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L’écrit de feu Abderrahim Bouabid que nous publions a été rédigé d’un seul trait, à Missour, au cours de l’hiver 1981-82. Le texte de ce manuscrit évoque une période charnière dans le processus qui a conduit à la fin du protectorat. De l’épisode d’Aix-les-Bains aux
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.
Les troupes françaises furent expédiées sur les lieux et ce fut la chasse aux Marocains, dans leurs maisons, les douars environnants, pendant deux jours, sans ménager personne, ni enfants ni femmes ni vieillards. Cette opération provoqua la mort d’une centaine de victimes, sans compter les blessés et les dégâts matériels (destruction d’habitation, perte de bétail, etc.).
Le grand centre minier de Khouribga, lui même très proche de Oued-Zem et de Boujaâd, fut le théâtre des luttes ouvrières et populaires les plus impressionnantes.
Dès le 20 août au matin, toute la classe ouvrière se mit en grève. Une grève générale qui paralysa l’exploitation des phosphates. Des manifestations de masse rassemblaient des milliers de travailleurs accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants.
Là aussi, les paysans de la région arrivés par vagues successives, étaient au rendez-vous. Ce fut l’un des plus beaux exemples de l’unanimité du peuple marocain contre la domination coloniale et pour la restauration de Ben Youssef.
Le personnel français d’encadrement, les fonctionnaires des services administratifs, tous armés, s’étaient mobilisés dès l’aube. A quelques exceptions près, ils avaient la réputation largement méritée d’être les « plus ultras » parmi les « ultras » de « Présence-Française ». Secondés par les mokhaznis à la solde de l’Office des phosphates, ils dispersèrent brutalement les manifestants et ont contraint les travailleurs à reprendre le travail. Ils pensaient procéder comme en 1948 et 1950 : créer un climat de terreur par l’usage des armes, décapiter le mouvement par l’arrestation de tous les responsables syndicaux, le licenciement en masse de plusieurs centaines de travailleurs. Aussi, dans l’après midi, sont-ils passés délibérément à l’attaque, particulièrement dans la misérable cité ouvrière. Les manifestants aux mains nues tombaient sous les balles. D’autres parmi les dirigeants syndicaux furent poursuivis jusque dans leurs demeures. Ce massacre organisé fit plusieurs dizaines de victimes, peut-être une centaine, tous parmi les Marocains. Les services du protectorat n’ont annoncé aucune victime parmi le personnel français.
Cependant, les travailleurs et les paysans ont résisté magnifiquement à la répression. A défaut d’armes pour pouvoir se défendre, ils ont organisé le sabotage des installations d’extraction du minerai. Les dégâts enregistrés ont été évalués à plusieurs centaines de millions de francs. L’Office des phosphates dut interrompre ses activités durant plusieurs jours.
Certains des Français libéraux nous firent le reproche de n’avoir rien fait pour empêcher ces sabotages : « C’est votre propre richesse, que vous détruisez », nous disaient-ils.
« C’est nominalement notre richesse c’est vrai, répondaient les dirigeants syndicalistes.
Mais jusqu’à présent, elle ne profite qu’au système du protectorat, à son appareil répressif, aux agents français de l’Office qui s’octroient des traitements, primes diverses et privilèges scandaleux... Seule la fin du système colonial du protectorat, mettra fin à notre exploitation... ».
Cela confortait l’idée que la satisfaction des revendications purement professionnelles était liée désormais de façon étroite, au triomphe de la cause nationale, c’est-à-dire à l’abrogation du traité de 1912 et à la proclamation de l’indépendance du Maroc.
A Casablanca, une grève générale a paralysé toute activité : les travailleurs du secteur privé, des services publics ou concédés furent à l’avant-garde du combat.
Les forces de répression y étaient massées depuis plusieurs jours. Le 20 août, la grande cité avait l’aspect d’une ville conquise et occupée : les blindés étaient en position dans les grandes artères, policiers et hommes de troupes investissaient tous les quartiers et dispersaient, à coups de crosse, le moindre rassemblement.
