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“La qualité principale de Moha Souag se retrouve dans tous ses livres, et elle est rare voire précieuse : une connaissance vraie
des milieux qu’il évoque,
un respect pour les
protagonistes de la fable qu’il concocte, la mesure juste des pesanteurs de la société, du poids de
l’histoire, des contraintes subies et de l’espoir
préservé». C’est en ces termes que Salim Jay
présente l’écrivain
marocain d’écriture
française, Moha Souag.
Un écrivain authentique, sans fard et sans faux-semblant qui dépeint la
condition humaine dans ses contradictions, ses réussites et ses échecs. De “L’année de la chienne” “Et plus si affinités”, en passant par d’autres textes tels “Les années U” ou “La femme
du soldat”, Moha Souag continue de cheminer sur la lumière réfléchie de ses convictions d’écrivain marocain de son époque.
Libé : Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
M.S : La découverte du pouvoir de la langue. Sa capacité de faire rire, de faire pleurer à travers les contes et les poèmes de l’enfance. L’écriture est venue justement pour restituer toutes ses sensations.
Quelles étaient vos lectures d’alors ?
Je lisais beaucoup de revues parce qu’il y avait des photos. Puis un jour, quelqu’un m’a donné deux livres, l’un en arabe et l’autre en français. J’ai commencé à lire celui d’Al Manfalouti, écrivain égyptien. C’était un truc dégoulinant de bons sentiments, de larmes et de plaintes, je ne l’ai pas terminé. L’autre c’était Dostoïevksi. C’était la découverte de l’étrangeté de l’autre à travers des romans comme Les Frères Karamazov que j’ai lu d’une traite et où je n’ai rien compris. Mais, c’était un monde étrange et fascinant. Dans l’édition que j’ai lue, il y avait un petit poème dont je me souviens encore aujourd’hui :
“J’ai vu l’ombre d’un cocher
Frotter avec l’ombre d’une brosse
L’ombre d’une carrosse”
J’ai demandé à mon professeur de français de m’expliquer le poème, mais il fut étonné qu’un petit bonhomme lui parle de Dostoeïvski.
Peut-on dire que vous étiez d’abord frappé par la dimension exotique et fantastique du monde que décrivait la langue ?
Oui, la langue, à travers la littérature, peut non seulement décrire les mondes qui existent mais surtout les mondes qui n’existent pas. Et l’exotisme est cette capacité de sortir de soi-même. La littérature m’a tiré de mon monde pour me montrer qu’il y a d’autres mondes possibles. Et de là je me suis intéressé à la littérature russe en premier lieu, mais aussi aux littératures d’autres pays. J’ai découvert que nous n’étions pas seuls dans le monde, qu’il y avait d’autres horizons à connaître.
Est-ce que cette dimension étrange et exotique du monde existe dans votre imaginaire en tant que romancier ?
Pour moi l’homme normal qui vit son quotidien est si rigide qu’il devient fantastique et même absurde. Le fait de vouloir être normal fait que l’être humain ne pense pas à toutes les possibilités que lui offre la vie en général. Mon écriture est un peu une réponse à une question : est-ce qu’on ne peut pas vivre autrement ?
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire : qui impose la norme ? Qui décide de ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas ? Le fait de pousser un comportement normal à ses limites élimine l’imagination, donc élimine la liberté de penser, la liberté d’agir.
Vos personnages sont-ils normaux ? Nous ressemblent-ils ?
Trop normaux (Rires). Ce sont des personnages qui obéissent à une logique qui aboutit à l’absurde.
Le cas de Aziz dans La femme du soldat, par exemple ?
Effectivement. C’est le cas de Aziz ou Karima qui, à force de vouloir vivre une vie normale, ont fini dans l’absurde.
On dit parfois pour s’amuser que le recours à la production artistique d’une manière générale est une manière d’échapper à l’incompatibilité qui existe entre l’être et le monde. Il s’agit, autrement dit, de recréer le monde en s’essayant de le réhabiliter. Qu’en pensez-vous ?
C’est juste. Tout le problème de l’être humain est de naître et de vivre avec beaucoup de questions sans réponses. L’homme a toujours essayé de trouver des réponses qui le dépassent par la magie, par la mythologie, par la religion, par la philosophie ou par la science. Ensuite, il y a l’impuissance de l’homme à sa naissance et en face de la mort. L’homme est l’un des êtres qui a besoin qu’on s’occupe de lui depuis sa naissance. Il est en état de dépendance pour sa nourriture, pour ses apprentissages, car la connaissance n’est pas offerte par la nature et les sens de l’homme lui mentent. La vérité et la connaissance exigent une démarche coercitive pour s’imposer à l’homme. Et puis l’homme ne sait ni quand ni où il va mourir et, pire encore, il ignore ce qui l’attend après la mort. Donc à travers la littérature, à travers l’art, il essaie de reconstituer un monde compréhensible.
