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Reda Dalil : L’écriture m’a sauvéLundi 30 Juin 2014
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Après une brillante carrière dans le monde des finances, Reda Dalil a tout laissé tomber pour se consacrer à sa passion première : l’écriture et la littérature. Economiste de formation, il est également rédacteur en chef de l’hebdomadaire «Le Temps». Son premier roman «Le Job» est actuellement nominé pour le Prix littéraire de la Mamounia. Entretien. Libé : Votre roman «Le Job» est nominé pour le Prix littéraire de la Mamounia. Quel effet cela vous fait-il ? Reda Dalil : C’est un sentiment assez indescriptible. Une grande fierté. L’écriture étant un processus tellement solitaire, tellement ardu, la moindre accolade, la moindre distinction est accueillie avec un bonheur immense. Cette sélection est, pour ainsi dire, une reconnaissance des efforts consentis à produire une œuvre. Elle constitue également une sacrée motivation pour l’avenir. Si, il y a un an de cela, vous m’aviez dit que mon roman concourait pour un prix aussi important, je n’y aurais probablement pas cru. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en tant qu’écrivain, on vit en reclus pendant trois ou quatre mois, afin d’engendrer un texte. Ensuite viennent la publication, les premiers avis, les premières réactions, les premières signatures. Et, au fil des semaines, on sent que quelque chose se met en place. Dieu merci, « Le Job » a bénéficié d’un accueil très positif de la part des lecteurs. Restait à savoir si les “professionnels” réagiraient de la même manière. Ce qui n’était pas gagné d’avance. En général, un succès de librairie effarouche les puristes. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas. Et cette sélection le démontre. J’en suis plus que ravi. Il s’agit là de votre premier roman. Quel en a été l’élément déclencheur ? L’élément déclencheur a été la grande crise financière mondiale de 2008-2009 et les monstrueuses vagues de licenciements qui l’ont accompagnée. Les secousses de ce tsunami né aux Etats-Unis se sont ressenties aux quatre coins du globe, y compris chez nous où de nombreux cadres supérieurs ont perdu leur emploi. Ce qui m’a fasciné et effrayé au plus haut point, c’est de constater qu’il existait un lien, aussi ténu soit-il, entre un immigré mexicain auquel on a remis les clefs d’une maison à 200 000 dollars, un Latino pourtant insolvable, et le licenciement d’un cadre au Maroc. Cadre dont l’existence et les soucis sont à des années lumière de ce qui se passe en Amérique. C’est cette absurdité, cet insupportable et tragique effet papillon que j’ai voulu disséquer, comprendre à travers l’écriture de “Le Job”. Effectivement, vous parlez dans ce livre de la déchéance sociale et économique d’un jeune cadre casablancais. Pourquoi avez-vous opté pour “un héros“ issu de la classe moyenne? Parce que je voulais rendre hommage à cette classe moyenne. Le héros du roman : Ghali Habchi fait partie de ceux qui triment, ceux qu’on abandonne, qu’on surtaxe, qui payent leurs impôts, règlent leurs traites, se soulagent de 5000 DH/mois en frais de scolarité au profit d’écoles privées. Ce sont ceux qui encaissent la suppression des subventions sur l’essence aujourd’hui, demain sur le pain, etc. Il y a un paradoxe incroyable dans ce pays. Lorsqu’on est pauvre, qu’on a irrémédiablement intériorisé, digéré sa pauvreté, on vit en mode de survie mais on vit quand même. Les horizons étant bouchés par une erreur de départ, une anomalie fondamentale, on se fait une raison. Dès lors, on envoie ses enfants dans le public, on se soigne au Ramed, on bénéficiera bientôt de l’aide aux démunis. Mieux, l’Etat n’est pas trop tatillon par rapport à la fiscalité. Afin de préserver la paix sociale, on laisse des gens vendre clandestinement des gadgets, colifichets, sur la chaussée. Bref, le système D fonctionne à plein. Pour les riches, la question ne se pose pas. Or la classe moyenne, elle, est soumise à une pression asphyxiante, elle compose, calcule, alloue ses maigres ressources à d’innombrables dépenses, s’endette au-delà du raisonnable. Rares malheureusement sont les écrivains à installer leurs récits, leurs trames, chez les moyens. La normalité n’intéresse pas, elle est l’évidence même ; or l’évidence, le banal tend à produire de l’ennui. Mais c’est justement cette catégorie-là qui est en proie aux angoisses existentielles les plus tenaces, à la peur du lendemain. Ghali