L’économiste Camille Sari

Le projet maghrébin, un grand facteur de stabilité politique, économique et sécuritaire


Entretien réalisé par Youssef Lahlali
Lundi 13 Avril 2015

L’économiste Camille Sari
Spécialiste des questions économiques, Camille Sari a enseigné dans  différentes Universités parisiennes dont Paris III-Sorbonne Nouvelle, Paris XII, Paris VIII  et Paris XIII ainsi que dans des grandes écoles de commerce. En tant que conférencier  international, il a  enseigné en Algérie, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Maroc  et au Sénégal. Animateur d’un réseau d’entreprises de l’Est parisien, il a développé depuis 1982, des  activités de consulting et d’accompagnement tant sur le marché  français qu’au niveau international. Ainsi,  il a mené des missions économiques dans  61 pays et préside  actuellement l’Institut euro-maghrébin d’études et de  prospectives. En tant que chercheur, il vient de publier deux  ouvrages intéressants : « L’intégration  économique  maghrébine : un destin obligé ? » et « Monnaie et finance : du boom  au krach ».

Libé : Quelles sont les conséquences des attaques terroristes qui ont frappé Paris en janvier?
Camille Sari : Les attaques terroristes qui ont frappé Paris ont des retentissements certains sur l’économie française.
Le premier, c’est la baisse considérable de la consommation qui représente 70% du PIB. Au cours de la période des soldes, il a été constaté une chute de fréquentation des magasins entre 5 et 75%.
De même que l’on a constaté des baisses considérables aux niveaux du trafic routier, de la consommation, de la croissance et des rentrées fiscales.
L’autre constat, ce sont les coûts de la guerre contre le terrorisme. A titre d’exemple : le déploiement de 10.000 militaires sur le territoire national, des coûts élevés de patrouille ou d’heures supplémentaires pour les forces de police mobilisées 24h sur 24. Tout cela coûtera très cher, surtout que de nombreuses casernes de gendarmerie ou commissariats de police en profiteront pour faire le plein de leurs véhicules d’intervention qui affichent 300.000 km au compteur et qu’il va bien vite falloir remplacer si l’on veut courir après de grosses berlines volées… Bref, la guerre au terrorisme va coûter très cher à la collectivité nationale et cela ne pourra se faire qu’avec plus de déficits.
Jusqu’à présent, le budget de la Défense était en forte diminution avec une réduction des effectifs qui a atteint 34.000 postes. Il n’est plus question de baisser les crédits militaires qui coûteront de 4 à 6 milliards d’euros supplémentaires.
Si la situation sécuritaire ne se dégrade pas  (aucun attentat pendant les mois à venir), la consommation reprendra sans doute et il n’y aura pas de grosses pertes.
D’un mal un bien, le gouvernement peut avoir des marges de manœuvre et profiter du consensus national pour faire passer des lois impopulaires (loi Macron) mais nécessaires à la bonne marche de l’économie. La France profitera de l’indulgence de ses partenaires européens en matière de respect des déficits budgétaires, du fait qu’elle assure la défense de toute l’Europe.

Vous venez de publier deux livres, en l’occurrence «L’intégration économique maghrébine : un destin obligé?» et «Monnaie et finance : du boom au krach". Pourquoi deux ouvrages en concomitance ?
En effet, il s’agit de deux livres sur des thématiques différentes qui sortent la même année. Mais chaque ouvrage a été écrit à une période déterminée.
L’ouvrage collectif «L’intégration maghrébine : un destin obligé?» a été finalisé en 2013 et édité en Algérie pour l’espace algérien. L’édition  chez L’Harmattan en 2014 a connu quelques retouches, pour sa diffusion internationale.
