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Toutefois, si d’un côté, la ‘’Magic Bay’’ est un spot incontournable pour les équilibristes des océans, de l’autre, c’est aussi un village de pêcheurs. Et comme aucun bon n'est sans mal, la plage qui fait sa notoriété est également source de problèmes. Année après année, la vase accumulée à cause de la houle a fini par ensevelir le bassin de son charmant petit port. Longtemps revendiqué par les pêcheurs locaux, le désenvasement par dragage de sable est en voie de concrétisation pour leur plus grande satisfaction. Mais ce projet a également ses détracteurs : ceux qui vivent du tourisme du surf, directement ou indirectement dans la région. Ils craignent l’impact que pourrait avoir le dragage du sable sur les vagues. Une inextricable situation dont les points de vue divergent à coup d’arguments et de contre arguments.
Il y a quelques semaines, Youssef Drouiche, gérant d'un camp de surf, se baladait sur la baie quand il a eu la mauvaise surprise d’y croiser des bulldozer stationnés. Intrigué, il tente de se renseigner. Mais depuis le temps qu’on en parlait dans le village, il se doutait bien que les bulldozer n’étaient pas garés là pour faire joli. Après plusieurs jours d’incertitudes, ses pires craintes prirent forme. «Par hasard, j’ai rencontré le délégué de l’Agence nationale des ports (ANP) à Imsouane. Et il m’a confirmé l’opération de dragage», nous a-t-il indiqué. Alarmé, Youssef part à la pêche à l’information, mais sans succès. «La seule fois où on a réussi à contacter le directeur de l’ANP, il était en réunion. Le caid de la commune rurale, lui non plus n’a rien voulu nous dire. On se sent exclu. Mis à l’écart. Nous n’avons pas été consultés. Nous n’avons accès à aucune information sur ce projet», regretta-t-il. «Plus de 100.000 surfeurs se donnent rendez-vous chaque année pour « rider » cette vague ! Grâce à elle, notre village a acquis une certaine notoriété. En plus, elle fait vivre des milliers de personnes», a-t-il précisé. Et d’ajouter : «Si l’opération de dragage est maintenue, elle pourrait modifier la vague et aura donc des répercussions désastreuses sur l’activité des restaurants, surfcamps, hôtels, auberges, moniteurs de surf, chauffeurs de taxi et autres surfshop».
Pour mieux comprendre les enjeux, un passage par la case sciences est nécessaire. La constitution d'une houle dépend de trois facteurs : la force du vent, la durée pendant laquelle il souffle et l'espace disponible. Dans le cas de la Magic Bay, c’est le troisième facteur qui est capital. Lorsque la houle s'approche de la côte, la profondeur de l'eau diminue. De fait, le profil de la houle se courbe de plus en plus. Des vagues s'élèvent, basculent vers l'avant et finissent par déferler. Ainsi, la forme des vagues dépend essentiellement de la typologie des fonds marins à proximité de la côte. Quand le fond est plat et en pente douce, les vagues créées sont elles aussi plates et douces. Un fond abrupt, quant à lui, donnera lieu à la formation de vagues creuses et puissantes. Par conséquent, moins il y a de banc de sable, moins creuse et puissante sera la vague.
A l’instar de Youssef, cet éventuel scénario catastrophe a ému la communauté des surfeurs aux quatre coins du globe. Une pétition a été publiée en ligne, dans le but d’arrêter le dragage de la baie d'Imsouane. Près de 3000 signatures ont été récoltées jusqu’à présent. Pétition à laquelle s’est ajoutée une lettre adressée à l’attention du Directeur régional de l’Agence nationale des ports ayant pour objet une demande d’audience.
Contacté à ce sujet, Boutat Abdellah, le directeur régional en question, a initialement tenu à rappeler qu’une réunion était programmée mais qu’elle a été finalement annulée, car, précise-t-il «bien qu’ils aient le droit de s’exprimer, ce sont avant tout des particuliers. Ils n’ont aucun statut associatif». Et d’arguer : «De toute façon, d’un point de vue juridique, la baie d’Imsouane est une zone portuaire. Et historiquement, l’activité économique principale a toujours été la pêche. D’autant plus que le port est un don qui a été fait aux pêcheurs». En effet, la construction du port, fin des 90’s, d’un montant estimé à près de 70 MDH, est le fruit d’une collaboration entre l’Office national de pêche, le ministère de la Pêche maritime et la wilaya d’Agadir, d’un côté et le pays du Soleil Levant, représenté par l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) de l’autre. Un Nippon volontaire (Wada Takanobu) y aurait même passé deux ans afin de recenser les variétés de poissons pêchées. Donc, pour Boutat Abdellah «accéder aux demandes des pêcheurs est notre priorité».
Des propriétaires d’embarcations, des capitaines, des pêcheurs, des poissonniers et un acteur associatif, ce sont les 180 signataires de la pétition adressée audit directeur régional. Leur objectif? Le désenvasement du bassin du port. «Les vagues qui en résultent nous empêchent de prendre la mer. Nous endurons une véritable souffrance», déplorent-ils. Mais pas que. Ladite pétition est également accompagnée d’une lettre où ces derniers fustigent l’attitude des surfeurs qui, disent-ils, «tentent de bloquer le dragage de sable». Un reproche dont se dédouanent Youssef et ses partisans en indiquant :«Nous ne sommes pas contre les pêcheurs, loin de là. Mais ils doivent comprendre que si maintenant ils vivent grâce à la pêche, dans quelques décennies, c’est le tourisme qui sera plus important». Conjuguée au présent, l’activité halieutique est lucrative et en pleine expansion depuis la construction du port. Son chiffre d’affaires dépasserait les 10 MDH. Il faut aussi préciser que ces résultats ont également pour source l’activité touristique, rendue possible grâce au spot de surf. D’après Youssef Driouche, 30% du poisson pêché sont destinés aux restaurants, hôtels et autres maisons d’hôtes d’Imsouane. Et cette imbrication d’intérêt économique ne risque pas de se dissiper avec le temps, bien au contraire. «Sur les quatre dernières années, la fréquentation touristique a été multipliée par 10. Aujourd’hui, toutes les écoles de surf des alentours affluent dans le village pour passer la journée, (300 à 400 personnes). Alors, il ne faut pas affaiblir cette vague que je considère comme un patrimoine national et mondial», conjure-t-il. Pour sa part, Boutat Abdellah se veut rassurant en indiquant : «Notre intention est de draguer uniquement le sable dans le bassin du port afin de permettre aux pêcheurs d’exercer leur métier dans les meilleures conditions et en toute sécurité. Pour moi, c’est un faux problème. La vague continuera d’exister, comme depuis toujours. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter».
D’après nos informations, le dragage du sable n’a toujours pas été réalisé. Le projet aurait été mis en suspens. Une situation alambiquée qui rappelle que parfois le bien et le mal se touchent de si près qu'il est impossible de savoir où finit l'un et où commence l'autre.