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Salon international du livre de Sharjah : La culture marocaine amazighe en vedette
(Editeurs de Talents, 2015), le nouveau
roman de El Mehdi Elkourti, a fait
partie des événements marquants
du dernier Salon du livre de Casablanca.
Après “Les cinq gardiens de
la parole perdue”, cet auteur
revient dans le champ littéraire
marocain avec un cadeau
apocalyptique pour les lecteurs.
Iyad et Assia sont de retour dans le dernier livre de El Mehdi Elkourti. Après avoir découvert le secret de mondes en sommeil, en se plongeant dans l’héritage diffus du Protectorat et en affrontant un tueur implacable, les deux protagonistes se retrouvent pour une nouvelle « en-quête » autour de treize crânes de cristal et de sept parchemins. Qui veut les rassembler, en semant des cadavres sur son chemin ? Pourquoi ? Est-ce que le 12/12/12 présage la fin du monde ? Est-ce que la prophétie de l’apocalypse se dessine sous nos yeux, en plein Casablanca ?
De nombreux signes semblent aller dans ce sens… Jouant habilement avec le métissage des cultures et des savoirs, El Mehdi Elkourti est bel et bien – comme le souligne la presse – le Dan Brown Marocain. En effet, il est le seul à être capable de puiser dans la figure du « Mahdi », le sauveur inspiré qui apparaît dans la pensée apocalyptique musulmane, et de la situer dans la société casablancaise contemporaine, avec ses ambiances noctambules sur la Corniche et le rythme effréné du boulevard Ghandi. Cet auteur se situe entre Isaac Asimov et Umberto Eco, entre Jean-Christophe Grangé et Jean-Pierre Koffel. Il y a un mélange de suspense, d’ésotérisme, d’intrigue et de délire littéraire, complété avec une prose gothique particulièrement appréciable. Tout au long du roman, un mystérieux apothicaire parsème des phrases poétiques par-ci par-là : « Devant mes yeux, les images apocalyptiques s’estompent devant des promesses de volupté inavouables ».
Le livre de El Mehdi Elkourti possède des qualités indéniables. Tout d’abord, il emmène le lecteur dans des mondes apocalyptiques avec une érudition importante. L’alchimie du verbe est à prendre ici au sens propre et au sens figuré. La mythologie et la philosophie grecques sont mobilisées avec pertinence. Le mythe de la Caverne platonicien ainsi que la cité de l’Atlantide traversent le roman comme un fil rouge.
Il en est de même avec l’histoire urbaine de Casablanca. Au cours des années 30, il y avait une piscine réservée aux Européens qui était à la place de la Mosquée Hassan II. En se référant à ce dernier édifice, avec des images rappelant celle de la place Piétri reconstituée dans le roman « Route des Zaërs » de Guillaume Jobin (Editeur de Talents, 2015), El Mehdi Elkourti montre que les secrets enfouis se trouvent parfois sous nos yeux et « rien n’est plus aveuglant que la pleine lumière » (comme dirait encore Platon). A celles qui se jettent la bave aux lèvres sur les prétendues vérités cachées avec la violence des bêtes de proie, croyant avoir percé les mystères de choses faites pourtant « sans contrefaçon », la littérature rappelle la présence d’une beauté intrinsèque des mots et des émotions située bien au-delà des tentatives d’élucidation des choses, effectuées parfois sans finesse.
Dans « Les sept sages de l’Apocalypse », l’essentiel de la vie se trouve au moment où Iyad regarde Assia dans les yeux et se sent submergé par son amour. L’essentiel se trouve au moment où le héros ressent au plus profond de sa carapace mortelle ces sentiments d’éternité à l’égard de son aimée. L’essentiel se trouve dans ces sept lettres qu’Iyad prononce avec douceur : « Je t’aime ». Le reste n’a aucune importance…
Le récit de El Mehdi Elkourti est attrayant à plus d’un titre, même si le lecteur doit être attentif à toutes les trames s’il veut pénétrer dans le texte et suivre le fil de l’histoire. L’un des points forts est la psychologie des personnages. Au début du récit, Iyad retrouve Assia qui est en couple avec Reda. Lui continue son périple de célibataire endurci, naviguant entre les soirées et les filles. Lorsqu’ils reprennent l’enquête ensemble, des sentiments ambivalents les rattrapent. Il y a une mystérieuse attirance entre les deux, qui éclatera avec force au moment où ils frôleront ensemble la mort. Un autre personnage fascinant fait son entrée dans cette nouvelle histoire. Il s’agit de Silvia, une mante religieuse italienne qui pratique le meurtre comme un rituel artistique.
C’est elle qui exécute les victimes tout au long de l’histoire, en transformant leur agonie en un acte quasiment érotisé : « Elle le ligota avec une ficelle qu’elle sortit de son sac en l’arrimant au dossier du siège. Elle n’avait pas besoin de cette mise en scène pour les meurtres qu’elle commettait. Elle ne pouvait cependant s’en passer. La nudité, apologue de d’humiliation et de rédemption pour ses victimes, rendait plus intense sa fantasmagorie macabre. Ligoter et bâillonner ses proies alimentait et satisfaisait ses penchants pour la domination ». Le sadisme de Silvia a quelque chose de fascinant, même si les pratiques de domination ne se résument pas à cet aspect, comme le montrent toute une pléiade d’auteur.e.s allant de Pauline Réage à Eva Delambre, en passant par Marlène Jones, Eva Cayeux, Jean-Baptiste Messier, Emma Cavalier ou Eva Adams. Les tourments de Elmajdoub face au mal, avec lequel Silvia compose en harmonie, sont montrés avec finesse.
Comme il le rappelle dans un passage pénétrant, la place de l’individu est prépondérante dans toute chose : « Si l’existence d’une société secrète est dépendante de l’individu car elle n’a aucune, aucune existence en soi et n’existe qu’à travers ses membres, cet individu est moi, seulement moi, grâce à l’héritage dont je suis dépositaire. Les autres, tous les autres sont des pions. Des pions dans ma partie d’échecs, prêts à être utilisés, abîmés et sacrifiés ».
Le roman de El Mehdi Elkourti attire aussi l’attention sur un monde déshumanisé, où les individus sont remplaçables à merci, à l’image de ces politiques néolibérales utilisant les salariés comme de simples outils jetables après utilisation. L’espoir se trouve dans l’utopie de mondes imaginaires, s’immisçant dans la décadence, l’ignominie et la noirceur actuelles. Comme le rappelle Walter Benjamin dans ses thèses sur la philosophie de l’histoire, le messie ne vient pas uniquement sur terre pour la rédemption mais aussi pour combattre l’Antéchrist.
* Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat, Cercle de littérature contemporaine