Mon livre «Monnaie et finance : du boom au krach» a été achevé de rédaction en septembre 2014 et publié en octobre de la même année. Cet ouvrage reprend des travaux universitaires dans une première partie et des comptes rendus analytiques de mes interventions dans les médias depuis le déclenchement de la crise de 2011. Ces textes, je n’ai pas voulu les modifier, afin de les restituer au lecteur dans leur contexte. Je prends le risque assumé de laisser à chacun le soin de juger mes pronostics à chaque étape et de vérifier combien j’ai été visionnaire (ou l’inverse) sur tel ou tel aspect de la crise.
Je me félicite d’avoir alerté sur la dictature des marchés financiers et de proposer une intervention plus marquée de la Banque centrale européenne. Reprenant mes travaux antérieurs et en allant à l’encontre de la pensée unique, j’ai plaidé pour une politique de croissance économique anti-cyclique. Mes contributions furent envoyées au candidat François Hollande ainsi qu’à certains membres de son équipe qui m’ont assuré de leur soutien à mes propositions.

Votre premier livre traite la question de l’intégration économique des pays du Maghreb. Peut-on dire que ce «Destin obligé» est toujours possible ?
Le monde est de plus en plus multipolaire. Les alliances se nouent entre pays voisins afin de créer des espaces viables économiquement et de constituer une force de négociation avec le reste du monde. Le Mercosur en Amérique du sud, l’ASEAN en Asie, l’UE, l’Alliance Eurasie entre la Russie et certains pays de l’ex-URSS, l’ALENA en Amérique du Nord, la CEDEAO, la CEMAC, l’UEMOA en Afrique subsaharienne … 
Les PIB des économies maghrébines ne dépassent même pas celui de la Grèce. D’où le besoin de créer, entre celles-ci des synergies et des complémentarités et de rechercher des économies d’échelle, afin de réduire les dépendances vis-à-vis des économies dominantes ainsi que d’accroître leur pouvoir de négociation dans les relations internationales.
Les crises financières et économiques à répétition de ces dernières années, constituent une menace sérieuse pour le  devenir des peuples de notre planète.
Cela pourrait être une alerte salutaire, incitant les dirigeants maghrébins à repenser leurs relations de voisinage dans le sens d’une plus grande solidarité et de moins de raidissements permanents et de tensions inutiles. 

Comment peut-on réaliser ce «Destin obligé» en l’absence d’une volonté politique ?
Nous avons toujours défendu l’idée que les conflits politiques n’empêchent pas la réalisation d’une communauté économique. Regardez comment l’Europe meurtrie par plusieurs conflits sanglants a réalisé une union économique. Cela a commencé par la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), qui s’est transformée en Communauté économique européenne (CEE). En Asie, l’ASEAN (Association des pays du Sud asiatique) est formée de pays qui ont connu des guerres sur le tracé de leurs frontières (non résolu jusqu’à ce jour). Malgré des souffrances, ils ont joué la carte du pragmatisme et ont développé des investissements et des échanges économiques colossaux entre eux.
Au sein de notre Institut euro-maghrébin d’études et de prospectives (IEMEP), nous avons créé un groupe de travail sur le projet d’une Communauté euro-maghrébine de l’énergie des phosphates (CEMEP). 
Nous travaillons sur la création d’une communauté économique maghrébine et une monnaie commune (comme l’ECU européen) et non unique (comme l’euro).
La question de la monnaie commune et des systèmes de paiements compensatoires devrait s’envisager dans le cadre de la CEM. La contrainte financière est  pesante pour certaines économies de la région (Maroc, Mauritanie, Tunisie)  et pourra le devenir pour les autres (Libye, Algérie). La nécessité de faire preuve d’imagination pour développer les échanges commerciaux en économisant les devises est impérieuse. Les mécanismes de compensation qui régissent, quoique timidement, une partie des relations économiques internationales sont aujourd’hui suffisamment élaborés pour permettre de contourner l’obstacle de l’insuffisance des moyens de paiements extérieurs auquel se heurte chacun de ces pays. Ainsi, l’issue à la crise des échanges commerciaux inter-maghrébins résiderait dans la double série d’actions à mener en faveur de la coopération productive industrielle et agricole et dans la mise en place d’un mécanisme élaboré de compensation. Ces contraintes extérieures justifient, à elles seules, la nécessité d’un regroupement économique maghrébin.