Cependant, cet étalage de force, n’eut pas le résultat escompté. Les masses populaires, à la tête desquelles se trouvaient les travailleurs en grève, organisèrent plusieurs manifestations durant toute la journée. Des affrontements sanglants eurent lieu dans plusieurs quartiers. La troupe n’hésita pas à faire usage de ses armes, tirant dans le tas. Plusieurs victimes parmi les Marocains durent payer de leur sang leur détermination à combattre pour le triomphe de la cause nationale, il n’y eut pas une seule victime parmi la population civile européenne.
A Rabat, le mot d’ordre de grève générale a été suivi partout. Les magasins européens, bien que protégés par les troupes, durent également baisser leurs rideaux. Cependant, au quartier populaire Douar Doum, les policiers eurent recours à leurs provocations habituelles : les passants, quels qu’ils fussent, étaient pourchassés, matraqués sans motif. C’est alors que les travailleurs de ce quartier décidèrent de riposter aux brutalités policières. Des groupes se formèrent alors pour affronter les policiers. Ces derniers, là comme ailleurs, firent usage de leurs armes faisant de nombreuses victimes, dont des femmes et des enfants. Ce n’est que le soir, que le calme revint.
Le peuple de Mazagan a aussi observé une grève générale. Les manifestations populaires étaient massives et ne prirent fin qu’à la tombée de la nuit. L’affrontement avec les forces punitives fut sanglant, comme partout dans le pays : 5 morts, 40 blessés, tous marocains.
Khemisset, ville berbère comme Khénifra, connut une journée glorieuse. Des milliers de manifestants, parmi lesquels les paysans de la région étaient aux prises avec les forces de la répression. Plusieurs blessés, 2 ou 3 morts, tel a été le bilan, parmi les Marocains. Il n’y a pas eu de victimes parmi la population civile européenne.
L’histoire des luttes populaires, depuis la nomination du général Juin au Maroc et en particulier depuis 1952 reste à écrire. Cependant au sujet des journées insurrectionnelles des 19, 20 21 et 22 août 1955, il nous parait nécessaire de faire quelques réflexions :
1) Le mythe du « bled » sain était réduit à néant. Les responsables de la politique française au Maroc en ont été édifiés. Je pense en particulier à M. Gilbert Grandval. Jamais l’union du peuple n’était apparue avec autant d’éclat. Le corps des contrôleurs civils s’était-il trompé à ce point ? Personne, parmi les Marocains et de nombreux Français, ne le pensait. La plupart des contrôleurs civils, des chefs de région étaient au fait de la réalité. Mais ils ne pouvaient se déjuger, parce qu’ils avaient été les exécuteurs, sinon les instigateurs, du coup de force de 1953. Ils pensaient pouvoir franchir le cap du 20 août, par la répression systématique, la diffusion d’informations trompeuses ou falsifiées. Ils ont abusé de la confiance de leur chef suprême, le résident général G. Grandval, en cherchant, avant la date fatidique, à le rassurer, à minimiser l’éventualité des réactions des masses paysannes. Pour notre part, nous n’avons jamais manqué de prévenir les responsables français de l’extrême gravité de la situation, de l’éventualité d’explosions de colère d’un peuple lassé d’attendre. Mais, fort probablement, on a mis ces mises en garde sur le compte de l’exagération lyrique, de la dramatisation.
2) Le reproche parfois amer nous a été fait de n’avoir rien fait pour calmer les esprits et éviter de tels événements. Sur ce point, l’explication doit être franche. A la veille du 20 août, le climat, dans les villes comme dans les campagnes n’était pas à l’apaisement : tout le monde savait que le « plan Grandval » avait été abandonné. La désillusion était générale. Ben Arafa était même invité par les gouvernants français à former un gouvernement « représentatif ». On attendait son départ, voilà à présent qu’il était remis en selle ! Toute consigne prêchant le calme eut été interprétée comme un appui au « plan » Ben Arafa et une manoeuvre de démobilisation des masses populaires. Celles-ci ne pouvaient s’affirmer que dans le refus obstiné et dans le renforcement et la généralisation de la lutte de libération.
