Hicham RACHIDI, membre actif et militant du GADEM : «Nous déplorons que l’approche de la question migratoire soit éminemment sécuritaire»


Propos recueillis par Montassir SAKHI
Samedi 27 Juin 2009

Hicham RACHIDI, membre actif et militant du GADEM : «Nous déplorons que l’approche de la question migratoire soit éminemment sécuritaire»
Le Groupe anti-raciste
d’accompagnement
et de défense
des étrangers et
des migrants (GADEM) est une association qui œuvre dans
le domaine
de l’immigration.
Cette ONG a présenté
plusieurs rapports
analysant la situation
des migrants
subsahariens ainsi
que celle des réfugiés demandeurs d’asile
politique au Maroc.
Dans cet entretien, Hicham Rachidi, membre actif et militant du GADEM, revient sur la situation sociale et économique des migrants et réfugiés au Maroc. Il retrace également
les différentes activités de son association en matière de défense des droits de cette catégorie sociale défavorisée.

Libération : Le Maroc, à l’instar de plusieurs Etats du monde, a célébré dernièrement la Journée mondiale du réfugié. Quelles ont été les particularités de cet événement ?

Hicham Rachidi : La Journée mondiale des réfugiés s’est déroulée cette année dans un contexte mondial marqué par une crise financière accompagnée d’une mobilisation sans précédent des Etats du Nord afin de sauver une économie mondiale fragilisée par des déséquilibres et qui a des retombées sociales sur les migrants en général et les réfugiés en particulier. Nous sommes étonnés par l’absence d’une telle mobilisation pour assurer la protection nécessaire aux réfugiés.
Sur le plan régional, nous continuons à constater les conséquences des politiques européennes en matière d’asile et d’immigration; politiques qui tendent à développer des zones-tampon aux frontières de l’UE, comme au Maroc qui n’est pourtant pas un pays tiers. La preuve : L’actuelle mobilisation organisée par le «Rassemblement de tous les réfugiés au Maroc» qui se tient face aux locaux du Haut commissariat des Nations unies pour la protection des réfugiés (HCR) réclamant leur réinstallation dans un pays qui leur assure une réelle protection.

Le GADEM, depuis sa création, a toujours supporté la cause des réfugiés au Maroc. Vous avez œuvré principalement avec les migrants sub-sahariens qui souffrent énormément à cause des refoulements, interventions musclées et violations qu’ils subissent quotidiennement. Quelles sont les conclusions qu’on peut tirer de vos actions ?

Beaucoup reste à faire au niveau de la consécration dans les faits des droits théoriquement garantis par le cadre juridique en vigueur. Aussi, est-il important de signaler qu’il reste énormément d’efforts à fournir pour un changement des représentations culturelles à l’égard des migrants d’origine subsaharienne en transit ou installés au Maroc. Ces deux chantiers sont en corrélation avec la nécessité d’une stratégie nationale claire en matière d’intégration des primo-arrivants. Ce que nous déplorons est que la stratégie actuelle est éminemment sécuritaire et relève d’«une logique de gestion des flux migratoires » suscitée par les institutions de Bruxelles. Nous sommes donc dans une démarche non seulement pour l’application de la législation nationale, mais également de mise à niveau de la législation nationale avec le cadre international des conventions ratifiées par le Maroc et pour une réelle politique migratoire respectueuse de la dignité humaine.

Pouvez-vous dresser un tableau général sur la situation des migrants subsahariens et réfugiés au Maroc?

Les événements reflétant la vulnérabilité des migrants au regard du respect de leurs droits se sont succédé ces dernières années : événements de Sebta et Mellilia en octobre 2005, refoulements massifs en décembre 2006, naufrage d’Al Hoceima en 2008, arrestations et refoulements collectifs réguliers, y compris de femmes, enfants et réfugiés.
 1Malgré une volonté politique régulièrement explicitée, les droits fondamentaux des migrants continuent d’être malmenés et les procédures administratives et/ou judiciaires sont inexistantes ou lacunaires. Au-delà, les migrants, demandeurs d'asile et réfugiés vivent dans des conditions d’extrême vulnérabilité en grande partie en raison de leur impossibilité à faire valoir leur droit au séjour et leurs droits économiques et sociaux, ainsi que du fait de pratiques discriminatoires courantes à l’encontre de la population subsaharienne en particulier.
Le constat actuel amène à penser que l’UE s’est engagée dans un processus de sous-traitance des contrôles aux frontières et de «gestion des flux migratoires» aux pays frontaliers du Sud de l’Europe sans pour autant que ces pays, et notamment le Maroc, bénéficient, à l’heure actuelle, de la tradition démocratique et des moyens humains et financiers suffisants et nécessaires à un traitement des questions migratoires dans le respect des droits de l’Homme.
C’est dans ce cadre que le GADEM a publié en février 2009 un rapport sur l’application par le Maroc de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Ce rapport est disponible sur le lien :  www.migreurop.org/

