Jannat Mahid : La chanson ne peut pas prospérer sans aide ni soutien


Propos recueillis par Jalal Goundali
Samedi 29 Juin 2013

Jannat Mahid : La chanson ne peut pas prospérer sans aide ni soutien
La chanteuse marocaine, Jannat Mahid, revient dans l’entretien en page 17 sur
plusieurs points dont son nouvel album «Amour gelé»,
son parcours artistique en Egypte, les problèmes qu’elle a affrontés
au début de sa carrière et ses relations avec les artistes et chanteurs marocains vivant au pays du Nil.



Libé : Dans ce contexte difficile qui ne favorise pas l’art et la  production artistique, comment êtes-vous parvenue à sortir votre nouveau album «Amour gelé»?

Jannat Mahid : Tout d’abord, je tiens à exprimer ma joie et ma gratitude pour cet accueil. Ensuite, j’ai attendu trois ans pour lancer cet album, car je l’ai produit moi-même avant que Rotana ne l’achète. Et je considère le mois de mai comme le plus important dans ma vie, car mon album a trouvé enfin son chemin vers les mélomanes. Après les événements politiques et une longue hésitation à cause de la conjoncture difficile qui ne favorise pas le lancement de nouveaux albums, j’ai conclu un accord avec Rotana qui a arrêté d’une façon définitive la date de son lancement. C’était le 8 mai 2013 et ce fut un grand succès malgré la période des examens scolaires aussi bien en Egypte qu’en Arabie Saoudite ou dans les pays du Grand Maghreb arabe.

«Le problème au Maroc réside
dans les difficultés de la production, et cela
est dû au manque de contrôle
 et au piratage»



Avez-vous travaillé avec les mêmes poètes et compositeurs?

Mon album contient 13 chansons. J’ai travaillé avec de nouveaux compositeurs et poètes mais aussi ceux avec qui j’ai déjà composé des chansons.

Pourquoi n’avez-vous pas interprété des chansons marocaines jusqu’à présent?

J’aurais aimé que mon nouvel album contienne une chanson marocaine. Je suis contre le fait de chanter une chanson juste parce qu’elle est marocaine, mais elle doit être à même de concurrencer les chansons égyptiennes, et cela nécessite des efforts et des idées. J’ai travaillé pendant longtemps toute seule, mais après l’accord avec Rotana, on m’a proposé d’interpréter une chanson raï et de l’inclure dans cet album pour lui assurer une grande diffusion, d’une part et garder mon propre style, d’autre part. Cette chanson a eu un grand succès. C’est une chanson ancienne que le directeur de la société a eu l’occasion d’écouter en 2004 et où le raï a été mixé avec de l’oriental. Cette idée a été une réussite, et m’a encouragée à aller de l’avant. Ce succès a renforcé ma position dans les négociations avec Rotana pour l’interprétation de chansons marocaines.

Cette idée n’est-elle pas une réédition de l’initiative que Samira Saïd et Cheb Mami avaient commencée?

Absolument pas. Car les chansons de Samira Saïd et Cheb Mami avaient été interprétées en dialecte égyptien, alors que j’ai fait le contraire en interprétant la mienne en dialecte marocain.

D’après vous, pourquoi la chanson marocaine n’a-t-elle pas conquis le monde arabe ?

La raison est simple : la chanson ne peut pas prospérer sans aide ni soutien. La production égyptienne est plus développée qu’au Maroc. En Egypte, il y a des sociétés qui vous permettent d’être en contact permanent avec les compositeurs et les poètes.  Et s’il y avait au Maroc des sociétés de ce genre, j’aurais interprété des chansons marocaines.

Ne croyez-vous pas que le piratage au Maroc avorte tout effort dans ce sens, et ce contrairement à ce qui se passe en Egypte?

Tout à fait. Le succès d’une chanson est intimement lié à la distribution et à la commercialisation. Le piratage est la cause directe de la destruction de l’industrie de la chanson dans le monde arabe. On constate que «le vol» est toléré au Maroc, ce qui détruit cette industrie. Ce n’est pas le cas en Egypte. Quand j’ai proposé à la société Rotana de lancer mon nouvel album sur le marché marocain, elle a rejeté ma proposition par crainte de piratage.

Le poète égyptien Imad Hassan avait déjà confirmé dans un entretien avec Al Ittihad Ichtiraki que la chanson marocaine n’a pas conquis le monde arabe parce que le Maroc ne disposait pas d’arrangeurs professionnels. Partagez-vous la même opinion?