A propos de ces journées, on a parlé de fureur démentielle, d’actes de barbarie, etc… On a mis en relief le fait que des femmes et des enfants n’aient pas été épargnés par les manifestants. Mais on ne rendait bien entendu compte, que des femmes ou d’enfants européens. Les femmes et les enfants marocains abattus, par dizaines, ne suscitèrent pas autant d’émotion et d’indignation. Ils ne comptaient presque pas.
Quant au recours à la violence physique par un peuple opprimé, soumis à la dictature d’un régime policier, il n’avait, pour nous, rien d’intrinsèquement illégitime. La guérilla, le «terrorisme», les sabotages sont les seuls moyens de luttes normaux pour les peuples attachés à leur identité, à leur patrie et à leur liberté. Inutile d’épiloguer la-dessus car il faudrait beaucoup de naïveté ou d’hypocrisie pour s’offusquer de l’emploi de ces formes de lutte dans la conjoncture dramatique où se trouvait le peuple marocain.
3) Ces journées ont été essentiellement marquées par la participation massive des paysans. Pour nombre d’Européens, la surprise a été totale et le phénomène inexpliqué. Pourtant il y a une explication à ce fait, en particulier en ce qui concerne Khouribga, Boujaâd, Oued-Zem et Aït-Amar. Les syndicalistes ont accompli dans ces régions un travail en profondeur. On sait que les milliers de travailleurs des mines de Khouribga et des Aït-Amar sont presque tous originaires des campagnes d’Oued-Zem, de Boujaad, etc. Les liens familiaux, comme partout au Maroc, restent solides entre les ouvriers et leurs familles d’origine paysanne. La prise de conscience du paysannat et sa participation à la lutte pour l’indépendance se sont faites grâce à l’action des syndicalistes. Il y a là un exemple déterminant du rôle d’avant-garde joué par la classe ouvrière qui a encadré et entraîné avec elle, dans le combat, la paysannerie opprimée.
LE TOURNANT D’AIX-LES-BAINS (Août – Septembre 1955)
La rencontre franco-marocaine d’Aix-les-Bains s’est tenue du 22 au 27 août 1955.
Il a d’abord été envisagé de la tenir à Nice où le général Koenig prenait ses vacances. Finalement le choix a été porté sur Aix-les-Bains où le président Pinay faisait sa cure. C’est ainsi que s’explique le choix de cette ville d’eau. Il était essentiel de faire participer le ministre français des Affaires étrangères : l’avenir du gouvernement Faure en dépendait.
M. Grandval, virtuellement démissionnaire depuis le 12 août, était opposé à cette conférence : il considérait que sa réunion était une atteinte à ses prérogatives, à son autorité, en tant que résident général, dépositaire des pouvoirs de la République. Aussi, décida-t-il, en dépit de l’insistance du président Faure, de ne pas y assister.
Cependant, il transmit les « invitations » aux partis politiques, aux notables modérés, aux traditionalistes, aux groupements des Français libéraux et à « Présencefrançaise».
Le 19 août, Mohammed Lyazidi et Mehdi Ben Barka étaient reçus à Rabat : ils voyaient un résident général inquiet, qui s’efforçait de ne pas le paraître et leur laissait entendre qu’il ne voyait pas d’utilité à cette conférence.
Quel était le but de cette conférence ? Avait-elle un ordre du jour? Comment serait-elle organisée ?
Le résident restait très évasif à ce sujet, et ne put donner de réponse précise aux questions posées.
A Paris, de mon côté, la seule précision que je pus obtenir et qui me paraissait acceptable était celle-ci : Ben Arafa, n’ayant pu « constituer un gouvernement » marocain représentatif dans les délais impartis, le Comité de coordination pour l’Afrique du Nord devait tirer les conclusions de cet échec. Pour cela il fallait mettre le ministre des Affaires étrangères, M. Pinay, dans le « bain marocain », et lui permettre d’avoir, pour la première fois, un entretien direct avec les représentants du nationalisme marocain. Ce fut en quelque sorte une conférence à caractère plutôt pédagogique, à l’usage des républicains indépendants. Je fis part de ces explications au Comité exécutif du parti par téléphone.
