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Il avait opté pour la Tunisie depuis le début des discussions. Il n’avait pas tort, l’Egypte, qui entendait également organiser le FSM, n’avait ni les moyens ni les conditions favorables pour la tenue d’une messe de tous les altermondialistes du monde entier. Kamal Lahbib, en responsable, veut bien passer au bilan, il se confie dans cet entretien à «Libé».
Libération : Quel bilan peut-on faire du Forum social mondial (FSM) ?
Kamal Lahbib : Plus que positif. Au-delà de nos espérances. Le FSM 2013, tenu entre les 26 et 30 mars à Tunis, a renoué avec les grands moments du processus du FSM et particulièrement avec ses débuts à Porto Alegre et celui de Belém. Le Comité du Forum social maghrébin et le Secrétariat tunisien, organisateurs de cet évènement, disposaient de très peu de temps pour sa préparation. Ils n’avaient pas capitalisé suffisamment d’expériences en la matière malgré les quelque 50 forums et activités internationales, organisés durant ces 10 dernières années pour la presque totalité au Maroc. La Tunisie de Ben Ali et la Libye étaient quasiment inaccessibles, et le gouvernement algérien a systématiquement interdit toute activité du Forum social maghrébin en Algérie.
Sans oublier que le FSM se tenait dans un climat de fortes tensions politiques en Tunisie, avec l’assassinat de Chokri Belaid, la crise institutionnelle avec la démission du gouvernement, une économie délabrée, une forte agitation, des actes de violences des salafistes, un mouvement de gauche et des démocrates fragmenté…
Et pourtant, ce fut un succès : plus de 63000 participants, plus de 5000 organisations et réseaux (qui comptent parfois des centaines de membres) venus de 127 pays, plus de 1700 activités organisées dans l’immense campus de l’Université Al Manar qui abritait des manifestations, des activités culturelles, des expositions touchant tous les problèmes de la planète notamment les processus révolutionnaires qui ont ébranlé la région et le monde avec les Indignés, les Occupy Wall Street, les Carrés rouges du Québec, les Y a en a marre du Sénégal…Une couverture médiatique tunisienne impressionnante mais aussi internationale avec quelque 600 journalistes étrangers.
Jamais dans l’histoire du FSM, nous n’avons assisté à une participation aussi massive des Palestiniens (plus de 500 personnes), des Egyptiens (plus de 220 participants), des Libyens, des Yéménites, des Syriens, des Jordaniens, des Libanais, sans compter les Mauritaniens, les Marocains, les Algériens (malgré l’interdiction des autorités algériennes de laisser près d’une centaine de syndicalistes et défenseurs des droits de l’Homme de franchir la frontière algérienne…). Et c’est aussi la première fois qu’on voit une participation islamiste aussi importante et ce malgré les débats conflictuels au sein du Conseil international concernant cette question.
Le FSM de Tunis, c’est le retour en force du politique, quoi qu’en dise une certaine presse marocaine, et le climat révolutionnaire dans la région en est la raison fondamentale. Beaucoup d’intellectuels et d’hommes politiques (Nayef Hawatmah, Nabil Chaât, Samir Amin, Tarek Ramadan…) étaient présents après avoir douté de l’utilité politique du FSM.
Quel a été l’apport du FSM pour la Tunisie qui vit en ce moment au rythme d’une crise politique délicate ?
Le point qui ne fait aucun doute, c’est que pour la Tunisie, le FSM a été l’évènement de l’année. Il est incontestable que pendant 15 jours la Tunisie a vécu au rythme du FSM, qu’elle a connu un regain économique incontestable, et ce de l’avis unanime de l’épicier, des petits revendeurs, des chauffeurs de taxis, des hôtels, des restaurants, des forces politiques, du président de la République et du chef du gouvernement que j’ai d’ailleurs rencontrés. Politiquement, la ville était en effervescence avec des manifestations quotidiennes, des séminaires et des débats politiques. Des rencontres entre les diverses fractions de la gauche de la région, pas uniquement tunisiennes, ont été tenues en marge du Forum. Nous sommes en attente des résultats et du suivi des conclusions, sachant qu’aujourd’hui, ce qui fait la force des conservateurs, c’est fondamentalement la fragmentation et les luttes intestines des courants modernistes.