Tenant compte des expériences européenne et internationale, je ne propose pas une monnaie unique maghrébine d’emblée. Celle-ci pouvant être l’aboutissement de convergences économiques et monétaires à un stade suprême et où les volontés politiques pour la consolidation de la communauté économique maghrébine seraient fermement et durablement affirmées.
Le fait que les monnaies des Etats du Maghreb soient inconvertibles fait disparaître le risque de change extérieur et empêche la fuite des capitaux hors Maghreb. 
La difficulté de se procurer des devises impacte les importations. Les réserves de change au Maroc ne couvrent que 5,5 mois d’importation. C’était 3 à 4 mois en Algérie après la chute des cours des hydrocarbures. 
Les pays qui acceptent de former une communauté économique cherchent à étendre leur marché et à créer un espace optimal pour les opérateurs économiques locaux et les investisseurs étrangers.
Les économies qui se sont développées de façon accélérée sont celles disposant d’un vaste territoire avec une population dépassant les 60 millions d’habitants.
Les pays de taille moyenne ou petite peuvent connaître une croissance forte, dès lors qu’ils se trouvent géographiquement associés dans un environnement dynamique.
La fermeture de la frontière profite à des lobbies qui font passer de grandes quantités de produits illicites des deux côtés de la frontière.
Je me suis rendu à Oran et Maghnia en juin 2011 et à Oujda en juillet 2011 et j’ai mesuré combien de fortunes colossales se sont formées grâce à ces trafics qui passent par des voies non autorisées par mer et par terre avec certainement des complicités.
L’appât du gain transcende les frontières et rapproche ces puissances d’argent. Les lobbies de la plume et ceux qui profitent du surarmement des deux pays, s’opposent à la réouverture des frontières.
Des habitants des villes frontalières algériennes, à l’image de Maghnia estiment que les produits algériens subventionnés deviendront plus chers et rares si la frontière est ouverte. 
Bien au contraire, grâce à la réouverture des frontières, les produits qui y transitent pourront être régulés par les tarifs douaniers. Actuellement, il n’y a aucune coordination entre les douanes algérienne et marocaine, ni entre les polices et les armées.
Avant 1994, beaucoup d’Algériens venaient acheter des produits textiles dans les grandes villes marocaines et c’était bénéfique pour les intérêts des deux pays. A Maghnia, j’ai vu des caftans marocains, à Oujda, ce sont des montagnes de produits algériens, sans compter l’essence. Le rétablissement des passages aux frontières fera gagner des milliards de dollars aux Etats des deux pays sous forme de taxes douanières.
Des initiatives sont à saluer parmi lesquelles la décision du gouvernement tunisien qui a lancé le projet d’une zone maghrébine off shore dans la ville d’El Kef dans la région de Kalaat Senane près de la frontière algérienne. Cette annonce a été faite à l’issue de la rencontre des entrepreneurs algériens et tunisiens, organisée par l’Association Jugurtha pour l’intégration économique. Son président, Mokdad Yassaad, estime que ce projet concrétise l’unité des deux peuples surtout que beaucoup d’Algériens vivent dans cette wilaya et y travaillent comme commerçants ou dans les professions libérales.

A combien chiffrez-vous la perte ou le coup du «non-Maghreb» ?
Le FMI et la Banque mondiale chiffrent le coût du non-Maghreb à 2% du PIB.
Pour ma part, je pense que si l’on intègre les effets indirects comme la hausse des dépenses militaires, le coût serait entre 4 et 6%.  Il faut aussi intégrer les retombées positives  en cas de création d’un Maghreb uni sur les investissements étrangers, le tourisme et la circulation des biens et des personnes au sein de l’espace maghrébin. Le projet maghrébin, un grand facteur de stabilité politique, économique et sécuritaire dans la région. 
