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Rarement un footballeur n’aura été porté par une légende qui fait de lui un fin artisan de passes, un auteur de dribbles dont de petits ponts mémorables et un prodigieux géomètre du rectangle vert. Bien que consacré milieu de terrain, il use, à la défense comme à l’attaque, du même art et subjugue autant les spectateurs. A l’image d’un chef d’orchestre qui unit dans une même harmonie divers instruments, il faisait battre à l’unisson les cœurs des supporters des Rouges et des Verts. Sans doute, aucun joueur n’a-t-il brillé à cet égard d’un tel éclat. Sa prestation au sein du Onze national face à l’équipe nationale du Portugal lors de la Coupe du monde de 1986 en a fait un maestro sans baguette. Quel magnifique mercredi : tout le pays de la lune pourpre passe une nuit blanche teintée de liesse en hommage à l’exploit de Guadalajara.
Dans « Le rouge et le noir », Stendhal dresse le portrait d’un personnage, d’un ardent avide d’ascension sociale, Julien Sorel, qui n’hésite pas à mettre l’hypocrisie et le cynisme au service de son ambition. Le glorieux Maestro est aux antipodes de ce héros du XIXème siècle dont les émules aux couleurs contemporaines sont nombreux. Indéfectiblement attaché à ses origines sociales et à sa cité, il cultive les valeurs d’humilité et de dignité, reste fidèle à sa passion du sublime et pratique l’amitié comme fraternité. Son accolade toujours chaleureuse est une invite vive au rire tendre et cocasse, à l’évocation de films inoubliables ou d’acteurs favoris comme la gracieuse Faye Dunaway ou l’incarnation des anti-héros, Steve McQueenou à l’écoute complice des sanglots de la trompette ou du saxophone, des doux soupirs des cordes de guitare, de luth ou de sitar. Il aime à partager les lamentations de «Ma vie c’est toi » du chantre du Karnak, les exhortations à s’inspirer des fleurs de Zakaria Ahmed, la complainte à la mer de Amin Hassanine, la célébration du bonheur sur les rives de l’amour de Karem Mahmoud autant que l’innombrable chant profond de la diva de l’Orient. Amoureux des seventies, il chérit de faire part de son admiration de la fusion du blues et de country des Creedence Clearwater Revival ou des rythmes produits par la guitare de John Lee Hooker et la capsule de bouteille attachée à sa chaussure. D’une bienveillance sans cesse en veille, il s’interdit d’aborder tout sujet susceptible de créer des litiges ou des quiproquos comme il refuse que la sympathie s’installe par antipathie aux autres.
Réfractaire au brouhaha régnant, qui est un flot interrompu de propos superflus, ennuyeux, obséquieux ou vénéneux, il fait vœu de silence faisant à son insu sienne la sentence de Wittgenstein : «Ce dont on peut parler il faut le taire». Quand il lui arrivait de livrer des impressions ou des pressentiments, il honorait brillamment l’école publique dont il ne manque pas de louer les mérites injustement oubliés à l’occasion d’échanges sur l’état de l’enseignement aujourd’hui. Qu’on se rappelle sa déclaration à l’émission Téléfoot de la station hexagonale lors du Mondial 86. Romantique en ces temps de perfidie, il nourrit une aversion aussi discrète que profonde à l’égard de la tyrannie de la réussite. Son équipe d’origine, le Raja, qu’on surnommait Boca Junior du temps de Père Jego, n’était-elle pas mûe beaucoup plus par l’offre du spectacle que par la victoire ? «Le succès n’apprend rien : il est aussi bête que la chance, que l’argent, que l’amour partagé».Le Maestro semble adhérer à cette assertion que Jean-Marie Rouart met en exergue dans son éloge des vaincus de la vie. La poursuite maladive des intérêts au mépris des lois et règles a, en effet, de quoi répugner. Elle convertit la qualité en défaut, le vice en vertu, l’infraction en norme de comportement, l’arrogance en signe de puissance, l’incompétence en atout, l’envers en endroit. Le libre cours des égoïsmes transgressifs sécrète des ambitions destructrices et des rivalités de cupidité, obscurcit les principes de conduite et délite la vie sociale.
En somme, l’œuvre lumineuse du Maestro et sa compagnie enchanteresse, les ravissements d’hier et les désolations d’aujourd’hui sollicitent indubitablement l’expression nostalgique de la mémoire. Ainsi que le clame Fernando Pessoa, compatriote du célèbre ailier gauche portugais, magicien des centres, Paolo Futre : « De nostalgie blessée/ mon âme se languit/ Non pas de moi-même ou du passé que je vois/Mais de celui qui m’habite ».
* Rédouane Taouil est un ancien
des écoles primaire et secondaire
publiques du Maroc.
L’auteur tient à remercier vivement tous ceux qui l’ont aidé à concevoir ce texte. Il s’excuse de ne pouvoir les citer tous tant ils sont nombreux. Ils peuvent cependant reconnaître aisément leur contribution et se considérer comme
coauteurs de cet hommage.
La responsabilité des propos reste,
à l’évidence, strictement mienne.