Le fait que ce pays ait vécu, il y a près de deux ans, une révolution populaire, a-t-il donné une particularité à ce FSM ?
Incontestablement. Lorsqu’en 2009, lors du Conseil international réuni à Rabat, en marge des Assises du Forum des alternatives Maroc, nous avions proposé de considérer la région comme axe stratégique des mouvements alter-mondialistes, et c’était une année après les évènements du Bassin minier de Gafsa, qui ont marqué le processus révolutionnaire en Tunisie, le Conseil a été unanime pour renforcer la dynamique déclenchée par les mouvements sociaux maghrébins. En 2011, le Conseil, réuni à Paris, a décidé de tenir le Forum suivant dans la région, sans préciser le pays, nous laissant le soin d’en décider, en fonction des évolutions politiques. Le choix de la Tunisie, c’est le choix symbolique du pays qui a ouvert un processus de contestation à travers le monde, c’est aussi l’expérience, si on excepte le Maroc, qui a connu un processus relativement pacifique, sans intervention étrangère, sans guerre civile, avec des élections relativement régulières. Les organisations présentes à Tunis, sont venues pour se solidariser avec ce processus révolutionnaire, l’appréhender et contribuer à sa consolidation. Le slogan du Forum a été celui des révolutions dans la région : le Forum de la dignité, le Forum pour la dignité.
Quelles ont été les perspectives dégagées, suite à cette édition, notamment pour les questions majeures concernant la guerre, la paix, l’environnement, l’avancée de la droite islamique dans les pays nord-africains ?
C’est trop tôt pour tirer des conclusions. Beaucoup de décisions ont été prises, beaucoup de réseaux se sont constitués et un élargissement de nos préoccupations (le nucléaire, le climat, les industries minières, les projets inutiles…), tenant compte des dernières évolutions politiques, a été réalisé. Nous travaillons sur la mémoire du FSM, sur le suivi des recommandations, sur la mise en œuvre des décisions majeures prises par divers groupes d’organisations en fonction de leur champ d’intervention
Quelle évaluation peut-on faire de la participation marocaine dans ce FSM ?
La participation marocaine a été remarquable de maturité. Une certaine presse a même présenté la «délégation» marocaine comme représentative de «la société civile officielle». Le mouvement social marocain (syndicats, associations et mouvements sociaux des populations) s’est distingué par l’organisation de plusieurs activités, en fonction de leurs centres d’intérêt. Il a activement participé à des ateliers organisés par des organisations internationales. J’avais personnellement au minimum une à deux interventions par jour dans des ateliers organisés par des organisations internationales dont une avec Nabil Chaât, des débats télévisés (avec Nayef Hawatmah), des émissions de radio avec des Egyptiens, des Tunisiens…L’atelier sur l’intégration maghrébine a connu la participation d’un conseiller de Lula, d’économistes de renom. L’atelier co-organisé avec des associations internationales sur l’islam politique et émancipation avec la participation, entre autres, de Tarek Ramadan, a été sujet à une profonde analyse. Sans compter les ateliers sur le conflit du Sahara qui, encore une fois, ont connu des débordements et des dérapages, mais sans commune mesure avec ce qui s’est passé à Dakar et qui était le fait d’une «délégation officielle» envoyée par le gouvernement marocain et qui ne connaissait rien ni à l’esprit du Forum, ni même aux évolutions de la position officielle marocaine et qui se cantonnait dans des slogans creux, déphasés de la réalité et portés sur les velléités de violence.
Comment évaluez-vous la couverture médiatique, notamment par les médias marocains ?