L’ONG Oxfam France, membre de la Confédération internationale Oxfam, a publié début septembre 2014 un document  sur le coût du non-Maghreb, 20 ans après  la fermeture des frontières entre l’Algérie et le Maroc. Il en ressort un manque à gagner estimé en 2013 à 441 milliards de dollars soit 10 milliards de dollars par an.  
La part des dépenses militaires dans le PIB s’est accrue de 19% au Maroc, passant de 3,2% en 2007 à 3,8% en 2013 et de plus de 65% en Algérie, passant de 2,9% en 2007 à 4,8% en 2013. Ces analyses reprennent à leur compte les données du Spiri. 
En 2012 et 2013, les deux  pays se hissent tristement au Top 20 des pays qui ont le ratio dépenses d’armement/PIB le plus élevé  au monde.
C’est paradoxal que des pays dont une partie importante de la population souffre de pauvreté et du chômage rentrent dans une logique de surarmement, alors que les pays les plus développés, en l’occurrence les gros producteurs d’armes ont réduit substantiellement leurs budgets défense. C’est le cas   des Etats-Unis entre 2012 et 2013 et des pays européens tels que l’Allemagne (-1,5%), la France et l’Italie (-3,2%).
Dans un document émanant de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (IIRPS), le 17 mars 2014, à propos des importations d’armes au cours des cinq dernières années, il est précisé : «Les flux d’armements ont fortement augmenté entre 2008 et 2013 en direction du continent africain, de l’Amérique, de l’Asie et l’Océanie, alors qu’ils ont diminué vers l’Europe» et de souligner : «En Afrique, et notamment en Afrique du Nord, la course effrénée à l’armement se poursuit (…) L’Algérie est le tout premier pays d’Afrique en dépenses en armement». Le Maroc vient en deuxième position
Au niveau mondial, l’Algérie se classe 6ème, alors que le Maroc est classé 12ème. 
Lorsqu’on constate le temps mis par les pays de l’Est européen pour accomplir leur transition (20 ans), les pays du Maghreb doivent se mettre au travail pour parachever leur diversification, préparer l’après-pétrole et réaliser la communauté économique maghrébine.
Actuellement, les échanges entre le Maroc et l’Algérie ne dépassent pas le milliard de dollars. Le Maroc est bien placé dans les secteurs de l’agroalimentaire, les biens intermédiaires, le textile et cuir, le BTP, l’ingénierie managériale.
Entre 1990 et 2000, malgré la proximité géographique, les produits énergétiques de l’Algérie n’ont représenté, en moyenne annuelle, que 5% des importations marocaines de ces produits et seulement 0,5% des exportations totales algériennes. Durant la même période, les ventes de produits agroalimentaires sur le marché algérien n’ont représenté respectivement que 0,6% des exportations marocaines de ces produits et 0,3% des importations globales algériennes de produits agroalimentaires. L’essentiel des achats algériens de textile s’effectue auprès de la Turquie, de la Chine et de l’Espagne. Le Maroc et la Tunisie ne sont que faiblement présents sur le marché algérien : leur part de marché ne représente, respectivement, que 0,9% et 0,8% des importations de textile de l’Algérie, soit seulement 0,3% des exportations globales marocaines de textile et 0,1% de celles de la Tunisie. Malgré l’importance des produits chimiques dans les exportations marocaines vers l’Algérie (38% en moyenne annuelle, entre 1990 et 2000), celles-ci n’ont représenté que 0,8% des ventes globales et 2,8% des importations globales de l’Algérie de ces produits,. La structure sectorielle des échanges entre les pays maghrébins est essentiellement dominée par les produits énergétiques dont la part s’est accrue de 37,9% en 1990 à 49,8% en 2000. La part des produits chimiques est passée de 10,4% en 1990 à 19,5% en 2000. Celle des biens issus de la sidérurgie et de la métallurgie a été portée de 6,4% à 10,4% entre 1990 et 2000. En revanche, la part des secteurs d’activité (matériaux de construction, produits mécaniques-électriques, textile, biens agricoles) pour lesquels le Maroc et la Tunisie disposent traditionnellement d’un avantage comparatif certain, a tendance à se replier.  
