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La dernière décision du ministre de l’Education nationale de ne plus délivrer d’autorisation au personnel de l’Education pour poursuivre les études universitaires est on ne peut plus abusive. Bafouer un droit constitutionnel et élémentaire à tout le monde ne peut que briser la confiance -déjà fragile- entre « une base » pointée du doigt de toutes parts et « un sommet » arrogant qui décide des fois aveuglément, et au préjudice de l’exécutant qui essuie les atteintes successives à contrecœur.
Selon le ministre, celui qui désire continuer ses études doit opter obligatoirement pour la mise en disponibilité, autrement dit c’est un bannissement pur et simple de l’université, car quel est ce fonctionnaire qui va se priver durant deux années de son salaire pour fréquenter les bancs de la faculté, sachant que la quasi-totalité des fonctionnaires n’ont d’autre source de revenu que leur salaire misérable?
En réalité, une telle résolution injuste et avilissante ne date pas d’aujourd’hui, puisque le ministre de l’Enseignement supérieur a déjà «créé» un précédent en éditant en 2012 une note destinée aux présidents des universités les invitant à exclure les fonctionnaires du cycle Master des universités.
Etudier est une nécessité avant d’être un droit
Sous d’autres cieux, les autorités éducatives garantissent toutes les conditions nécessaires aux fonctionnaires pour étudier et suivre des formations en vue de leur assurer un haut niveau de qualification, et afin d’améliorer leur rendement.
Poursuivre ses études représente un droit pour tout le monde, les législations nationales et internationales le garantissent sans réserve même aux prisonniers, et le défendre aux fonctionnaires est certes une mesure déraisonnable qui déshonore un secteur aussi vital que l’éducation nationale.
Développer ses compétences professionnelles, élargir ses connaissances et acquérir des habiletés sont devenus une nécessité dans un monde en perpétuel changement et où il n’y a plus de place pour les incompétents. Un fonctionnaire qui n’avance pas en enrichissant son capital culturel, recule sans aucun doute, car l’usure des années abrutit les esprits et diminue le rendement et il n’y a pas plus grave que l’altération culturelle et cognitive.
Les personnels du MEN qui souhaitent faire des études, (et ils y réussissent souvent avec excellence) n’ont pourtant qu’une seule issue, c’est l’université et le fait de fermer cette lucarne, c’est condamner infailliblement les enseignants, les administrateurs, les inspecteurs… à une léthargie culturelle certaine.
Et de quelle réforme peut-on parler alors quand les ressources humaines, pivot de tout changement, sont ainsi astreintes à l’inertie et à la résignation au train-train abêtissant des événements de la vie? Comment peut-on être au diapason des évolutions rapides que connaissent tous les domaines de la vie actuelle?
Les universités ferment les portes au nez
des fonctionnaires du MEN
Il est évident que les deux ministères (le MEN et l’Enseignement supérieur) sont de connivence pour éloigner le personnel éducatif de l’enseignement supérieur. En réalité, la plupart des universités obligent tout étudiant ayant obtenu un baccalauréat libre de se munir d’une attestation de non emploi et ce, pour barrer la route à tous les fonctionnaires et les bannir des amphis de l’université.
Même muni d’une autorisation délivrée par l’organisme employeur et d’un nouveau certificat du baccalauréat, on bute contre un mur en béton armé; on vous jette alors cette sentence morbide à la figure: « Non aux fonctionnaires ! C’est une décision présidentielle de l’université… », et pour rendre la déception plus amère, on vous congédie avec un sourire sarcastique. Et c’est plus que honteux dans un pays qui s’est doté d’une nouvelle Constitution et qui a signé des conventions internationales et qui aspire à la démocratie et à l’instauration des droits de l’Homme.
Condamner le personnel du MEN à la stagnation intellectuelle, n'est pas une solution magique aux problèmes épineux du système éducatif. Par contre, c'est pousser les gens à accéder à l'université par des moyens peu "orthodoxes", pour s'octroyer un droit vital.
Quelles compétences sans études supérieures et sans formation continue ?
Le ministre a affirmé que le MEN ne s’intéresse pas aux diplômes des enseignants, mais uniquement à leurs compétences et…à la maîtrise des disciplines enseignées, mais il a oublié que pour accéder par exemple, au cycle de formation des cadres d’administration pédagogique au CRMEF, tout aspirant (à ce cadre) doit avoir une licence, alors de quel droit va-t-on cloîtrer des milliers de fonctionnaires dans un cadre restreint, en les privant d’avoir des diplômes à l’instar de leurs collègues qui ont réussi à en décrocher ?
Quant à la question de la compétence, en l’absence totale de programmes de formation continue réservés aux enseignants et à tous les cadres de l’éducation nationale, les concernés n’ont d’autres alternatives que l’université. En fait, le ministère a arrêté définitivement toute formation continue et ce, contrairement aux orientations de la Charte nationale de l’éducation et de la formation (CNEF) qui a préconisé une formation continue systématique à tous les cadres pédagogiques et administratifs du système d’éducation et de formation.