Absolument pas. Le Maroc dispose de vrais et d’authentiques arrangeurs, mais le problème réside dans l’absence de moyens. Quand j’écoute les nouveaux artistes, je trouve que leurs


«Il y a crise et la solution
n’est pas entre les mains des artistes
mais entre celles des responsables
qui doivent traiter les chansons
comme un produit culturel et œuvrer
à leur diffusion»


chansons sont fantastiques, et cela est dû principalement à ces arrangeurs qui travaillent avec des moyens modestes. Que dirions-nous s’ils avaient suffisamment de moyens ?
Comment voyez-vous la chanson marocaine ?


L’homme ne peut pas vivre sans la musique et nous les Marocains, nous apprécions et savourons tous les genres de musique. Nous connaissons les chansons classiques plus que les Egyptiens eux-mêmes et nous les apprenons par cœur. Nous reprenons les chansons de Mohamed Abdelwahab, Oum Khaltoum au cours des fêtes et les Egyptiens ne nous croient pas capables de le faire.
Le problème au Maroc réside dans les difficultés de la production, et cela est dû au manque de contrôle et au piratage. Malgré les efforts individuels des chanteurs au niveau de la production, cela n’a pas le même effet sur l’œuvre artistique quand il s’agit d’une société spécialisée qui la produit. Car cette dernière sait comment commercialiser son produit et garantir son profit. Malheureusement au Maroc, il y a des efforts individuels, mais cela reste insuffisant. Il y a une crise et la solution n’est pas entre les mains des artistes mais entre celles des responsables qui doivent traiter les chansons comme un produit culturel et œuvrer à leur diffusion.
La plus grave erreur de tout chanteur est de se convertir en producteur. Son rôle est de chanter et d’interpréter. J’ai fait moi-même une expérience dans le domaine de la production, mais je ne la referai jamais, même si j’ai constaté que j’ai du talent à ce propos. Quand Rotana a écouté mes chansons, elle n’a pas hésité à les acheter, ce qui n’a pas été le cas avec de grands artistes.

Est-ce que le chanteur peut réussir en tant que producteur ? Y a-t-il des Marocains à même de faire valoir des talents et de les promouvoir?

Il est impossible qu’un chanteur réussisse en tant que producteur, et ce pour des raisons touchant à la commercialisation et au professionnalisme. Au Maroc, il y a l’artiste Hamid El Alaoui que je considère comme un artiste particulier, car il a une grande expérience dans la production des stars. La même chose s’applique à Rachid Hayek et à moi-même. Je suis prête à collaborer à tout projet s’il y a un organisme qui s’occupe de l’essor de la chanson marocaine.

Est-ce que vous pensez convertir quelques chansons de votre nouvel album en vidéoclip?

L’album comporte 13 chansons, et je vais enregistrer au Liban les vidéoclips de deux chansons de cet album.

Allez-vous en choisir le réalisateur et les acteurs?

La société est hautement professionnelle et sait parfaitement comment gérer ces choses.

Dans un récent entretien, vous aviez confirmé que vous avez eu l’idée de devenir actrice. Qu’en est-il de ce projet ?

Effectivement, un réalisateur égyptien m’a proposé un rôle dans un film et j’ai confirmé cela dans un entretien. Avant j’avais peur d’entrer dans ce domaine, car si j’échouais cela pourrait impacter négativement ma carrière de chanteuse. Mais la sortie de mon nouvel album m’a aidée à reprendre confiance et je suis prête à entamer une nouvelle expérience en tant qu’actrice.

Est-ce que vous pensez organiser des tournées au Maroc pour faire la promotion de votre album ?

C’est la société Rotana qui s’en occupe. J’ai insisté pour qu’elle organise des tournées au Maroc

Est-ce que vous êtes à l’aise en Egypte ?

Je m’y sens à l’aise. Les Egyptiens m’aiment beaucoup et j’ai découvert qu’ils aiment le Maroc et les Marocains. Je les respecte et je leur ai présenté l’art d’une façon respectueuse. J’ai respecté les familles pour qu’elles ne se sentent pas gênées quand elles regardent mes vidéoclips. Je n’ai jamais senti que j’étais  étrangère en Egypte.
Est-ce que les autres artistes éprouvent de la rancune envers Jannat?
Absolument pas. La jalousie ne peut naître que si j’imite ou que je supplée un autre artiste. Mais j’ai décidé, dès le début, de forger ma propre personnalité et, Dieu merci, je n’ai jamais eu de problèmes avec d’autres artistes.

Ne pensez-vous pas à vous marier?

On me pose beaucoup cette question. Même le président du Syndicat des musiciens égyptiens me l’a posée et je lui ai dit :«Est-ce que je vous dérange ?». Il m’a répondu : «Pas du tout, mais nous voulons voir vos enfants». Jusqu’à présent, il n’y a eu aucune proposition.

Quelles sont vos relations avec les chanteurs marocains en Egypte?

Il y a communication, mais vu le travail et les voyages, cette communication n’est pas permanente, surtout si l’on sait que ces chanteurs sont eux-mêmes producteurs.


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