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Selon certains bilans, le Maghreb serait l’une des contrées méditerranéennes la plus affectée par l’action de l’homme. Le pastoralisme, activité prégnante des populations berbères en place depuis la préhistoire, en est sans nul doute la cause essentielle. L’agriculture n’est effectivement intervenue en Afrique du Nord qu’avec l’avènement des Phéniciens, puis des Romains. Même si certaines cultures se sont définitivement installées (céréales, fruitiers, vigne), la conquête arabe puis l’occupation française amplifièrent à leur tour l’élevage des ovins et des caprins, dont le nombre de tête n’a fait qu’augmenter jusqu’à nos jours où il est exponentiel et en totale inadéquation avec les ressources disponibles, même les bonnes années de pluies utiles. Le Maghreb, dont le Maroc, n’a donc jamais joui d’une utilisation rationnelle du sol et les prémices de la dégradation des paysages forestiers sont anciennes. Bienheureusement et dorénavant stabilisée, la forte démographie des récentes décennies (la population avait quadruplé en soixante ans) fut responsable de l’accroissement des troupeaux, essentiellement dans les zones steppiques. C’est une situation dramatique pour des écosystèmes fragiles relevant pour la plupart de l’aride et à très faible pouvoir de régénération. Si l’on entre dans les détails par une approche anecdotique et locale des méthodes, on constate le maintien d’options irrationnelles dont le dénominateur commun tend toujours vers un plus grand nombre de têtes, parfois même pour le seul prestige et quitte à devoir certaines saisons procéder au sacrifice des agneaux (région de Timahdite dans le Moyen Atlas).
La pression de l’homme n’est évidemment pas uniquement exercée par le seul élevage et ses parcours intensifs jusqu’au plus profond des formations forestières, pratique ahurissante et seulement présente sur cette rive de la Méditerranée. D’autres impacts dont l’intensité varie selon les régions et qui ne cessent de s’accentuer, comptent aussi au détriment du biopatrimoine. Le second facteur de destruction du paysage marocain est sans nul doute l’application de traitements forestiers inadéquats et qui entravent gravement le fonctionnement des écosystèmes forestiers. Cette foresterie sur un mode agronomique élimine toute concurrence jusqu’à l’éradication du sous-bois dans son intégralité. Elle est excessivement néfaste et aboutit à des abolitions irréversibles. Ces traitements sylvicoles sans discernement, hérités de la sylviculture européenne et déjà très critiqués en zone plus tempérée, avec leurs coupes rases, leurs éclaircies, leurs taillis simples, génèrent une perturbation globale qui s’ajoute à une déforestation aux origines diverses. Le corollaire de cette disparition du couvert végétal (35.000 hectares à l’année) organisant l’écran vert des montagnes est l’érosion du sol. Les dégâts du forestier rejoignent ainsi ceux du berger, de quoi exagérer « à merveille » les méfaits climatiques d’un certain réchauffement de la planète.
Bien d’autres maux influent sur le dysfonctionnement des écosystèmes du pays, hypothèquent le futur de la biomasse et du capital génétique, contribuent à banaliser la biodiversité par l’anéantissement des espèces de valeur, toujours d’une moindre résilience, et d’une manière générale saccagent l’horizon paysager. Une crainte de plus en plus réaliste de l’amenuisement des ressources se manifeste, notamment aux niveaux du sol et de l’eau qui ne sont pas intarissables. L’accroissement dans les zones favorisées de l’agriculture moderne et de son cortège néfaste à base de défrichement, de remembrement et de bioterrorisme par pollutions chimiques, tout comme certains aménagements d’un tourisme mal compris, sont d’autres thèmes récurrents qui talonnent le surpâturage et la foresterie dans le groupe de tête des menaces majeures et du dissensus croissant entre nature et civilisation. Les attitudes individuelles, encore trop souvent absentes de citoyenneté, sans le moindre respect pour le vivant, ou en proie à de vieux et cruels démons, comptent aussi dans la balance, ne serait-ce que par l’enlaidissement et la pollution des paysages.