Selon l'Office des changes marocain, les exportations du Maroc à destination de l'Afrique du Nord s'amenuisent en passant de 43,6% en 2003 à 35,6% des exportations totales en 2013. 
Les exportations du Maroc à destination de l'Afrique sont passées de 327 millions d’euros en 2003 à 1,48 milliard d’euros en 2013. Le Royaume exporte davantage vers l'Afrique subsaharienne (63,9% des exportations totales en 2013) et en recul, vers l'Afrique du Nord (35,6%), principalement en direction de l’Egypte et l’Algérie. 
La Tunisie importe des produits de la mer de l’Italie, alors que le Maroc en exporte vers l’Europe. Le Maroc a exporté ces dernières années vers l’Algérie seulement 0,6% des produits agroalimentaires soit 0,3% des importations globales algériennes de produits agroalimentaires. Celles-ci proviennent à hauteur de 40% de l’Europe du Sud. 
L’Algérie a misé sur l’industrie lourde juste après l’indépendance en sacrifiant l’agriculture, le tourisme et l’artisanat à l’inverse de la Tunisie et du Maroc. Le complexe d’El Hadjar-Annaba fut configuré pour un espace plus vaste que le marché algérien. C’est du moins l’avis de ses concepteurs, les ingénieurs de Sofresid, deuxième groupe d’ingénierie français et par ailleurs membre de notre association l’AMIE (Association montreuilloise pour l’initiative des entreprises). 
Les entreprises PMA, spécialisées dans la fabrication et la distribution de matériel agricole, SNVI, fabricant de véhicules industriels, BCR (boulonnerie, coutellerie, robinetterie..), ENIEM (électroménager), Saidal (produits pharmaceutiques), Naftal ( distribution de dérivés pétroliers) et autres sociétés fonctionnent avec des effectifs pléthoriques et utilisent 30 à 50% de leurs capacités. Leurs débouchés auraient pu s’adresser à tout le marché maghrébin, dans une communauté économique, même si une amélioration de la qualité et de l’efficacité du management étant absente.
Les exportations marocaines de produits chimiques vers l’Algérie (36% en moyenne annuelle, entre 2000 et 2006), n’ont représenté que 0,8% des ventes globales du Maroc et 2,7% des importations globales de l’Algérie de ces produits. 
Le Maghreb deviendrait le premier producteur d’engrais du monde grâce aux phosphates marocains et tunisiens et aux ressources énergétiques algériennes et libyennes à un prix très compétitif.
L'Algérie et Qatar comptent construire en partenariat un complexe d'engrais phosphatés et azotés au niveau de Oued Keberit, dans la province de Souk Ahras, située à 660 km à l'est d'Alger (El Watan 10/11/2012). Ce genre de projets devrait englober les phosphates de tous les pays producteurs du Maghreb.
La fermeture des frontières algéro-marocaines a favorisé le commerce informel, le trafic de drogue et enrichi des mafias des deux côtés des frontières.
Ceux qui profitent de ces activités illicites ont tout intérêt à ce que ce statu quo dure le plus longtemps possible. Une communauté économique maghrébine ferait gagner à ses cinq membres une valeur ajoutée annuelle d’environ 10 milliards de dollars, soit l’équivalent de 5% de leurs produits intérieurs bruts cumulés. Les régions de l’ouest algérien et de l’est marocain seraient dynamisées socialement et économiquement. Certains opposants à la réouverture des frontières arguent que cela entraînerait une recrudescence des trafics de cannabis côté marocain et  «karkobis» sorte de narcotiques synthétiques côté algérien comme si les trafiquants passaient par les frontières sous surveillance douanière pour faire transiter leurs poisons. Ils le font déjà par des voies hors de tout contrôle ou par la mer.