Beaucoup d’organes de presse ont fait preuve d’une méconnaissance totale du Forum social, de sa philosophie, de son fonctionnement, de la diversité de ses composantes et de ses objectifs. J’ai lu des aberrations incroyables, du genre : le Polisario est membre du Conseil. Et j’aimerais à ce propos apporter quelques clarifications :
1- Le FSM est un espace de rencontres des mouvements sociaux, et n’admet aucune présence ni des gouvernements, ni des partis politiques, ni des mouvements armés. De ce fait, le Polisario, en tant que tel, n’a pas de place dans le Forum. Il y a la participation d’organisations associatives, de diverses obédiences (Polisario ou autres) qui sont présentes et qui sont autorisées (ou non) par les autorités marocaines mais qui s’activent au Maroc. Quelques-unes sont membres du Comité de suivi du Forum social maghrébin et nous avons contribué à leur inclusion et ouvert des espaces de débats contradictoires depuis 2006 sur la base de textes (dont la Charte du Maghreb des peuples et l’IPSO), tous adoptés au Maroc, à El Jadida au Forum social maghrébin de 2008, sans incidents majeurs.
2. Le Polisario n’est pas membre du Conseil international du FSM et seules deux organisations sont membres du CI : Le Forum des alternatives Maroc (FMAS) et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Aucune autre organisation du Maghreb n‘est membre, mais les réunions du CI sont ouvertes aux observateurs qui peuvent prendre la parole mais ne participent pas à la prise de décision.
3. Les “affrontements” à Tunis sont de loin mineurs par rapport aux affrontements vécus au Maroc même (à l’université, à Laâyoune, à Dakhla, à Gdim Izik, à Rabat…)
Justement, que pouvez-vous nous dire à propos de la présence de la question du Sahara au FSM ?
Plusieurs activités ont été programmées sur le conflit du Sahara, avec des approches différentes (pro-thèses du Polisario, ou thèses nuancées, pour l’autonomie, pour la marocanité du Sahara, les témoignages des familles des victimes de Gdim Izik, des victimes du Polisario, des victimes des expulsions d’Algérie, des activités culturelles festives variées qui, un moment, sont devenues aussi des manifestations de positions politiques…). Le Forum a connu une richesse et une diversité de points de vue qui ont été perturbées cette fois-ci et pour la première fois de manière visible au sein du FSM, par quelques Algériens qui n’ont aucun rapport avec nos amis algériens qui sont avec nous dans la dynamique depuis 2004, et qui sur la question du Sahara ont des positions variées, mais respectueuses de la Charte. Des communiqués ont été publiés par les organisations agressées ainsi que des points de presse ont été tenus. Le service de sécurité du FSM, des volontaires tunisiens, est intervenu de manière efficace pour éviter les dérapages de Dakar.
Nous avons eu écho d’un comité de soutien aux Sahraouis pro-Polisario par des Tunisiens.
Que des organisations partisanes tunisiennes et autres aient constitué un comité de soutien aux Sahraouis, cela n’a rien d’extraordinaire en soi et cette diversité est salutaire pour faire avancer les débats et pour que les organisations civiles s’approprient un sujet qui est resté enfermé, sans résultats, entre les gouvernants de la région. Il faut souligner que, le FSM étant un espace ouvert à tous les mouvements sociaux, notre responsabilité est de veiller à ce qu’il n’y ait aucune exclusion d’aucune organisation dans le respect de la Charte de Porto Alegre. Des conflits et des dérapages ont eu lieu sur la Syrie, sur le Sahara, sur la Palestine, sur la question kurde ; ils ont été gérés au mieux pour que cela ne dégénère pas. Nous avons même été pris à parti, y compris par les médias tunisiens, pour une soi-disant participation israélienne au FSM. Il s’est avéré qu’il s’agissait de participation de Palestiniens de 1948 qui sont porteurs de passeports israéliens. L’Assemblée de convergence des jeunes a tourné court, dans le désordre, à cause de cette question.
Le FSM est-il responsable des positions prises au sein du Forum?