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.
Les troupes françaises furent expédiées sur les lieux et ce fut la chasse aux Marocains, dans leurs maisons, les douars environnants, pendant deux jours, sans ménager personne, ni enfants ni femmes ni vieillards. Cette opération provoqua la mort d’une centaine de victimes, sans compter les blessés et les dégâts matériels (destruction d’habitation, perte de bétail, etc.).
Le grand centre minier de Khouribga, lui même très proche de Oued-Zem et de Boujaâd, fut le théâtre des luttes ouvrières et populaires les plus impressionnantes.
Dès le 20 août au matin, toute la classe ouvrière se mit en grève. Une grève générale qui paralysa l’exploitation des phosphates. Des manifestations de masse rassemblaient des milliers de travailleurs accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants.
Là aussi, les paysans de la région arrivés par vagues successives, étaient au rendez-vous. Ce fut l’un des plus beaux exemples de l’unanimité du peuple marocain contre la domination coloniale et pour la restauration de Ben Youssef.
Le personnel français d’encadrement, les fonctionnaires des services administratifs, tous armés, s’étaient mobilisés dès l’aube. A quelques exceptions près, ils avaient la réputation largement méritée d’être les « plus ultras » parmi les « ultras » de « Présence-Française ». Secondés par les mokhaznis à la solde de l’Office des phosphates, ils dispersèrent brutalement les manifestants et ont contraint les travailleurs à reprendre le travail. Ils pensaient procéder comme en 1948 et 1950 : créer un climat de terreur par l’usage des armes, décapiter le mouvement par l’arrestation de tous les responsables syndicaux, le licenciement en masse de plusieurs centaines de travailleurs. Aussi, dans l’après midi, sont-ils passés délibérément à l’attaque, particulièrement dans la misérable cité ouvrière. Les manifestants aux mains nues tombaient sous les balles. D’autres parmi les dirigeants syndicaux furent poursuivis jusque dans leurs demeures. Ce massacre organisé fit plusieurs dizaines de victimes, peut-être une centaine, tous parmi les Marocains. Les services du protectorat n’ont annoncé aucune victime parmi le personnel français.
Cependant, les travailleurs et les paysans ont résisté magnifiquement à la répression. A défaut d’armes pour pouvoir se défendre, ils ont organisé le sabotage des installations d’extraction du minerai. Les dégâts enregistrés ont été évalués à plusieurs centaines de millions de francs. L’Office des phosphates dut interrompre ses activités durant plusieurs jours.
Certains des Français libéraux nous firent le reproche de n’avoir rien fait pour empêcher ces sabotages : « C’est votre propre richesse, que vous détruisez », nous disaient-ils.
« C’est nominalement notre richesse c’est vrai, répondaient les dirigeants syndicalistes.
Mais jusqu’à présent, elle ne profite qu’au système du protectorat, à son appareil répressif, aux agents français de l’Office qui s’octroient des traitements, primes diverses et privilèges scandaleux... Seule la fin du système colonial du protectorat, mettra fin à notre exploitation... ».
Cela confortait l’idée que la satisfaction des revendications purement professionnelles était liée désormais de façon étroite, au triomphe de la cause nationale, c’est-à-dire à l’abrogation du traité de 1912 et à la proclamation de l’indépendance du Maroc.
A Casablanca, une grève générale a paralysé toute activité : les travailleurs du secteur privé, des services publics ou concédés furent à l’avant-garde du combat.
Les forces de répression y étaient massées depuis plusieurs jours. Le 20 août, la grande cité avait l’aspect d’une ville conquise et occupée : les blindés étaient en position dans les grandes artères, policiers et hommes de troupes investissaient tous les quartiers et dispersaient, à coups de crosse, le moindre rassemblement.
