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La deuxième chaîne a réussi à faire l’événement en démontrant qu’au Maroc aussi, de grands débats pouvaient être organisés, en direct, à la télévision. Le duel animé par le talentueux Jamaa Goulahsen a enregistré un très bon taux d’audience, plus d’1,2 million de téléspectateurs, dépassant la moyenne habituelle d’audience de « Moubacharatane maakoum ». Une audience constante ce mercredi soir: les Marocains qui ont choisi de regarder ce débat, n’ont pas zappé ni regardé ailleurs.
Au commencement, la proposition de Noureddine Ayouch, super organisateur d’un colloque consacré à l’enseignement au Maroc, pour que la darija, « langue mère », soit la langue d’enseignement au primaire. La recommandation du fils de la pub a suscité un vif débat dans un pays comme le nôtre, où l’enseignement traverse une crise profonde, au point de sortir de son long silence l’historien et intellectuel Abdallah Laroui
Le publicitaire Noureddinne Ayouch est donc venu sur le plateau de l’émission pour défendre son étrange proposition de faire de la darija la principale langue d’enseignement. En croisant le verbe avec celui qui est agrégé d’arabe, cet homme de communication a-t-il fait preuve de courage ou d’arrogance ? Toujours est-il que Noureddine Ayouch a pris le risque de s’exposer aux arguments documentés, historiques, scientifiques, intelligents du philosophe marocain. Laroui a donné une leçon magistrale à ceux qui veulent faire de la darija une langue d’enseignement. « C’est une proposition superflue puisque la darija a cours dans le préscolaire et c’est tant mieux ! », s’est exclamé l’auteur de « La Crise des intellectuels arabes : traditionalisme ou historicisme? ». Les explications de M. Laroui fusent, simples, accessibles, coulant de source. Pour être enseignée, une langue doit être transcrite. Et transcrire la darija reviendrait à la figer et à ne plus suivre, par conséquent, l’évolution d’une société. « Aujourd’hui les Turcs sont dans l’incapacité de comprendre les discours de Mustapha Kemal».
L’exemple donne à réfléchir. Mais à l’évidence, il n’interpelle pas l’avocat de la darija. « Mais cela va régler les problèmes de l’enseignement au Maroc, la déperdition scolaire, l’échec à l’école. Des études le montrent.
Langue et folklore : deux dimensions différentes
L’UNESCO a travaillé sur cela. Des expériences sont là », a tenté un Ayouch accroché à ses statistiques d’une école malade d’elle-même.
La réponse d’Abdallah Laroui tombe comme un couperet : l’adoption de la darija, dite langue mère, règlera certes le problème de l’analphabétisme pour produire in fine de l’illettrisme. « En institutionnalisant la darija comme langue d’enseignement, ce que vous réussirez à produire, c’est une nouvelle catégorie de main-d’œuvre. Rien d’autre », a fait valoir cet intellectuel en déclinant les exemples de pays de l’Afrique subsaharienne. « Leur situation n’est pas la nôtre. Nos réalités sont différentes. Les experts doivent comprendre cela », a-t-il poursuivi.
Ayouch retente des statistiques : 6 élèves sur 100 arrivent à l’université, lance des chiffres sur le coût d’un élève au Maroc, en profite pour fustiger le plan d’urgence. Rien n’y fait. Laroui est droit dans ses convictions profondes, son argumentaire implacable, ses comparaisons. Et seul Laroui peut se permettre d’affirmer sans risque d’écorner sa crédibilité que l’UNESCO et ses experts ont des idées reçues, travaillent sur des stéréotypes. « Et dans un souci d’efficacité, de tels organismes fabriquent des personnes alphabétisées dans leur langue maternelle, mais illettrées dans le fond».
Pas question pour ce penseur de céder aux sirènes de la darija. Il énumère froidement les conséquences d’une telle option : appauvrissement de la langue, enfermement du Maroc car nous serons le seul pays au monde à parler la darija, menaces sur l’unité nationale. Si dans telle région du Maroc on parle darija, dans telle autre c’est le hassani qui a cours et dans telle autre c’est le rifain, etc. Comment dès lors imposer un socle commun qui fonde l’unité?
La solution est dans la simplification d’une langue arabe classique utilisée par plus de 300 millions de personnes dans le monde, fait valoir Abdallah Laroui. La panacée est dans la langue mère et la darija qui conduirait plus tard vers de l’arabe, plaide Noureddine Ayouch. « Il n’y a pas que l’UNESCO qui le recommande. Des spécialistes marocains qui ont travaillé avec nous en sont convaincus. On ne peut pas être seul à avoir raison contre le reste du monde », martèle le fils de la pub, dans un élan de polémique
Loin d’être désarçonné, Laroui saisit la balle au bond. «Vos spécialistes n’ont qu’un objectif, celui de chercher du travail pour eux-mêmes. Ils nous viennent avec des idées préconçues et assimilent le Maroc à d’autres pays comme ceux d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-Est. Ce que nous ne sommes pas. En suivant leurs recommandations, nous allons faire évoluer les indicateurs, mais aussi baisser le niveau».
On se dit que Noureddine Ayouch va enfin faire preuve de raison, voire de pudeur. C’est mal connaître l’homme de « 2007 daba ». Il continue de plus belle, ne tarissant pas d’éloges sur ces proverbes marocains qu’il aime, ces répliques de l’homme de théâtre Taieb Laalej dont il raffole, ces paroles de Larbi Batma qui le font pleurer. Après l’arabisation effrénée, voici venue la tentation de la darija exotique ! « Folklore et langue d’apprentissage sont deux dimensions différentes », rectifie un brin agacé, Abdallah Laroui.
Une heure et demie de débat plus tard, on éteint son téléviseur. Les arguments de Laroui résonnent dans la nuit noire. On s’inquiète. Et on se dit que la confusion des rôles peut être dangereuse. Noureddinne Ayouch est très probablement un excellent publicitaire, ses écoles Zakoura sont certainement un modèle dans leur genre mais la politique de l’enseignement est une affaire suffisamment sérieuse, importante, vitale pour les générations à venir pour qu’elle soit confiée à ceux et celles qui devront rendre des comptes aux citoyens de ce pays. Pub !