Les positions prises par les organisations n’engagent pas le FSM, mais uniquement les organisations signataires des communiqués et des déclarations. Il y a eu près de 35 Assemblées sur des thématiques diverses, mais aucune ne peut, ni n’a le droit de parler au nom du FSM.
L’Assemblée dite «Assemblée des mouvements sociaux», qui crée le plus de confusion n’exprime que les points de vue de ceux et de celles qui y adhèrent. Elle n’exprime aucunement la position du FSM.
On a également eu écho d’un vote au sein du FSM, une première dans les annales du Forum.
Le FSM ne vote pas, même le Conseil international ne vote pas, ni prend des décisions par acclamation. Il est un lieu et un espace d’articulations de luttes entre les organisations qui le souhaitent, un lieu de débats et d’échanges d’expériences, un lieu d’élaboration de propositions conjointes, contre le néolibéralisme, le néocolonialisme, pour la souveraineté des peuples, pour le mieux vivre, pour la sauvegarde de l’environnement, pour le respect des libertés fondamentales, pour la libre circulation des hommes et des femmes, pour un autre monde possible et nécessaire. Ce n’est pas un hasard si l’ouverture du Forum s’est focalisée sur la question des femmes et de leurs luttes pour l’égalité et pour un projet social démocratique, comme ce n’est pas un hasard si la marche de clôture qui est une innovation du FSM de Tunis, a été consacrée à la Palestine, avec sa symbolique de rejet de l’occupation, de la militarisation de la région, de la duplicité des pays occidentaux et de l’appui inconditionnel de l’Etat américain à l’Etat sioniste.
Quel défi les forums sociaux doivent-ils relever désormais ?
La réussite du FSM nous met devant le défi de répondre à la demande internationale de le garder encore dans la région du Maghreb. Dans quelle mesure serions-nous capables d’aborder les questions conflictuelles dans le respect de la diversité des points de vue et dans le respect de la Charte du FSM ? Saurions-nous aborder nos problèmes spécifiques sans être pris en otage par un conflit particulier, pour aborder les problématiques centrales du FSM que sont le projet d’un Autre monde, d’un autre projet économique que le modèle néo-libérale, le projet de la démocratie et de respect des droits de l’Homme, de l’égalité et de la dignité qui a été le slogan central du FSM 2013 tenu à Tunis ?
Libération : Quel bilan peut-on faire du Forum social mondial (FSM) ?
Kamal Lahbib : Plus que positif. Au-delà de nos espérances. Le FSM 2013, tenu entre les 26 et 30 mars à Tunis, a renoué avec les grands moments du processus du FSM et particulièrement avec ses débuts à Porto Alegre et celui de Belém. Le Comité du Forum social maghrébin et le Secrétariat tunisien, organisateurs de cet évènement, disposaient de très peu de temps pour sa préparation. Ils n’avaient pas capitalisé suffisamment d’expériences en la matière malgré les quelque 50 forums et activités internationales, organisés durant ces 10 dernières années pour la presque totalité au Maroc. La Tunisie de Ben Ali et la Libye étaient quasiment inaccessibles, et le gouvernement algérien a systématiquement interdit toute activité du Forum social maghrébin en Algérie.
Sans oublier que le FSM se tenait dans un climat de fortes tensions politiques en Tunisie, avec l’assassinat de Chokri Belaid, la crise institutionnelle avec la démission du gouvernement, une économie délabrée, une forte agitation, des actes de violences des salafistes, un mouvement de gauche et des démocrates fragmenté…
Et pourtant, ce fut un succès : plus de 63000 participants, plus de 5000 organisations et réseaux (qui comptent parfois des centaines de membres) venus de 127 pays, plus de 1700 activités organisées dans l’immense campus de l’Université Al Manar qui abritait des manifestations, des activités culturelles, des expositions touchant tous les problèmes de la planète notamment les processus révolutionnaires qui ont ébranlé la région et le monde avec les Indignés, les Occupy Wall Street, les Carrés rouges du Québec, les Y a en a marre du Sénégal…Une couverture médiatique tunisienne impressionnante mais aussi internationale avec quelque 600 journalistes étrangers.