Habchi, jeune trentenaire sauvagement licencié, en est l’exemple type. «Le Job» est un roman qui salue la résignation et la résilience héroïques des «moyens». Dans votre œuvre, certaines phrases sont d’une grande beauté stylistique, alors que d’autres sont plutôt sobres et dépouillées. J’ai écrit ce roman à l’instinct, au réflexe. Disons que je l’ai écrit sincèrement. A aucun moment je ne me suis arrêté sur une phrase en me disant :” Non ce n’est pas assez beau”. Si j’avais besoin de dire clope, je disais clope, si un personnage devait à un moment précis dire :”ferme-là”, eh bien il disait “ferme-là”, non pas :” Je vous prie d’interrompre votre débit sonore” (rires)… Du coup, le style s’efface devant l’histoire. L’histoire, c’est tout ce qui compte. Je voulais écrire une histoire qui puisse passionner les lecteurs, leur faire passer deux ou trois heures plaisantes. Vous avez un nouveau roman en chantier. Quel en sera le thème? Je suis en passe de boucler un roman dans lequel il sera encore question d’un cadre supérieur. Je suis très attiré par le milieu du travail, cet univers qui concentre une gamme très large de pulsions, de sentiments, d’antagonismes. Un plateau de bureaux, c‘est un microcosme très shakespearien, jalousie, ressentiment, euphorie, compétition, l’employé y est confronté aux émotions les plus diverses et les plus contradictoires. Le roman narre l’histoire d’un trentenaire sans diplôme mais doté d’un QI supérieur à la moyenne qui se fabriquera un faux CV dans le but de se faire embaucher. Surprise, son arnaque fonctionne si bien qu’en très peu de temps, il brigue des postes très importants. Mais…Il s’agira de conserver le secret. Or, dans le monde du business où la médisance est une seconde nature, les secrets ne tiennent pas longtemps. Je ne vous en dis pas plus. Certains auteurs rêvent d’écrire les livres qu’ils aimeraient lire. Est-ce le cas pour vous ? Probablement. Mais je pense que le processus de création s’émancipe totalement de la volonté du démiurge. Au moment où j’écrivais «Le Job», je m’étais passionné pour un écrivain français du dix-neuvième siècle : Octave Mirbeau. J’en étais presque obsédé. Je retrouve ici et là dans mon roman l’empreinte de cet auteur. Dans les descriptions du physique des personnages notamment. Mais mes grandes influences viennent de la littérature américaine. Une veine romanesque behavioriste, comportementale où les jugements de valeurs n’ont pas leur place. Le tour de force d’un écrivain américain consiste en une règle cardinale : Show, don’t tell. Montrez les choses, ne les racontez pas. Vous ne trouverez jamais dans « Le Job », un passage où le narrateur Ghali Habchi dénonce un phénomène de société, ou se lance dans une diatribe moralisante. Pour en revenir aux Américains, je voue un véritable culte à des auteurs tels que Stephen King, Bret Easton Ellis, Jay McInerney, Pat Conroy et John Irving. Les éléments de suspense, et les rebondissements incessants qu’ont relevés les lecteurs dans «Le Job», trouvent leur origine dans cette littérature-là. Donc oui, j’ai produit une sorte d’ersatz, de synthèse un peu baroque de tout ce que j’aime lire. Vous avez tourné le dos à une brillante carrière dans le monde des finances, pour vous consacrer à l’écriture. Comment s’est opéré ce choix ? Effectivement, j’ai été financier dans une vie antérieure. J’ai vécu l’univers de la multinationale de l’intérieur, je l’ai ressenti dans ma chair, j’en porte encore les stigmates. Les heures impossibles, des journées de travail qui finissent aux premières lueurs de l’aube. C’était harassant. Je frôlais le burnout. Mais j’avais un objectif hallucinant, grotesque, humainement inatteignable. Il fallait que j’assure, j’avais un crédit, des traites. J’étais contraint de forcer ma nature. Cela a duré jusqu’au point de rupture, une friction avec la hiérarchie qui a enflé, enflé, et un jour il a fallu que l’abcès crève. J’en suis ressorti cassé, avec une estime de moi-même en peau de chagrin. Après cela, j’ai envisagé la vie autrement, non comme une course effrénée et interminable vers un travail aliénant, des deadlines aiguisées comme des lames de couteau, mais comme une occasion de m’accomplir, de m’épanouir. J’avais, contrairement à beaucoup d’autres hélas, une appétence pour l’écriture. J’en ai fais mon métier. De cette expérience est né «Le Job». On peut dire que l’écriture m’a sauvé. Propos recueillis par Mehdi Ouassat
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