Le GADEM avait réalisé en janvier 2009 un rapport sur le cadre juridique relatif à la condition des étrangers. Ce rapport revient sur la loi 02/03. Que pouvez-vous nous dire de cette loi ? Représente-t-elle un obstacle face à l’intégration de cette catégorie sociale au Maroc?

Sans revenir sur le contexte politique qui a marqué l’adoption de la loi 02/03, l’étude menée par le GADEM  a montré que la loi donne un pouvoir exorbitant à l’administration en lui permettant de procéder à l’exécution de la décision de reconduite aux frontières ou d’expulsion sans que les droits de défense ne soient formellement garantis par ladite loi. Le recours juridictionnel n’est pas toujours suspensif, ce qui constitue une atteinte aux droits des justiciables et à leurs intérêts. La loi institue la possibilité pour l’étranger de demander au président du tribunal administratif ou à son délégué le concours d’un interprète et la communication du dossier, contenant les pièces sur lesquelles la décision a été prise. Mais elle n’impose pas ces garanties, ni au juge ni à l’administration. Or, en l’absence d’informations et de connaissances suffisantes des garanties ouvertes aux justiciables, et au regard de la carence d’information y compris dans le corps des magistrats et des agents d’autorité qui appliquent les dispositions de la loi 02-03, il nous est difficile de croire en l’effectivité des garanties nécessaires pour le déroulement d’un procès équitable.

En ce qui concerne l’avenir des réfugiés et des migrants subsahariens au Maroc, peut-on rester optimistes devant la montée des flux migratoires d’un côté et les pressions européennes de l’autre ?

Une telle montée des  flux migratoires, notamment spécifique au Maroc reste à démontrer. Les chiffres concernant les réfugiés restent relativement stables notamment et ne révèlent pas un accueil massif de réfugiés au Maroc qui justifierait un réflexe défensif. Des négociations sont en cours concernant le statut des réfugiés au Maroc et la législation marocaine en la matière. La crainte concernant les réfugiés serait la mise en place d’un système national qui créerait un leurre de respect des droits des réfugiés mais qui resterait non effectif sur le terrain/en pratique pour ce qui est des possibilités des réfugiés à faire valoir leurs droits et à s’intégrer au Maroc. Ces droits théoriques/illusoires permettraient aux Etats européens de se déresponsabiliser de cette problématique en continuant à limiter l’accès des potentiels demandeurs d’asile sur leurs territoires et la liberté de circulation.
En général, les migrants subsahariens au Maroc sont maintenus dans une clandestinité et un déni de droit quasi-général qui ne nous incitent guère à l’optimisme pour l’avenir. Le Maroc risque d’être de plus en plus en charge des problèmes provoqués par une fermeture toujours plus forte  des frontières européennes qui continuent à causer des morts au sein de la population africaine en général et notamment marocaine.  Le Maroc n’a pas réussi à se doter d’un système permettant le respect des droits des étrangers et la loi 02-03 est verrouillée sous de nombreux aspects suscitant des problèmes sociaux qui ne feront que s’aggraver avec le temps. Une prise de conscience et un débat rapide sont nécessaires et le Maroc doit parvenir à instaurer un dialogue réel et équilibré autour de sa politique liée à la migration et au respect des droits de l’Homme, tout en évaluant ses pratiques et accordant davantage d’importance à ses engagements en termes de respect des droits de l’Homme.
Le fossé entre plaidoyer pour le respect des droits des Marocains à l’étranger et droits des étrangers au Maroc n'a également aucune raison d'être.



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