Cependant, cet étalage de force, n’eut pas le résultat escompté. Les masses populaires, à la tête desquelles se trouvaient les travailleurs en grève, organisèrent plusieurs manifestations durant toute la journée. Des affrontements sanglants eurent lieu dans plusieurs quartiers. La troupe n’hésita pas à faire usage de ses armes, tirant dans le tas. Plusieurs victimes parmi les Marocains durent payer de leur sang leur détermination à combattre pour le triomphe de la cause nationale, il n’y eut pas une seule victime parmi la population civile européenne.
A Rabat, le mot d’ordre de grève générale a été suivi partout. Les magasins européens, bien que protégés par les troupes, durent également baisser leurs rideaux. Cependant, au quartier populaire Douar Doum, les policiers eurent recours à leurs provocations habituelles : les passants, quels qu’ils fussent, étaient pourchassés, matraqués sans motif. C’est alors que les travailleurs de ce quartier décidèrent de riposter aux brutalités policières. Des groupes se formèrent alors pour affronter les policiers. Ces derniers, là comme ailleurs, firent usage de leurs armes faisant de nombreuses victimes, dont des femmes et des enfants. Ce n’est que le soir, que le calme revint.
Le peuple de Mazagan a aussi observé une grève générale. Les manifestations populaires étaient massives et ne prirent fin qu’à la tombée de la nuit. L’affrontement avec les forces punitives fut sanglant, comme partout dans le pays : 5 morts, 40 blessés, tous marocains.
Khemisset, ville berbère comme Khénifra, connut une journée glorieuse. Des milliers de manifestants, parmi lesquels les paysans de la région étaient aux prises avec les forces de la répression. Plusieurs blessés, 2 ou 3 morts, tel a été le bilan, parmi les Marocains. Il n’y a pas eu de victimes parmi la population civile européenne.
L’histoire des luttes populaires, depuis la nomination du général Juin au Maroc et en particulier depuis 1952 reste à écrire. Cependant au sujet des journées insurrectionnelles des 19, 20 21 et 22 août 1955, il nous parait nécessaire de faire quelques réflexions :
1) Le mythe du « bled » sain était réduit à néant. Les responsables de la politique française au Maroc en ont été édifiés. Je pense en particulier à M. Gilbert Grandval. Jamais l’union du peuple n’était apparue avec autant d’éclat. Le corps des contrôleurs civils s’était-il trompé à ce point ? Personne, parmi les Marocains et de nombreux Français, ne le pensait. La plupart des contrôleurs civils, des chefs de région étaient au fait de la réalité. Mais ils ne pouvaient se déjuger, parce qu’ils avaient été les exécuteurs, sinon les instigateurs, du coup de force de 1953. Ils pensaient pouvoir franchir le cap du 20 août, par la répression systématique, la diffusion d’informations trompeuses ou falsifiées. Ils ont abusé de la confiance de leur chef suprême, le résident général G. Grandval, en cherchant, avant la date fatidique, à le rassurer, à minimiser l’éventualité des réactions des masses paysannes. Pour notre part, nous n’avons jamais manqué de prévenir les responsables français de l’extrême gravité de la situation, de l’éventualité d’explosions de colère d’un peuple lassé d’attendre. Mais, fort probablement, on a mis ces mises en garde sur le compte de l’exagération lyrique, de la dramatisation.
2) Le reproche parfois amer nous a été fait de n’avoir rien fait pour calmer les esprits et éviter de tels événements. Sur ce point, l’explication doit être franche. A la veille du 20 août, le climat, dans les villes comme dans les campagnes n’était pas à l’apaisement : tout le monde savait que le « plan Grandval » avait été abandonné. La désillusion était générale. Ben Arafa était même invité par les gouvernants français à former un gouvernement « représentatif ». On attendait son départ, voilà à présent qu’il était remis en selle ! Toute consigne prêchant le calme eut été interprétée comme un appui au « plan » Ben Arafa et une manoeuvre de démobilisation des masses populaires. Celles-ci ne pouvaient s’affirmer que dans le refus obstiné et dans le renforcement et la généralisation de la lutte de libération.