Et l’enfant dans tout cela ? Ce rebelle, ce génie qui habite l’artiste ?
L’enfant présent en nous est brimé par l’éducation. Il est rarement épanoui, car toute l’éducation donnée par les adultes tend à forger l’enfant à l’image de l’adulte qui est lui-même l’image d’un être absolu. On parle de l’image et les enfants aiment les images, mais quelle image leur offrent les adultes ? Dès qu’un enfant ne croit plus qu’un roseau ne peut être un cheval, qu’une boîte d’allumettes ne peut être une voiture, son enfance est perdue.
Vous voulez dire la force de l’imagination ?
Oui. La force de l’homme c’est l’imagination, c’est l’imaginaire, c’est le rêve, c’est la capacité d’aller au-delà de ce qui est, de trouver des solutions.
Pour qui écrit Moha Souag ?
Pour moi-même d’abord, parce que lorsqu’on commence à écrire, on n’a pas en tête un lecteur précis sauf soi-même bien sûr. Ce n’est qu’après que se dessine un lecteur potentiel, générique. C’est d’abord quelqu’un qui sait lire et quelqu’un qui peut acheter un livre et qui a une culture de lecture.
Quel regard portez-vous sur la lecture aujourd’hui au Maroc ?
Alors soyons clair : la lecture se porte bien au Maroc. Si les maisons d’éditions et les libraires ne vendaient rien, ils auraient fermé leurs boutiques depuis longtemps ; exemple les salles de cinéma. Ceci dit la lecture n’est pas un projet irréalisable. Si les responsables à tous les niveaux s’y mettent sérieusement, le problème sera résolu et je commence par les parents, s’ils prennent la peine d’introduire des livres à la maison ce sera déjà un pas très important ! La lecture comme le sport ou la musique cela s’apprend, c’est une éducation. Eduquer les enfants à lire. Où ? Quand ? Comment ? La première des choses à introduire dans les classes qu’elles soient maternelles ou primaires ce sont des livres. Que l’enfant puisse feuilleter des livres dès sa première enfance. Et cela doit le suivre partout lors de son cursus scolaire. Et une chose très importante c’est le mentor, s’il aime la lecture ses élèves aimeront les livres. Tous les circuits créatifs et commerciaux de la lecture visent le lecteur ; or, au Maroc, il est le dernier à savoir qu’un livre est sorti et même quand il le sait il ne peut pas le trouver en librairie ! Ces circuits ne sont pas professionnels ; il y a des trous au niveau de la distribution et de l’information. Ce n’est que ces dernières années que l’on a réintroduit la lecture des œuvres intégrales d’un auteur en deuxième cycle et cela a soulevé les boucliers non des élèves mais aussi des professeurs sous prétextes que les élèves n’arrivent pas à terminer un simple roman !
La femme marocaine connaît actuellement une certaine présence dans tous les domaines de la vie active. Comment voyez-vous sa condition dans le Maroc d’aujourd’hui ?
Sa condition ? La condition qu’on lui fait, la condition qu’on lui impose ! Dois-je joindre mon couplet sur la schizoïdité de la personnalité marocaine : la femme marocaine occupe les postes les plus pointus de la science et de l’ingénierie au Maroc mais doit composer avec des lois médiévales. Je ne sais pas comment nous en sortir de ce genre de situation mais elle est là !
Que vous disent le temps et l’âge ?
J’ai un drôle de rapport avec le temps. Je ne tiens compte du temps réel que pour mes rendez-vous. Mon temps à moi est vaste et sans limites. Il n’y a que les faiblesses et l’usure du corps qui me rappellent l’âge. Mais chaque âge a ses forces et ses faiblesses. En chacun de nous, il y a deux âges, celui de toute l’humanité et le nôtre propre. Nous vivons l’éternité dans l’âge de l’humanité, celui que nous partageons avec les générations passées et celles à venir. Que notre corps soit présent ou non, nous sommes là, à travers l’histoire, à travers la continuité de l’humanité.
Quels sont vos projets à venir ?
Des projets qui n’aboutiront pas comme d’habitude, mais cela ne me dérange pas car j’ai l’éternité devant moi ! Plusieurs propositions de scénario, des romans, des recueils de nouvelles….
