Attachement à la terre-mère


Nous avons abandonné la terre mère pour nous entasser dans des bidonvilles.

Azergui Mohamed Pr. d’université retraité
Mercredi 20 Novembre 2013

Attachement à la terre-mère
« La terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la terre »
S Bull
 « La terre est ma patrie, l’humanité ma famille »
K.Jabran  
 
Celles et ceux qui ont vécu en partie le XXème siècle ont souvent eu la chance de vivre sous le même toit avec leurs grands parents âgés ou même leurs arrière parents. Ils ont été des artisans habiles des cités ou paysans modestes vivant en tribus libres dans les campagnes. Ils nous ont légué une longue Histoire, deux langues, deux cultures et un trésor de valeurs (honneur, courage, fraternité, solidarité, liberté, tolérance, famille, et l’amour de la terre).
 S’ils revenaient ici-bas ils ne nous auraient pas reconnus comme leurs descendants directs. Nous avons perdu de notre substance et de notre essence qui ont fait notre passé glorieux. Nous avons quitté la Nature, champs, et la liberté pour vivre dans des cages des bidonvilles. Nous avons quitté la vie de familles au village pour galérer en ennemis anonymes des villes Nous avons laissé la terre qu’ils ont irriguée des millénaires durant de leur labeur et sueur. Nous avons laissé la terre qu’ils ont défendue de leur sang contre les occupants du moment. Le nord-ouest de l’Afrique, au climat doux, est riche par ses ressources variées et multiples (Monts, plateaux, vallées, plaines, forêts, fleuves, déserts, littoral, Mer, Océan Soleil, terres) Nos ancêtres n’ont pas eu besoin pour survivre d’envahir et de coloniser des pays lointains.
Par contre d’autres peuples hostiles sont venus de loin, et sont arrêtés par l’Atlas et l’Océan. Ils sont restés alléguant répandre leur culture, croyance et religion prétendues supérieures. Mais dans les faits, Ils ont occupé les terres fertiles des autochtones par la force.
Tout au long de l’Histoire du pays la terre a été défendue âprement par les tribus amazighes Certaines sont restées dans les plaines fertiles, affrontent avec courage les intrus de tout poil D’autres se réfugient dans les déserts ou dans les montagnes (Adrar, Atlas, Rif) et attendent.
Là où elles sont, elles résistent, survivent dans la dignité, et travaillent avec ténacité et amour la Terre Ancestrale.  Ainsi dans les monts de l’Anti-Atlas les Femmes et les Hommes ont entrepris durant des siècles des travaux titaniques pour lutter contre l’érosion et garder le plus de terre sur place. Partout à perte de vue, aux flancs des monts, dans les plateaux, vallées, bords des rivières il y a une infinité de lopins de terre en escaliers. Ils sont intégrés aux paysages et à la Nature.
Ma vieille mémoire conserve des bribes de souvenirs d’enfance d’une grande « Tiwizi » d’antan il s’agissait de défricher, de mettre en terrasses et valoriser les collines voisines du village.
Tous les habitants ont alors participé à ce travail commun durant ce printemps qui fait date Nous partons très tôt le matin avec les chants des coqs et les appels à la prière du muezzin. La pierre, l’arène granitique, l’argile rouge, et la terre sont arrachées de partout aux environs Elles sont apportées à do d’ânes, de mules, d’hommes, de femmes et les coffins d’enfants. Des murets en escaliers sont élevés pour contenir la pierraille mêlée de cette terre si rare. Les vieux plantent aux bords de ces lopins de terre des figuiers, des pieds de vignes et ils enfuient quelques belles noix d’amande concassées dans chaque petit lopin.
 Le travail se fait dans la bonne humeur. (Les garçonsen profitent et font des brins de cour aux jeunes filles.) A midi des plats de couscous et outres de babeurre frais avec thym nous arrivent du village. Au coucher du soleil nous rentrons gais, avec nos baudets chargés de broussailles. Les filles chantent des chants d’amour, de fertilité, de paix et les Monts répondent en écho. A la fin des travaux une fête est organisée (sacrifice d’un bouc, prières, repas collectif, danses). Durant l’hiver suivant, les murets et la terre ont tenu bon. Au printemps tout a poussé et germé. Des années plus tard c’est une petite forêt d’amandiers et figuiers, fierté du village   Les villages de l’anti Atlas sont en général près d’une rivière, une source ou un grand puits.
