“Le piano”, instrument au-delà de l’impossible


Par Yasmine Bouchfar
Mercredi 31 Mai 2017

“Le piano”, film-culte du réalisateur Lahcen Zinoun raconte l’histoire d’un jeune garçon marocain qui apprend de la musique en jouant du “piano”, mais il appartient à une famille modeste qui ne sait rien sur la musique. A vrai dire c’est une question de pudeur, avec un père très autoritaire qui leur interdit tout, même le fait de lui demander quelque chose.
Il faut qu’il y ait toujours un intermédiaire pour lui transmettre un message, à savoir la maman.  Cette dernière qui est, elle aussi, censurée de parole ne demande que le nécessaire, par peur de la réaction du père, alors, le garçon amoureux du piano va essayer par tous les moyens d’en avoir un chez lui malgré sa pauvreté. Enfin de compte, ce dernier atteindra son but.
Dans ce film, Lahcen Zinoun nous décrit les souffrances d’un jeune fou amoureux du piano, et ce qu’il doit surmonter pour assouvir sa passion et réaliser son rêve : devenir un pianiste. Chose impossible dans une famille telle que la sienne.
Au début du film, on voit un plan d’ensemble qui nous introduit dans le lieu où se déroule l’histoire. Mais avant, il commence par une citation qui nous donne déjà une idée : dans l’histoire, nous serons face à une situation difficile ; il prépare psychologiquement le spectateur. Puis, il annonce le lieu et la date, ainsi nous arrivons à nous mettre dans le contexte spatio-temporel du film. La séquence suivante : dans une maison marocaine, de l’autre époque, tout se passe normalement jusqu’à l’arrivée du père au caractère autoritaire. Ici, c’est le déclic, le comportement change, tout le monde est à table, le silence règne, un dialogue des yeux qui remplace les mots. Par la suite, on saura pourquoi. “Ali”, personnage principal, a demandé à sa mère de parler à son père au sujet du piano. Dans un espace clos, le dialogue se déroule entre le garçon et sa maman comme pour préserver l’intimité du sujet, et aussi leur complicité. Malheureusement, la maman ne peut rien pour lui. Le réalisateur a utilisé la technique du champ contre champ pour donner de la valeur au dialogue et un plan d’ensemble pour montrer la situation finale : sa première tentative sans résultat.
Le jeune désespéré va voir la directrice du Conservatoire : ce personnage féminin d’un caractère sévère et strict, avec un mouvement linéaire tout au long de la séquence qui lui était attribuée. Le jeune lui demande de trouver une issue, en lui proposant deux solutions : soit il achète un piano, soit il le loue. Mais comment faire ? Dans une famille comme la sienne, dans les premières séquences chez eux, même écouter de la musique à la radio est interdit, sans négliger au cours du dialogue entre la maman et son fils, la réplique où il lui révèle qu’il a vu son père danser. Cette dernière lui a répondu avec un ton nerveux que son père était un homme si sérieux qu’il ne pouvait pas danser.
Après le retour du conservatoire, on a une séquence de rêves, un monde d’évasion, où le réalisateur nous emporte. Ensuite, il y a celle réunissant la maman et le fils via un plan moyen où le jeune verse des larmes et la maman essaie de le consoler. On est toujours dans le rêve, un cadre pluvieux devant une vitrine d’un magasin d’instruments de musique, il hallucine : il est en train de voir la directrice du conservatoire jouer du piano, après avoir écouté un beau morceau joué avec cet instrument à la radio.
En essayant de faire plaisir à Ali, la maman supplie son oncle, qui a lui aussi une histoire semblable à celle de son neveu, mais la seule différence est que l’instrument n’est pas le même.  Dans un cadre sombre, les deux  dialoguent sur un ton triste et mélancolique en relation avec le sujet: la musique était interdite à l’époque, mais tant que l’oncle comprend son neveu : il va l’aider.
Avec une carrosse, en un plan d’ensemble et un mouvement ralenti de la caméra, voilà le piano qui arrive, finalement : les voisins, les enfants, tout le monde est là. Cette séquence est mise en parallèle avec une autre qui illustre l’arrivée du père à la maison.
Les gens commencent à interpréter : c’est une armoire, c’est ….. Du coup, le héros apparaît pour expliquer que c’est “un piano”. Le père est là ! On ne cesse de dénouer, le nœud est là. La difficulté d’abord : introduire le piano à la maison, puis le père qui insulte son fils et le gifle aussi en l’accusant d’un crime : le fait de vouloir jouer de la musique est un grand péché pour lui. Dans un autre cadre, tout le monde supplie le père. Enfin, le piano est à la maison avec un grand plan d’ensemble et un mouvement circulaire de la caméra. Le héros joue de la musique : la joie règne et les fenêtres s’ouvrent en guise de soulagement. Dans la dernière séquence, c’est une vue panoramique de l’orchestre et le but est atteint.
Le réalisateur a employé ces techniques pour transmettre aux spectateurs la beauté et la sérénité que la musique crée en nous.
Saida Baadi qui a joué le rôle de la maman était très brillante par sa tendresse et son sacrifice remarquable. Quant au père sévère et qui représente la famille traditionnelle, il incarne le pouvoir. Le héros était très convaincant dans son rôle. Ce qui montre que Lahcen Zinoun a réussi son choix  de comédiens.
Sans oublier la musique insérée dans ce film qui rythme l’histoire. Les moments de silence où l’on percevait des émotions  (peur, colère), on pouvait tout comprendre à travers les yeux des acteurs.
Le préambule du film “Le pire ennemi est la résignation” de Hector Berlioz est un choix intelligent du réalisateur, car tout au long du film, le héros, quelles qu’en soient les tensions, ne s’est jamais résigné. Chose qui évoque cette citation qui nous donne l’envie de suivre le film jusqu’au bout.
Par ce chef-d’œuvre, pétri de musique de piano, sans parler de sa référence et de son travail, le réalisateur veut nous transmettre un message, à savoir que la musique est à la portée de tout le monde, et n’est pas l’apanage d’une seule catégorie sociale. Il suffit d’avoir une passion et d’aimer ce qu’on fait et surtout croire en soi. Et la musique, et le piano, précisément, mérite qu’on se sacrifie pour elle en vue de devenir pianiste. Tant qu’il y a la vie, il y a de l’espoir. Alors, il ne faut jamais baisser les bras et se résigner. Tout être humain est capable de faire des miracles.
Lahcen Zinoun a réalisé un film jalonné de  valeurs humaines et principes, vu l’époque de l’histoire et la date de la sortie du film, il y a un grand écart aux niveaux sociologique, culturel, idéologique. Mais les principes et les valeurs traversent les époques.
Tout art est beau, tout être humain a le droit de goûter cette beauté quelle que soit sa condition. Sans beauté, on ne peut pas vivre et continuer d’exister ; on a tous besoin des arts et des sciences humaines pour faire face à la réalité faite de souffrances, de problèmes et d’interdictions. L’art, en général, est une thérapie et une échappatoire.


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