Un dernier mot aux lecteurs de Libération ?
Qu’ils continuent à lire Libération !
des milieux qu’il évoque,
un respect pour les
protagonistes de la fable qu’il concocte, la mesure juste des pesanteurs de la société, du poids de
l’histoire, des contraintes subies et de l’espoir
préservé». C’est en ces termes que Salim Jay
présente l’écrivain
marocain d’écriture
française, Moha Souag.
Un écrivain authentique, sans fard et sans faux-semblant qui dépeint la
condition humaine dans ses contradictions, ses réussites et ses échecs. De “L’année de la chienne” “Et plus si affinités”, en passant par d’autres textes tels “Les années U” ou “La femme
du soldat”, Moha Souag continue de cheminer sur la lumière réfléchie de ses convictions d’écrivain marocain de son époque.
Libé : Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
M.S : La découverte du pouvoir de la langue. Sa capacité de faire rire, de faire pleurer à travers les contes et les poèmes de l’enfance. L’écriture est venue justement pour restituer toutes ses sensations.
Quelles étaient vos lectures d’alors ?
Je lisais beaucoup de revues parce qu’il y avait des photos. Puis un jour, quelqu’un m’a donné deux livres, l’un en arabe et l’autre en français. J’ai commencé à lire celui d’Al Manfalouti, écrivain égyptien. C’était un truc dégoulinant de bons sentiments, de larmes et de plaintes, je ne l’ai pas terminé. L’autre c’était Dostoïevksi. C’était la découverte de l’étrangeté de l’autre à travers des romans comme Les Frères Karamazov que j’ai lu d’une traite et où je n’ai rien compris. Mais, c’était un monde étrange et fascinant. Dans l’édition que j’ai lue, il y avait un petit poème dont je me souviens encore aujourd’hui :
“J’ai vu l’ombre d’un cocher
Frotter avec l’ombre d’une brosse
L’ombre d’une carrosse”
J’ai demandé à mon professeur de français de m’expliquer le poème, mais il fut étonné qu’un petit bonhomme lui parle de Dostoeïvski.
Peut-on dire que vous étiez d’abord frappé par la dimension exotique et fantastique du monde que décrivait la langue ?
Oui, la langue, à travers la littérature, peut non seulement décrire les mondes qui existent mais surtout les mondes qui n’existent pas. Et l’exotisme est cette capacité de sortir de soi-même. La littérature m’a tiré de mon monde pour me montrer qu’il y a d’autres mondes possibles. Et de là je me suis intéressé à la littérature russe en premier lieu, mais aussi aux littératures d’autres pays. J’ai découvert que nous n’étions pas seuls dans le monde, qu’il y avait d’autres horizons à connaître.
Est-ce que cette dimension étrange et exotique du monde existe dans votre imaginaire en tant que romancier ?
Pour moi l’homme normal qui vit son quotidien est si rigide qu’il devient fantastique et même absurde. Le fait de vouloir être normal fait que l’être humain ne pense pas à toutes les possibilités que lui offre la vie en général. Mon écriture est un peu une réponse à une question : est-ce qu’on ne peut pas vivre autrement ?
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire : qui impose la norme ? Qui décide de ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas ? Le fait de pousser un comportement normal à ses limites élimine l’imagination, donc élimine la liberté de penser, la liberté d’agir.
Vos personnages sont-ils normaux ? Nous ressemblent-ils ?
Trop normaux (Rires). Ce sont des personnages qui obéissent à une logique qui aboutit à l’absurde.
Le cas de Aziz dans La femme du soldat, par exemple ?
Effectivement. C’est le cas de Aziz ou Karima qui, à force de vouloir vivre une vie normale, ont fini dans l’absurde.
On dit parfois pour s’amuser que le recours à la production artistique d’une manière générale est une manière d’échapper à l’incompatibilité qui existe entre l’être et le monde. Il s’agit, autrement dit, de recréer le monde en s’essayant de le réhabiliter. Qu’en pensez-vous ?
C’est juste. Tout le problème de l’être humain est de naître et de vivre avec beaucoup de questions sans réponses. L’homme a toujours essayé de trouver des réponses qui le dépassent par la magie, par la mythologie, par la religion, par la philosophie ou par la science. Ensuite, il y a l’impuissance de l’homme à sa naissance et en face de la mort. L’homme est l’un des êtres qui a besoin qu’on s’occupe de lui depuis sa naissance. Il est en état de dépendance pour sa nourriture, pour ses apprentissages, car la connaissance n’est pas offerte par la nature et les sens de l’homme lui mentent. La vérité et la connaissance exigent une démarche coercitive pour s’imposer à l’homme. Et puis l’homme ne sait ni quand ni où il va mourir et, pire encore, il ignore ce qui l’attend après la mort. Donc à travers la littérature, à travers l’art, il essaie de reconstituer un monde compréhensible.