Deux ou trois sentiers y mènent, les traversent, en sortant, une piste muletière passe à côté. A l’Est il y a un cimetière près de la tombe d’un Saint, ou Sainte (dans un petit sanctuaire) Les villages sont entourés de petits lopins de terres en terrasses aux murs forts et solides. Les cactus, amandiers, les figuiers, vignes sont partout à côtés de caroubiers et térébinthes Les terrains au centre des villages sont les plus importants et ils sont près de la Mosquée. Ils sont objet d’orgueil du village c’est là que se font les fêtes collectives de fin de saison.
 Chaque famille se doit de posséder sa part de terre ici et tous
évitent de construire dessus. (Les maisons sont construites solidement là où il y a du socle et jamais sur les sols fertiles.) Là les terrains ont des bornes connues de tous mais souvent déplacées et objet de chicanes. Ces terrains sont désherbés, enrichis de fumiers des étables, bêchés à fonds donc bien aérés. Ils sont irrigués en été et automne avec l’eau retenue dans les rivières voisines. On y cultive si possible selon les saisons un peu de tout (maïs, navets, carottes, fèves, luzerne, tomates, aubergines, courges).
Ils n’ont pas de clôtures car bien protégés par des marabouts (Agdal). Chaque famille essaie d’avoir ici le plus de terres (intrigues, achats, hypothèques, héritages). Les vieux boutiquiers des médinas du pays y ont souvent englouti toutes leurs économies. Avoir des terrains ici, est un signe de richesse et du statut familial dans le village et la tribu. Nos grands parents se sont entretués pour ces terrains avant l’arrivée des français (1934).
Ces terres étaient encore, dans les années 60-70, l’objet de jalousie et de bagarres parfois sanglantes. C’est le centre de vie du village.  Les plus beaux villages de jadis, au moins dans ma mémoire de vieux montagnard, sont ceux nichés aux cimes des Monts de l’anti Atlas. Mon grand père maternel était un sage paysan (Ardad) d’un de ces sublimes villages d’en Haut. Là, les maisons ont un mur ou deux formés à même par les flancs des Monts (granit) Elles sont près d’une petite source qui jaillit des fissures du Roc d’une Grotte sacrée. Cette eau pure, cristalline est maintenue en place par une murette ronde (Tanout).
Ce village est tout couvert de neiges en hiver, de verdures et de fleurs au printemps. C’est un refuge de fraicheur en été et un grand tapis coloré de feuillages en automne La poésie et musique naturelles sont là (chants d’amour des oiseaux, bruits d’insectes, ruissèlement d’eau) C’est là un verger habité par quelques familles issues d’un ancêtre commun On y trouve du tout (petits oliviers, majestueux noyers, amandiers, figuiers, vignes, abricotiers, pêchers, grenadiers, orangers). Les murets des terrasses des terrains sont solides (érosion forte). Le résultat est un paysage splendide né des Monts, de la terre et du travail des Femmes et des Hommes.
Mon grand père entretient ses terres avec passion durant toute la journée, toute l’année sans jamais se reposer. Ses petits lopins de terres ne se reposent pas non plus. Ils produisent des céréales, des légumes et des fruits selon les saisons. Chaque famille a ses ruches d’abeilles, Insectes
Sacrés. C’est dans ce paradis de mon enfance que j’ai vu de loin des gazelles et cerfs, (animaux adorés de tous) cabrioler dans les Monts.
Certaines familles dont celle de mon grand père étaient dites riches. Elles ont en plus des terres, une mule et un âne, des ruches et surtout un grand cheptel de chèvres qui pâturent en haut dans les Monts ou en bas dans les plateaux. Pour nous montagnards, les plateaux (Igounan) sont nos vastes et lointaines terres arides. L’Arganier imposant arbre du Sud y règne depuis des millions d’années selon les géologues Partout les cactus, jujubiers et leurs jujubes, les euphorbes avec leurs épines et leur« lait » Les hérissons et les aigles attendent les cobras qui guettent les gerboises, les lézards se réchauffant sur les murets.