Jamais dans l’histoire du FSM, nous n’avons assisté à une participation aussi massive des Palestiniens (plus de 500 personnes), des Egyptiens (plus de 220 participants), des Libyens, des Yéménites, des Syriens, des Jordaniens, des Libanais, sans compter les Mauritaniens, les Marocains, les Algériens (malgré l’interdiction des autorités algériennes de laisser près d’une centaine de syndicalistes et défenseurs des droits de l’Homme de franchir la frontière algérienne…). Et c’est aussi la première fois qu’on voit une participation islamiste aussi importante et ce malgré les débats conflictuels au sein du Conseil international concernant cette question.
Le FSM de Tunis, c’est le retour en force du politique, quoi qu’en dise une certaine presse marocaine, et le climat révolutionnaire dans la région en est la raison fondamentale. Beaucoup d’intellectuels et d’hommes politiques (Nayef Hawatmah, Nabil Chaât, Samir Amin, Tarek Ramadan…) étaient présents après avoir douté de l’utilité politique du FSM.
Quel a été l’apport du FSM pour la Tunisie qui vit en ce moment au rythme d’une crise politique délicate ?
Le point qui ne fait aucun doute, c’est que pour la Tunisie, le FSM a été l’évènement de l’année. Il est incontestable que pendant 15 jours la Tunisie a vécu au rythme du FSM, qu’elle a connu un regain économique incontestable, et ce de l’avis unanime de l’épicier, des petits revendeurs, des chauffeurs de taxis, des hôtels, des restaurants, des forces politiques, du président de la République et du chef du gouvernement que j’ai d’ailleurs rencontrés. Politiquement, la ville était en effervescence avec des manifestations quotidiennes, des séminaires et des débats politiques. Des rencontres entre les diverses fractions de la gauche de la région, pas uniquement tunisiennes, ont été tenues en marge du Forum. Nous sommes en attente des résultats et du suivi des conclusions, sachant qu’aujourd’hui, ce qui fait la force des conservateurs, c’est fondamentalement la fragmentation et les luttes intestines des courants modernistes.
Le fait que ce pays ait vécu, il y a près de deux ans, une révolution populaire, a-t-il donné une particularité à ce FSM ?
Incontestablement. Lorsqu’en 2009, lors du Conseil international réuni à Rabat, en marge des Assises du Forum des alternatives Maroc, nous avions proposé de considérer la région comme axe stratégique des mouvements alter-mondialistes, et c’était une année après les évènements du Bassin minier de Gafsa, qui ont marqué le processus révolutionnaire en Tunisie, le Conseil a été unanime pour renforcer la dynamique déclenchée par les mouvements sociaux maghrébins. En 2011, le Conseil, réuni à Paris, a décidé de tenir le Forum suivant dans la région, sans préciser le pays, nous laissant le soin d’en décider, en fonction des évolutions politiques. Le choix de la Tunisie, c’est le choix symbolique du pays qui a ouvert un processus de contestation à travers le monde, c’est aussi l’expérience, si on excepte le Maroc, qui a connu un processus relativement pacifique, sans intervention étrangère, sans guerre civile, avec des élections relativement régulières. Les organisations présentes à Tunis, sont venues pour se solidariser avec ce processus révolutionnaire, l’appréhender et contribuer à sa consolidation. Le slogan du Forum a été celui des révolutions dans la région : le Forum de la dignité, le Forum pour la dignité.
Quelles ont été les perspectives dégagées, suite à cette édition, notamment pour les questions majeures concernant la guerre, la paix, l’environnement, l’avancée de la droite islamique dans les pays nord-africains ?