Le mouflon à manchettes (Ammotragus lervia) peuple l’Egypte, la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Soudan, le Tchad, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Cette espèce classée vulnérable qui voit ses effectifs en baisse en raison des modifications de son environnement et d’une chasse abusive, a été introduite dans les Iles Canaries, dans le sud-ouest des États-Unis et au Mexique. Sa robe est fauve clair, son poil est demi-long et épais sur le corps, extrêmement long sur les pattes antérieures et sur toute la longueur du dessous du cou, le mâle mesure un mètre au garrot pour un poids de 115 kg. Comme chez tous les bovidés et contrairement aux cervidés, ses cornes sont permanentes. Elles sont remarquablement développées chez le sexe masculin. Durant la saison des amours, les mâles se montrent agressifs et leurs combats sont très spectaculaires. Après une gestation de 170 jours, la femelle met un ou deux petits au monde. La durée de vie de l’animal est d’une quinzaine d’années. Egalement connu au Maroc sous le nom d'aoudad, le Mouflon à manchettes est un excellent grimpeur des zones escarpées, notamment subsahariennes. Son régime est très frugal, se nourrissant de plantes herbacées et de broussailles. Il peut vivre sans boire, se contentant de la rosée. Il évolue plutôt en petits groupes familiaux, composés d'un mâle adulte et de deux à cinq femelles, chacune accompagnée de sa progéniture. C’est un bovidé du genre Ammotragus qui n'est représenté que par cette seule espèce, intermédiaire entre le mouton et la chèvre. C’est pourquoi il appartient à la sous-famille des caprinés (comme le chamois ou le bouquetin du genre Capra). Au Maroc, l’effectif du mouflon à manchette est estimé à plus d’un millier d’animaux, la plupart au sein de figures de protection.
Parlons donc un peu origines...
L’ancêtre de la chèvre domestique (Capra hircus) est la chèvre à bézoard d’Arménie (Capra aegagrus). Le bézoard est cette concrétion de l’estomac et des intestins des herbivores à laquelle on attribuait autrefois des vertus médicinales (la pierre de bézoard était un antidote).
Quant à notre cher mouton domestique (Ovis aries), l’analyse cytogénétique confirme qu’il descend du mouflon d’Asie mineure (Ovis orientalis), la plus petites espèce du genre Ovis et qui possède aussi 54 chromosomes, avec une influence possible de l’urial d’Arménie (Ovis vignei). Selon les naturalistes-historiens et les découvertes archéologiques, la date de sa domestication oscillerait autour du VIIIe millénaire avant J.-C., juste après celle du chien et de la chèvre.
Depuis la Mésopotamie et le croissant fertile, la pratique de son élevage se serait étendue vers la Perse puis au bassin méditerranéen. Plusieurs vagues envahirent l’Europe : l’urial jusqu’en Suisse via les Balkans, le mouflon d’Asie Mineure jusqu’en Grande-Bretagne via l’Allemagne et le Danemark, enfin le mouton mésopotamien sur la côte méditerranéenne via l’Égypte. Sachant aussi que des mouflons subsistèrent à l’état sauvage dans l’Europe du Moyen Âge, il serait bien hasardeux de construire la généalogie des races actuelles et la thèse d’une origine multicentrique, provenant tout autant d’échanges culturels que de convergence d’idées, est celle retenue. Cependant il est acquis que le mouflon corso-sarde (ovis orientalis musimon) ne mérite pas d’être qualifié ainsi : il s’agit d’un scénario de «marronnage», soit d’un mouton ensauvagé après son abandon sur ces îles. A la fin de l’âge de bronze, le mouton de l’île de Soay connut un sort identique. Ces races possèdent en effet une toison laineuse qui trahit leur domestication antérieure, car chez le mouflon sauvage seule la sous-couche du pelage est laineuse.
Les hommes ont progressivement sélectionné les animaux afin de réduire le grossier poil de jarre au profit du fin duvet laineux. On dénombre environ 450 races de moutons domestiques, avec les sélections respectives aux types de pâturages, de climats et d’altitudes, selon une polymorphie très riche (taille, couleur, nombre de cornes, forme des oreilles, type de toison..) puisqu’il existe même (non pas un mouton à cinq pattes...), mais un mouton sans laine !
Fournissant lait, viande et laine, grégaire et dépourvu d’agressivité mais ayant hérité du mouflon une sensibilité développée (vue aiguisée, ouïe fine, excellent odorat), le mouton ne pouvait que séduire l’homme. Il faut savoir qu’il existe le rapport assez constant d’un mouton pour trois humains...
* Ecologue, écosophe