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«Les cinq gardiens de la
parole perdue» est d’entraîner
le lecteur dans un monde magique.
Celui de notre quotidienneté
réenchanté par le regard
de l’écrivain
Ce récit «fantastique» – pas forcément au sens que l’on croit – d’El Mehdi El Kourti commence par décrire un mystérieux personnage nommé Hubert. Nous sommes au Maghreb, à la fin du XIXème siècle. L’homme a été choisi pour être l’un des Cinq gardiens du secret détenu par une confrérie. Et puis très vite, on bascule dans le monde casablancais contemporain. Ilyad s’apprête à être reçu par la même confrérie au moment où un péril se fait sentir. Ce jeune journaliste est connu pour ses enquêtes sur les marabouts et les saints de la ville. Le vénérable maître Tawfiq sent que son aide sera précieuse. Il sera sauvagement assassiné avec tous les membres de la confrérie par un tueur nommé Elyazid. Ilyad arrive juste après le massacre et réussit à lui échapper de justesse. Accompagné d’une ravissante historienne nommée Assia et d’une étrange inconnue répondant au prénom de Sara, il doit retrouver le secret détenu par les Cinq gardiens et mettre la main sur Isaac, qui pourrait être le dernier survivant de la confrérie. D’énigme en énigme, de code secret en code secret, ils vont parcourir un long voyage entre Casa et Marrakech, et être confrontés tant avec les spectres surgis du passé qu’avec la violence de notre monde contemporain.
L’une des qualités du livre d’El Mehdi El Kourti est d’entraîner le lecteur dans un monde magique, qui est celui de notre quotidienneté, réenchanté par le regard de l’écrivain. C’est à ce niveau, à notre avis, que ce livre est «fantastique» et non pas dans une quelconque affinité avec la littérature de science-fiction. S’il peut en effet être rapproché avec le Da Vinci Code, nous le relierons davantage avec la tradition des polars ésotériques tels que «Les rivières pourpres» ou bien «La marque des anges» signés tous les deux par Jean-Christophe Grangé. Que cela soit au niveau du site de Sidi Belyout, considéré comme le saint patron de Casablanca, au complexe sportif Mohamed Zafzaf, décrit comme une ancienne église coloniale transformée en salle de sport, en passant par les anciens bordels de Bousbir ou par les sous-sols inconnus du Jardin Majorelle, les personnages investissent des lieux chargés de mystères et entraînent le lecteur dans des univers magiques. On sent l’atmosphère des sociétés secrètes restituée avec brio par ce jeune auteur qui pose les jalons de la quête mystique.
L’autre qualité du livre se trouve dans son originalité et dans la capacité à tenir le lecteur en haleine. En effet, on ne s’attend guère à retrouver un dialogue d’outre-tombe avec le Maréchal Lyautey et à être plongé dans l’atmosphère trouble de la colonisation, qui a gardé certaines traces indélébiles dans le Maroc contemporain. D’autres rebondissements sont également au rendez-vous, notamment dans les relations équivoques entre les trois personnages. Ilyad est tiraillé entre le charme latent d’Assia et la sensualité affichée de Sara. Un soir, les deux femmes dorment chez lui et créent une atmosphère trouble. Encore en proie à l’angoisse d’être retrouvé par le tueur Elyazid et à l’appréhension de la nouvelle énigme, le journaliste contemple les beautés féminines qui ont envahi les murs de son appartement : «La vision de Sara chassa de sitôt cette attente. S’il la trouvait gracieuse, distinguée et attrayante dans sa robe en gris et noir, et qu’il ne pouvait s’empêcher de la reluquer, il la trouvait coquette, désirable et attirante simplement vêtue de son T-shirt qui dévoilait ses jambes minces et élancées».
Car c’est bien l’ambivalence même de l’énigme qui est au cœur de cette aventure, où l’on se perd en cherchant un secret dont on ignore tout. Les personnalités du journaliste et de l’historienne fusionnent pour ne faire plus qu’un seul corps fasciné autant par l’objet de la quête que par la quête elle-même, notamment lorsque les voies suivies les entraînent au bord de l’abîme. Ilyad est fasciné par «l’emballement d’Assia et le zèle qu’elle introduit pour les investigations et les enquêtes propres à son métier de journalistes prirent le dessus». A l’image de la partie d’échecs dans laquelle tous les protagonistes sont partie prenante, le roman d’El Mehdi El Kourti nous montre que les plaisirs du jeu se trouvent avant tout dans l’investissement émotionnel des acteurs et non pas dans son achèvement : «Il y a toujours une dimension stratégique dans les rapports de séduction. Une forte excitation dans le jeu lui-même, indépendamment de l’issue». C’est d’ailleurs pour cela que nous avons hâte de lire le deuxième roman d’El Mehdi El Kourti, Les sept sages de l’Apocalypse, à paraître également aux éditions Casa Express.
* Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat
(Cercle de littérature contemporaine)