 825) est éloquent dans la mesure où ce poète a cherché à universaliser la poésie en ayant recours à la langue du peuple.
La balāġa s’enrichira davantage grâce aux Mutakallimin (les théologiens) et aux philologues. Si les premiers défendent l’Islam contre ses détracteurs, en se servant de la dialectique, les seconds enseignent la syntaxe et citent abondamment les anciens poètes, en les commentant.
En fait, à y regarder de près, ce sont les muʿtazilites, qualifiés d’«esprits curieux», qui ont rendu possible Al-Ǧāḥiẓ (780-868). Celui-ci a la particularité d’être un érudit au sens classique du terme, dont la connaissance varie infiniment entre philosophie, littérature, religion, histoire et géographie, étant donné que les anciens maîtrisaient ces domaines également.
Traitant de la balāġa dans ses deux ouvrages : Kitāb al-Bayān (Le livre de l’éloquence) et Kitāb al-Ḥayawān (Le Livre des animaux), Al-Ǧāḥiẓ est considéré, comme le rappelle A. Ismaïli, comme le père de la rhétorique arabe ; il exercera une grande influence sur ses héritiers. Une de ses singularités dans le domaine de la rhétorique arabe, c’est le fait de distinguer entre alḥaqīqa et al-maǧāz (sens propre/sens figuré).
En plus des lexicographes, des philosophes et des humanistes qui ont défendu l’art oratoire, l’épanouissement de la rhétorique arabe revient aux efforts d’Abd al-Qāhir al-Ǧurǧānī insistant sur le fait que l’éloquence du Coran se traduit par ses atouts stylistiques et non par son vocabulaire. C’est grâce à lui, pour le coup, que les deux premières branches de la rhétorique arabe al-maʿānī et al-bayān sont constituées. On lui reconnaît également le mérite de distinguer l’istiʿāra tabaʿiyya (métaphore verbale) de l’istiʿāra aṣliyya (métaphore nominale).
Dans le sens d’une confrontation, le chercheur propose une étude comparative inscrivant sa recherche dans un cadre épistémologique scientifique. Ce raisonnement permet d’évaluer et de jauger les deux rhétoriques sans pour autant céder au subjectivisme réducteur. En effet, dès l’Avant-Propos, A. Ismaïli annonce qu’«[il] se propose ainsi de procéder à une mise en parallèle entre la rhétorique occidentale et la balāġa». D’autant qu’il y est précisé que la rhétorique occidentale se distingue de celle orientale en ce que la première est née pour défendre une cause visant trois objectifs : toucher, plaire et persuader ; tandis que la seconde est née pour démontrer l’inimitabilité du Coran. Ce distinguo est fondamental car il montre que l’objectif n’est pas le même.
Cet ouvrage témoigne d’une passion de l’auteur pour la poésie vu que celle-ci ne se passe pas de rhétorique (quoiqu’à vrai dire il y ait débat entre poésie et rhétorique !). En ce sens que la poésie est une rhétorique bien réussie, le rhéteur doit s’en inspirer. Au fond, cet ouvrage est une invitation non seulement à la maîtrise de l’art oratoire, mais également à offrir aux chercheurs les moyens suffisants rendant possible l’appréhension de la poésie. L’intérêt porté à la linguistique en témoigne fort justement.
Certes, la rhétorique classique est une rhétorique normative, n’empêche tout de même que certains poètes transgressent parfois ces règles. L’exemple des surréalistes qui les violeront est le plus éloquent. Breton affirmera en effet: «De toutes les images, la plus forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé ».
On peut dire la même chose de la balāġa qui se caractérise, elle aussi, par son aspect prescriptif. Chez les rhéteurs arabes, le lien qui unit le propre au figuré est nécessaire. Le poète qui ne le maîtrise pas risque de passer à côté de la véritable ’istiʿāra.
Les auteurs de la baḷāġa, autant que les rhéteurs occidentaux classiques, cherchent à imposer les règles propres, selon eux, à l’art rhétorique. Du reste, les deux traditions, arabe et occidentale, s’accordent à blâmer celui qui ne les respecte pas.
Par Najib Allioui