A propos de ces journées, on a parlé de fureur démentielle, d’actes de barbarie, etc… On a mis en relief le fait que des femmes et des enfants n’aient pas été épargnés par les manifestants. Mais on ne rendait bien entendu compte, que des femmes ou d’enfants européens. Les femmes et les enfants marocains abattus, par dizaines, ne suscitèrent pas autant d’émotion et d’indignation. Ils ne comptaient presque pas.
Quant au recours à la violence physique par un peuple opprimé, soumis à la dictature d’un régime policier, il n’avait, pour nous, rien d’intrinsèquement illégitime. La guérilla, le «terrorisme», les sabotages sont les seuls moyens de luttes normaux pour les peuples attachés à leur identité, à leur patrie et à leur liberté. Inutile d’épiloguer la-dessus car il faudrait beaucoup de naïveté ou d’hypocrisie pour s’offusquer de l’emploi de ces formes de lutte dans la conjoncture dramatique où se trouvait le peuple marocain.
3) Ces journées ont été essentiellement marquées par la participation massive des paysans. Pour nombre d’Européens, la surprise a été totale et le phénomène inexpliqué. Pourtant il y a une explication à ce fait, en particulier en ce qui concerne Khouribga, Boujaâd, Oued-Zem et Aït-Amar. Les syndicalistes ont accompli dans ces régions un travail en profondeur. On sait que les milliers de travailleurs des mines de Khouribga et des Aït-Amar sont presque tous originaires des campagnes d’Oued-Zem, de Boujaad, etc. Les liens familiaux, comme partout au Maroc, restent solides entre les ouvriers et leurs familles d’origine paysanne. La prise de conscience du paysannat et sa participation à la lutte pour l’indépendance se sont faites grâce à l’action des syndicalistes. Il y a là un exemple déterminant du rôle d’avant-garde joué par la classe ouvrière qui a encadré et entraîné avec elle, dans le combat, la paysannerie opprimée.
LE TOURNANT D’AIX-LES-BAINS (Août – Septembre 1955)
La rencontre franco-marocaine d’Aix-les-Bains s’est tenue du 22 au 27 août 1955.
Il a d’abord été envisagé de la tenir à Nice où le général Koenig prenait ses vacances. Finalement le choix a été porté sur Aix-les-Bains où le président Pinay faisait sa cure. C’est ainsi que s’explique le choix de cette ville d’eau. Il était essentiel de faire participer le ministre français des Affaires étrangères : l’avenir du gouvernement Faure en dépendait.
M. Grandval, virtuellement démissionnaire depuis le 12 août, était opposé à cette conférence : il considérait que sa réunion était une atteinte à ses prérogatives, à son autorité, en tant que résident général, dépositaire des pouvoirs de la République. Aussi, décida-t-il, en dépit de l’insistance du président Faure, de ne pas y assister.
Cependant, il transmit les « invitations » aux partis politiques, aux notables modérés, aux traditionalistes, aux groupements des Français libéraux et à « Présencefrançaise».
Le 19 août, Mohammed Lyazidi et Mehdi Ben Barka étaient reçus à Rabat : ils voyaient un résident général inquiet, qui s’efforçait de ne pas le paraître et leur laissait entendre qu’il ne voyait pas d’utilité à cette conférence.
Quel était le but de cette conférence ? Avait-elle un ordre du jour? Comment serait-elle organisée ?
Le résident restait très évasif à ce sujet, et ne put donner de réponse précise aux questions posées.
A Paris, de mon côté, la seule précision que je pus obtenir et qui me paraissait acceptable était celle-ci : Ben Arafa, n’ayant pu « constituer un gouvernement » marocain représentatif dans les délais impartis, le Comité de coordination pour l’Afrique du Nord devait tirer les conclusions de cet échec. Pour cela il fallait mettre le ministre des Affaires étrangères, M. Pinay, dans le « bain marocain », et lui permettre d’avoir, pour la première fois, un entretien direct avec les représentants du nationalisme marocain. Ce fut en quelque sorte une conférence à caractère plutôt pédagogique, à l’usage des républicains indépendants. Je fis part de ces explications au Comité exécutif du parti par téléphone.