Les économies maghrébines sont extraverties et leurs espaces intérieurs sont étroits et paupérisés. Les pays qui se sont développés ont bénéficié d’un vaste marché ou sont en synergie  avec les pays voisins. Les Etats-Unis offrent de nombreux exemples de la possibilité pour une micro-entreprise de devenir une multinationale avec une capitalisation de plusieurs dizaines de milliards  de dollars. On peut citer Mc Donald dont le concept, s’il était né dans un pays à taille modeste, n’aurait pas connu tant de succès. Il en va de même de Coca Cola, Ford, Google ou Microsoft. 

Vote second ouvrage évoque la question de la finance. Est-ce que notre système économique est aujourd’hui menacé par ce système financier ou allons-nous  aujourd’hui vers le boom ou le krach après la crise de 2008?
Incapables de brider une finance dont le seul objectif est de réaliser des profits à court terme, les Etats déclarent leur impuissance face aux forces des marchés. Afin de comprendre le présent et se projeter dans le futur, il est nécessaire de recourir à des outils d'analyse en rupture avec les paradigmes dominants et de tirer les enseignements de ce qui s'est réellement passé, avant d'en arriver au désastre actuel qui risque de compromettre l'avenir de plusieurs générations.

Comment voyez-vous la situation économique du Maroc aujourd’hui ?
Le Maroc a opté pour un modèle économique tourné, notamment, vers les économies européennes. 
Outre les exportations de produits agroalimentaires, les phosphates et quelques biens manufacturés, ce pays compte, pour équilibrer sa balance des paiements, sur le tourisme (5,5 Mds d’euros de recettes par an en moyenne), les transferts des Marocains résidant à l’étranger (5,1Mds€) et les investissements étrangers. Ce pays dépend aussi des importations des hydrocarbures, des biens d’équipement et de consommation. Son industrie textile a souffert de la suppression des quotas au profit de la Chine, qui a inondé le marché marocain de produits made in China.  
L’extraversion de l’économie marocaine est entachée de fragilités que j’ai analysées dans mon ouvrage (C.Sari, 2011). Cette économie subit de plein fouet les facteurs exogènes. Ainsi la crise financière et économique mondiale de 2007/2009 a impacté la capacité d’épargne des Marocains de l’étranger. Beaucoup d’entre eux sont au chômage et leur pouvoir d’achat s’est fortement détérioré. Il est à craindre une chute, ou au moins, une détérioration de cette source de rentrées de devises.
Des centaines de milliers de Marocains vivant en Espagne sont rentrés définitivement au pays.
Les attentats de Marrakech montrent la difficulté de développer le secteur du tourisme, sans tenir compte de facteurs imprévisibles et aléatoires qui peuvent chambouler tous les plans à moyen et long termes. Le « client » du produit touristique est versatile et extrêmement influençable.
Les révolutions tunisienne et égyptienne et les manifestations dans les autres pays du Maghreb sont à l’origine de la dégringolade de l’afflux des touristes français en Tunisie, au Maroc et en Egypte de respectivement 80%, 40% et 88%. Le Maroc s’est lancé dans un programme d’investissements en matière d’infrastructures touristiques dans le cadre du plan tourisme 2020. 
Complétant le tourisme à l’intérieur du territoire, le choix a été fait de réaliser des stations balnéaires. L’objectif est d’augmenter le nombre de nuitées. Mais le touriste européen viendra-t-il au Maroc pour profiter de la mer, alors qu’il a d’autres choix en Europe avec une totale sécurité ? Néanmoins les côtes marocaines  de la Méditerranée et de l’océan Atlantique plaisent aux Marocains de l’intérieur et de l’extérieur.
Afin de « protéger le pays contre les "chocs extérieurs" en provenance notamment de la zone euro, le FMI a accordé au Maroc une ligne de crédit de 6,2 milliards de dollars en 2012. Selon Christine Lagarde,  directrice générale du FMI, le Royaume subit les incertitudes européennes et internationales ainsi que l’alourdissement de sa facture pétrolière.
