"Mais chaque année le nombre d'enfants" de l'unique école maronite de Chypre "diminue", regrette l'instituteur. Deux après-midi par semaine, il enseigne l'Arabe maronite de Chypre (CMA), une langue de tradition orale, à 20 élèves seulement, en plus de leur cursus ordinaire.
Depuis l'invasion par l'armée turque de son tiers nord en 1974 et la partition de Chypre, la communauté chrétienne maronite, présente sur l'île de Méditerranée depuis le XIIe siècle, bataille pour préserver son identité historique.
Contraints de choisir leur camp, les maronites avaient opté pour le sud grec, abandonnant leurs terres agricoles du nord. Kormakitis, le plus grand des quatre villages maronites du nord et berceau du CMA, n'est plus que l'ombre de lui-même, avec moins de 150 habitants âgés et une école fermée depuis plus de 10 ans. Aujourd'hui, sur 5.000 maronites chypriotes, seuls un millier sont de langue maternelle "CMA". La plupart des maronites se marient en dehors de la communauté et peu parlent cette langue à leurs enfants.
Elias Zonias s'est attelé à la rédaction d'un dictionnaire, étape cruciale pour la réhabilitation de sa langue, et espère l'avoir achevé pour Pâques.
En novembre 2008, sous la pression du Conseil de l'Europe, le gouvernement chypriote a reconnu officiellement le CMA comme langue minoritaire.
"C'est une étape très importante, car les maronites ont droit à l'enseignement dans leur langue, d'exiger des choses pour l'école maronite", explique Costas Constantinou, professeur de relations internationales à l'Université de Nicosie. "Cette langue est un trésor qui vaut la peine d'être sauvé", dit-il.
George Skordis, un autre défenseur du CMA originaire de Kormakitis, explique qu'il y a péril en la demeure.
"La situation est urgente car des gens meurent tous les jours, et certains mots ne sont connus que d'eux seuls", déclare M. Skordis, qui dirige l'ONG "Hki Fi Sann" "Parlons notre langue" en CMA).
En août, son ONG a organisé un séminaire CMA d'une semaine à Kormakitis, auquel assistaient 190 élèves de six à 18 ans, soit près du double que lors de la première initiative du genre, en 2008.
"Ces camps d'été sont excellents", dit M. Zonias dans son bureau de l'école primaire Saint-Maron. "Mais nous avons besoin d'être aidés davantage".
Les défenseurs de la langue s'inspirent également des expériences d'autrui.
En février, MM. Skordis et Constantinou ont eu une rencontre de travail avec un groupe de Samis, minorité indigène de Norvège qui a réussi à sauver sa propre langue en danger.
"Il y a des langues qui étaient dans un pire état et qui ont survécu", commente M. Constantinou.
"Il y a toujours un processus d'évolution avec les langues, mais nous avons assisté à un changement rapide du taux de perte ces dernières années", déclare Brian Bielenberg, professeur de linguistique à l'Université européenne de Chypre. D'après lui, une langue meurt tous les 14 jours dans le monde, même si, parfois, des langues considérées comme mortes, tel l'hébreu, peuvent renaître.