Les sols sont rocailleux, rouges et pauvres Ils sont restaurés et conservés par les travaux de tous les ans à la fin de l’automne (enlever les cailloux, déraciner les chiendents les brûler.) Chacun retrouve les bornes de ses terres sans trop de disputes. Peu importe le rendement, les paysans des monts labourent ces terrains tous les ans. Les oiseaux picorent l’orge semée. Au printemps les gerboises et les écureuils se nourrissent des maigres gerbes d’orge. En mai les paysans moissonnent le reste pour le bétail. Ce travail stérile est un devoir envers la terre et un acte rituel de propriété. Cette terre se repose presque tous les ans. Cependant si les pluies sont abondantes la récolte est alors bonne ou même excellente C’est la joie de tous, le dixième de la récolte est donné aux pauvres. Le reste de l’orge est mis en réserve familiale dans des fosses souterraines stérilisées au feu.
Pendant les grandes sécheresses des nomades nous arrivent du Sud. Ce sont des hordes de chèvres, chameaux, hommes, femmes et d’enfants. Ils se parlent en dialecte arabe, et parlementent avec nous en amazigh. Nous les cantonnons de force si possible dans ces plateaux arides loin de nos terres fertiles. Mais pour eux, la Terre n’appartient à personne mais à Dieu seul. Avec leurs animaux voraces ils dévastent et détruisent la Nature et partent sans regret aucun. Leur arrivée pour nous, nos terres et arbres est l’équivalent de l’invasion par les nuées rouges de sauterelles. Elles dévorent elles aussi, mais en un jour et une nuit, toute verdure de nos villages.  
Mon village natal est célèbre par sa Medersa (Zaouïa du mystique feu sidi Hajj EllHabib). Il est à côté d’une rivière, une Montagne et une grande oliveraie dite (Targa n’Iznagen) Il y a là des milliers d’oliviers dont beaucoup sont centenaires. Ils ont été plantés aux bords des lopins de terre qui se trouvent ainsi assez dégagés et exposés aux bienfaits du soleil La terre aimée et respectée comme une mère est tenue en terrasses par de fortes murailles Elle est noire et friable car enrichie par le travail de tous les ans et par les fumiers et humus.L’oliveraie est dense mais traversée de chemins connus de tous et empruntés même de nuit.
 A l’Ecole coloniale nos livres de lectures relatent la grande forêt équatoriale africaine. (Moi je croyais que c’est notre oliveraie, je m’attendais voir surgir de partout des lions et des tigres). La terre est fertile , la vie est partout ici, personne ne troque un lopin contre dix non irrigués. L’eau vient d’une grande source qui sort du flanc de l’imposante montagne à l’Est du village. L’eau est abondante si bien que l’irrigation se fait du jour et de nuit sans arrêt et ce selon les règles coutumières que personne ne transgresse. Les cultures de céréales (orge, maïs) et légumes (navets, carottes, fèves) se succèdent sur les terrains.
Ici la Terre, l’Eau et l’Homme sont en symbiose. Près de la rivière ou à côté des canaux d’irrigation chaque famille a son potager sans clôture et sans crainte de vol, la défense en est assurée par une saint(e) (Agdal) Pour moi, enfant, adolescent, jeune et adulte j’ai fait là de longues randonnées inoubliables et c’est là que j’ai aperçu les belles filles de l’Atlas. (L’une d’elles m’a capturé et captivé à vie).
En conclusion, à partir des années 40, la population de l’Anti-Atlas augmente et les terres ne suffisent plus. Les hommes émigrent dans les villes du pays (boutiquiers) ou en l’Europe (mines, bâtiments). Ils reviennent toujours aux villages, construisent des maisons et font entretenir leurs terres. Les sécheresses des années 80-90 et l’absence d’assistance de l’Etat ont mené à l’exode rural. Les habitants sont allés survivre en familles et en parias dans les bidonvilles de misère et de violence du Maroc. Les plus chanceux sont dans les banlieues de mépris et racisme d’Europe. Les terres si bien entretenues auparavant ont été laissées à l’érosion, à la désertification et aux Seigneurs-Sangliers qui pullulent vite et saccagent les terres.  


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