La décision du  Conseil d'administration du Fonds en date du 3 juillet 2012, s'étend sur deux ans et relève de la ligne de précaution et de liquidité  (LPL), une facilité offerte depuis 2011 par le Fonds à destination des pays "solides" mais "exposés à des facteurs de vulnérabilité". En réalité, les autorités marocaines ne devaient utiliser cette disponibilité qu’en cas de détérioration aggravée de la balance des paiements courants.  
D’après nos analyses, les chocs exogènes venant d’Europe notamment seront permanents et lancinants. Il est à craindre que le gouvernement marocain soit conduit à puiser dans les réserves proposées par le FMI, ce qui aggraverait d’autant l’endettement du pays.
Rappelons que le service de la dette (principal et intérêts) s’est élevé à   11,2 milliards de dollars en 2012 contre  9,7 milliards de dollars, en 2011. A cela s’ajoutent les dettes garanties par l’Etat au bénéfice des établissements et entreprises publics, des collectivités locales et  du secteur bancaire. 
La dette publique globale s’établit à 56,36 milliards de dollars, en hausse de 7,8% par rapport à 2010. Elle représente 61,8% du PIB en 2011. 
L’encours de cette dette à fin 2011 s’élevait à 10 milliards de dollars. Cela fait un total de 21,12 milliards de dollars de dette extérieure publique.  Les charges, en principal et en intérêts, représentaient en 2011, 1,91 milliard de dollars. En 2012, les charges de la dette extérieure publique s’élèveront à 2,25 milliards de dollars.
Le ratio de la dette/PIB est pour le moment dans les normes, mais un surcroît d’endettement pourrait rendre vulnérable la situation financière du Maroc. Il est à éviter une utilisation des emprunts dans le financement du fonctionnement mais plutôt dans des investissements productifs.
Le spectre du PAS (Plan d’ajustement structurel) plane de nouveau sur le Maroc. Fathallah Oualalou, ex-ministre de l’Economie et des Finances renchérit : «La situation économique actuelle me rappelle celle de 1978 à 1983 qui a conduit au PAS imposé par le FMI. A cette époque, l’opposition ittihadie avait mis en garde contre les conséquences néfastes de ce plan, mais le gouvernement avait fait la sourde oreille. Depuis 1993, le Maroc s’est éloigné de la politique du FMI. Mais la politique économique du gouvernement Benkirane risque de conduire le Royaume vers la dépendance financière vis-à-vis du FMI» (Libération 8 août 2012).
Le 16 août 2012, le FMI publie sur son site Internet  la lettre d’intention adressée par les autorités financières marocaines pour bénéficier de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) de 6,2 milliards de dollars. Le Maroc s’engage à maintenir ses réserves de changes à un niveau compatible avec ses importations (4 mois), à réduire son déficit budgétaire à 3% du PIB à l’horizon 2016 et à porter son taux de croissance du PIB à 5,5% sur la période 2012-2016. 
D’après Libération en date du 17 août 2012, citant Driss El Azami El Idrissi, ministre chargé du Budget, le Royaume aurait  perdu, au cours du premier semestre 2012, l’équivalent de 3,37 milliards de dollars.   Des engagements ont été pris tendant à ramener le déficit budgétaire à moins de 3% du PIB à l’horizon 2016, contre 5% actuellement, alors que certaines prévisions le placeraient à 9% vers la fin de 2012. Rappelons que le déficit budgétaire s’est élevé à 6,2% du PIB pour l’année 2011 d’après les chiffres du ministère des Finances. Le pari fut difficile, compte tenu de la flambée des prix du pétrole et ceux des produits agricoles. Ces derniers représentent 70% des importations du pays.