Comment «maîtriser les disciplines enseignées» alors que la formation initiale des enseignants s’étale sur une seule année ? Autrement dit, une formation à la cocotte-minute, et après on critique la compétence du personnel et le niveau catastrophique de l’acquisition des compétences de base chez les apprenants.
Par ailleurs, les rencontres pédagogiques animées par les inspecteurs pédagogiques au sein de leurs circonscriptions sont souvent entravées par des notes administratives qui défendent toute activité dans le cadre du temps scolaire, ce qui rend souvent ladite tâche impossible vu le taux élevé d’encadrement, la dispersion des établissements scolaires, et la diversité des emplois du temps adoptés.
Les droits de l’apprenant et de l’enseignant peuvent être conciliés
Le droit de l’apprenant à l’éducation et à l’apprentissage est la raison d’être de toute institution scolaire, et le fait d’empiéter sur ce droit en s’absentant des semaines entières pour assister à des cours à l’université est certes inacceptable. Pourtant, des notes ministérielles obligent les enseignants à récupérer tout temps perdu (durant les examens spécialement) et c’est à l’administration d’en assurer les conditions nécessaires afin de garantir un déroulement sain des séances perdues et permettre ainsi à l’apprenant de profiter pleinement de son droit, ceci d’une part.
Et d’autre part, la demande d’accès à l’enseignement supérieur est très forte parmi le personnel du MEN et on ne peut pas la négliger. En fait, au lieu de renforcer les remparts des institutions universitaires pour en éloigner les fonctionnaires, le ministère de l’Education nationale, en concertation avec le ministère de l’Enseignement supérieur, peut bien trouver une façon adéquate pour faciliter l’étude à tous ceux qui le souhaitent, en leur permettant de s’inscrire aux universités et en les dispensant surtout de l’obligation d’assister régulièrement aux cours et c’est à eux de s’arranger pour étudier à domicile et de passer juste les examens de fin des modules, lors des vacances scolaires.
Cela va sans dire qu’en agissant de la sorte, on coupera court aux absences éventuelles des fonctionnaires au cours de l’année et toutes les perturbations que cela peut occasionner dans les services concernés.
La surcharge dans
les établissements universitaires
Il est devenu urgent de créer des universités dans d’autres villes pour éviter la surcharge que connaissent certains établissements (Ibn Zohr à Agadir et Cadi Ayad à Marrakech à titre d’exemple) vu le nombre élevé des étudiants qui les fréquentent. Et surtout il est indispensable de garantir une couverture équitable du territoire national en matière d’institutions de l’enseignement supérieur, car il est illogique d'avoir deux universités dans certaines villes tandis que dans d'autres régions, les étudiants sont obligés de parcourir des centaines de kilomètres pour accéder à l'université. Les grandes villes monopolisent les établissements universitaires, souvent dans une petite superficie, tandis que d’autres régions restent marginalisées, malgré le nombre croissant des étudiants. Et ce qui est pire, c’est que la plupart des étudiantes sont obligées d’abandonner les études puisque l’université reste inaccessible pour elles en tenant compte d’un certain nombre de facteurs socioéconomiques.
La Faculté des sciences de l’éducation
Le ministre a précisé que les diplômes obtenus par le personnel du MEN ne contribuent pas à améliorer ses compétences professionnelles. Mais, est-ce que le ministère a fait des enquêtes à ce sujet pour parvenir à une telle conclusion ? Y a-t-il des compétences à acquérir en dehors des formations continues ou sans une couverture universitaire qui garantit un certain niveau académique au savoir?
A ce propos, pourquoi ne pas ouvrir d’autres facultés des sciences de l’éducation dans d’autres universités au lieu d’une seule faculté orpheline, et à l’accès limité à Rabat ?
En fait, cet établissement offre divers programmes de formation dans les domaines relatifs à l’éducation (didactique des langues, didactique des sciences humaines et des sciences exactes, psychologie de l’éducation, technologie de l’éducation…). Mais, malgré l’importance de l’enseignement et de la formation qu’on y dispense, et les travaux de recherche pédagogiques qui y sont menés, la centralisation de cette institution prestigieuse la rend malheureusement élitiste puisque c’est juste un nombre limité d’étudiants qui peuvent y accéder, souvent ceux qui sont issus de Rabat et de ses régions avoisinantes.
En définitive, il faut signaler que le fait de s’attaquer aux ressources humaines du MEN ne peut qu’envaser encore et plus profondément l’éducation nationale. Le temps est venu de procéder à une réforme globale du système éducatif, à commencer par les programmes scolaires qui sont devenus désuets après plusieurs années d’usage. Seules les maisons d’édition y gagnent outre mesure en faisant fortune sur le dos des parents d’élèves, puisqu’elles rééditent chaque année les mêmes manuels qui rebutent et l’apprenant et l’enseignant.
Les responsables du secteur éducatif doivent avoir une vision claire quant à l’avenir d’une école dont l’état est plus qu’alarmant selon tous les rapports. Au lieu de se contenter de mesures unilatérales, souvent stériles et loin de toute vision philosophique, il est peut-être temps de se doter d’une nouvelle Charte nationale de l’éducation et de la formation.
* Inspecteur pédagogique
Chichaoua