Et l’enfant dans tout cela ? Ce rebelle, ce génie qui habite l’artiste ?
L’enfant présent en nous est brimé par l’éducation. Il est rarement épanoui, car toute l’éducation donnée par les adultes tend à forger l’enfant à l’image de l’adulte qui est lui-même l’image d’un être absolu. On parle de l’image et les enfants aiment les images, mais quelle image leur offrent les adultes ? Dès qu’un enfant ne croit plus qu’un roseau ne peut être un cheval, qu’une boîte d’allumettes ne peut être une voiture, son enfance est perdue.
Vous voulez dire la force de l’imagination ?
Oui. La force de l’homme c’est l’imagination, c’est l’imaginaire, c’est le rêve, c’est la capacité d’aller au-delà de ce qui est, de trouver des solutions.
Pour qui écrit Moha Souag ?
Pour moi-même d’abord, parce que lorsqu’on commence à écrire, on n’a pas en tête un lecteur précis sauf soi-même bien sûr. Ce n’est qu’après que se dessine un lecteur potentiel, générique. C’est d’abord quelqu’un qui sait lire et quelqu’un qui peut acheter un livre et qui a une culture de lecture.
Quel regard portez-vous sur la lecture aujourd’hui au Maroc ?
Alors soyons clair : la lecture se porte bien au Maroc. Si les maisons d’éditions et les libraires ne vendaient rien, ils auraient fermé leurs boutiques depuis longtemps ; exemple les salles de cinéma. Ceci dit la lecture n’est pas un projet irréalisable. Si les responsables à tous les niveaux s’y mettent sérieusement, le problème sera résolu et je commence par les parents, s’ils prennent la peine d’introduire des livres à la maison ce sera déjà un pas très important ! La lecture comme le sport ou la musique cela s’apprend, c’est une éducation. Eduquer les enfants à lire. Où ? Quand ? Comment ? La première des choses à introduire dans les classes qu’elles soient maternelles ou primaires ce sont des livres. Que l’enfant puisse feuilleter des livres dès sa première enfance. Et cela doit le suivre partout lors de son cursus scolaire. Et une chose très importante c’est le mentor, s’il aime la lecture ses élèves aimeront les livres. Tous les circuits créatifs et commerciaux de la lecture visent le lecteur ; or, au Maroc, il est le dernier à savoir qu’un livre est sorti et même quand il le sait il ne peut pas le trouver en librairie ! Ces circuits ne sont pas professionnels ; il y a des trous au niveau de la distribution et de l’information. Ce n’est que ces dernières années que l’on a réintroduit la lecture des œuvres intégrales d’un auteur en deuxième cycle et cela a soulevé les boucliers non des élèves mais aussi des professeurs sous prétextes que les élèves n’arrivent pas à terminer un simple roman !
La femme marocaine connaît actuellement une certaine présence dans tous les domaines de la vie active. Comment voyez-vous sa condition dans le Maroc d’aujourd’hui ?
Sa condition ? La condition qu’on lui fait, la condition qu’on lui impose ! Dois-je joindre mon couplet sur la schizoïdité de la personnalité marocaine : la femme marocaine occupe les postes les plus pointus de la science et de l’ingénierie au Maroc mais doit composer avec des lois médiévales. Je ne sais pas comment nous en sortir de ce genre de situation mais elle est là !
Que vous disent le temps et l’âge ?
J’ai un drôle de rapport avec le temps. Je ne tiens compte du temps réel que pour mes rendez-vous. Mon temps à moi est vaste et sans limites. Il n’y a que les faiblesses et l’usure du corps qui me rappellent l’âge. Mais chaque âge a ses forces et ses faiblesses. En chacun de nous, il y a deux âges, celui de toute l’humanité et le nôtre propre. Nous vivons l’éternité dans l’âge de l’humanité, celui que nous partageons avec les générations passées et celles à venir. Que notre corps soit présent ou non, nous sommes là, à travers l’histoire, à travers la continuité de l’humanité.
Quels sont vos projets à venir ?
Des projets qui n’aboutiront pas comme d’habitude, mais cela ne me dérange pas car j’ai l’éternité devant moi ! Plusieurs propositions de scénario, des romans, des recueils de nouvelles….
Un dernier mot aux lecteurs de Libération ?
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