Le chef du gouvernement a annoncé le 26 décembre 2014 que les dépenses de compensation devraient se chiffrer à 33,6 milliards de dirhams à fin 2014 contre 42,5 en 2013, soit une baisse de 21%. Ce résultat s’explique par l’adoption du système d’indexation partielle des produits pétroliers,  la décompensation de l’essence super et du fuel n°2,  la réduction progressive de la subvention accordée au gasoil, ainsi que l’abaissement des prix sur les marchés internationaux de certaines matières premières subventionnées.
Les prévisions tablent sur 23 milliards de DH en 2015, après avoir culminé à 55 milliards en 2012. La baisse de 50% des charges de la compensation en trois ans, satisfait les institutions internationales mais demeure impopulaire, surtout que les mesures d’aides directes aux plus démunis sont pour l’instant non prises, malgré les promesses du gouvernement.
Le ralentissement des exportations vers l’Europe, le recul des rentrées touristiques, l’affaissement des transferts des Marocains résidant à l’étranger, la pluviométrie insuffisante sont des facteurs aggravants qui laissent perplexe l’hypothèse gouvernementale d’une croissance de 5,5%  sur la période 2012-2016. Même à revoir ce chiffre à la baisse en le situant à 4,3%, n’est pas crédible, alors que le HCP table sur 2,4%.
Dans sa  note de conjoncture pour le mois de juillet 2012, le Haut commissariat au plan (HCP) indique que le taux de croissance s’élève à  2,6% en  juillet contre 2,8 %   au 2ème trimestre. Ce fléchissement fait suite au repli de 9,8% de la valeur ajoutée agricole, conséquence de la sécheresse. La croissance hors agriculture connaît une hausse de 4,7%,  au 2ème trimestre contre 4,6% au 1er  trimestre 2012.  Il est anticipé une croissance du PIB hors agriculture de 4,8% au 3ème trimestre. Mais si l’on considère la chute de la valeur ajoutée agricole de  8,5%, la croissance globale se situera à 2,9%. Le ralentissement de  la demande intérieure fut suivi d’un fléchissement de l’investissement, notamment dans  le secteur du BTP. 
Alors que les réserves de change ne dépassent guère 3 mois d’importations, il n’est pas saugrenu de se poser la question des conséquences des crédits à la consommation (+18,5%, à fin mai 2012, en glissement annuel) sur les importations de biens de consommation (+ 5,8%, au deuxième trimestre 2012), et les ventes de voitures neuves (+ 22,4%, à fin juin 2012). Lorsqu’on compare cette évolution devisitivore avec le ralentissement de la consommation en produits primaires à cause de la baisse de l’offre agricole et d’une hausse de 3% des prix des produits alimentaires, en glissement annuel, on s’aperçoit que la conjoncture économique profite davantage aux classes moyennes et aisées aux dépens des couches défavorisées.
L’amélioration des recettes touristiques (hausse de 5% des réservations de voyages du transport aérien entre les mois de mai et d’août 2012), l’hébergement et  la restauration (+2,1) ainsi que les nuitées touristiques globales (+1,6%), était conjoncturelle. En effet la période du Ramadan (à cheval sur juillet et août) influence les décisions de départ vers les pays du Maghreb, en ce sens qu’elles ont été avancées à fin juin/début juillet. D’après une étude réalisée  en août 2012 par UTA (Union de transports aériens), des centaines de milliers d’Européens ont choisi d’aller vers certains pays comme la Tunisie, le Maroc ou la Grèce, une fois rassurés que ces derniers ont stabilisé leurs situations sociales et politiques. Ils ont pris leurs billets une semaine ou 10 jours avant la date de départ. Selon l'Office des changes, les transferts des MRE ont totalisé en 2013, 58,4 MMDH, contre 58,8 en 2012. Première source de devises au pays, juste devant le tourisme, les transferts des MRE vers leur pays d'origine font vivre au Maroc, selon le chef du gouvernement, près d'un million de pauvres.
Les recettes de voyages et les transferts des MRE ont permis de couvrir 59,2% du déficit commercial en 2013, malgré leurs stagnations respectives.
 


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