Le pont est désormais construit entre passé et présent. Le dispositif de travail, lui, est pratiquement analytique. Kilito exerce sur la trace des anciens une double chirurgie : esthétique visant l’embellissement de sa face, et thérapeutique visant le dévoilement de ses intrigues. Ecrire sur les anciens pour Kilito équivaut à la composition d’un poème fait paradoxalement de douleur et de jouissance : la douleur de la gestation et la jouissance de l’accouchement. Que fait Kilito sinon éveiller amoureusement cette œuvre neutralisée dans les ténèbres des volumes anciens ? Ne considère-t-il pas que la situation des œuvres anciennes est semblable à celle de cette belle fille endormie et attendant qu’un fin connaisseur de ses mystères vienne l’embrasser passionnément, la caresser et la réveiller doucereusement et l’aider soigneusement à s’adapter à son nouveau monde ? Kilito déloge l’œuvre des anciens du contexte strictement arabe dans le but de la placer dans un contexte plutôt universel. Il y touche à la fois de la langue de Jurjânî et de celle de Molière. Par ce faire Kilito fait valoir le génie de cet autre être ne cessant de l’obséder : la langue. La langue chez Kilito fonctionne, effectivement, comme forme lui permettant non seulement de dire le monde, mais surtout d’habiter le monde, c’est-à-dire s’essayer à sa compréhension à partir de ce rapport fort ambigu jouxtant passé/présent/futur. Entre essai et fiction, Kilito brouille les genres. Le texte devient pour lui une scène généreuse accueillant l’expérience du dire dans ses dimensions culturelle, anthropologique et rhétorique. Il s’applique à reconsidérer l’héritage des anciens et, de là même, à responsabiliser les contemporains de sa survie.
L’aventure, ne vaut-elle pas la peine d’être vécue ?…