C’est trop tôt pour tirer des conclusions. Beaucoup de décisions ont été prises, beaucoup de réseaux se sont constitués et un élargissement de nos préoccupations (le nucléaire, le climat, les industries minières, les projets inutiles…), tenant compte des dernières évolutions politiques, a été réalisé. Nous travaillons sur la mémoire du FSM, sur le suivi des recommandations, sur la mise en œuvre des décisions majeures prises par divers groupes d’organisations en fonction de leur champ d’intervention
Quelle évaluation peut-on faire de la participation marocaine dans ce FSM ?
La participation marocaine a été remarquable de maturité. Une certaine presse a même présenté la «délégation» marocaine comme représentative de «la société civile officielle». Le mouvement social marocain (syndicats, associations et mouvements sociaux des populations) s’est distingué par l’organisation de plusieurs activités, en fonction de leurs centres d’intérêt. Il a activement participé à des ateliers organisés par des organisations internationales. J’avais personnellement au minimum une à deux interventions par jour dans des ateliers organisés par des organisations internationales dont une avec Nabil Chaât, des débats télévisés (avec Nayef Hawatmah), des émissions de radio avec des Egyptiens, des Tunisiens…L’atelier sur l’intégration maghrébine a connu la participation d’un conseiller de Lula, d’économistes de renom. L’atelier co-organisé avec des associations internationales sur l’islam politique et émancipation avec la participation, entre autres, de Tarek Ramadan, a été sujet à une profonde analyse. Sans compter les ateliers sur le conflit du Sahara qui, encore une fois, ont connu des débordements et des dérapages, mais sans commune mesure avec ce qui s’est passé à Dakar et qui était le fait d’une «délégation officielle» envoyée par le gouvernement marocain et qui ne connaissait rien ni à l’esprit du Forum, ni même aux évolutions de la position officielle marocaine et qui se cantonnait dans des slogans creux, déphasés de la réalité et portés sur les velléités de violence.
Comment évaluez-vous la couverture médiatique, notamment par les médias marocains ?
Beaucoup d’organes de presse ont fait preuve d’une méconnaissance totale du Forum social, de sa philosophie, de son fonctionnement, de la diversité de ses composantes et de ses objectifs. J’ai lu des aberrations incroyables, du genre : le Polisario est membre du Conseil. Et j’aimerais à ce propos apporter quelques clarifications :
1- Le FSM est un espace de rencontres des mouvements sociaux, et n’admet aucune présence ni des gouvernements, ni des partis politiques, ni des mouvements armés. De ce fait, le Polisario, en tant que tel, n’a pas de place dans le Forum. Il y a la participation d’organisations associatives, de diverses obédiences (Polisario ou autres) qui sont présentes et qui sont autorisées (ou non) par les autorités marocaines mais qui s’activent au Maroc. Quelques-unes sont membres du Comité de suivi du Forum social maghrébin et nous avons contribué à leur inclusion et ouvert des espaces de débats contradictoires depuis 2006 sur la base de textes (dont la Charte du Maghreb des peuples et l’IPSO), tous adoptés au Maroc, à El Jadida au Forum social maghrébin de 2008, sans incidents majeurs.
2. Le Polisario n’est pas membre du Conseil international du FSM et seules deux organisations sont membres du CI : Le Forum des alternatives Maroc (FMAS) et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). Aucune autre organisation du Maghreb n‘est membre, mais les réunions du CI sont ouvertes aux observateurs qui peuvent prendre la parole mais ne participent pas à la prise de décision.
3. Les “affrontements” à Tunis sont de loin mineurs par rapport aux affrontements vécus au Maroc même (à l’université, à Laâyoune, à Dakhla, à Gdim Izik, à Rabat…)
Justement, que pouvez-vous nous dire à propos de la présence de la question du Sahara au FSM ?
Plusieurs activités ont été programmées sur le conflit du Sahara, avec des approches différentes (pro-thèses du Polisario, ou thèses nuancées, pour l’autonomie, pour la marocanité du Sahara, les témoignages des familles des victimes de Gdim Izik, des victimes du Polisario, des victimes des expulsions d’Algérie, des activités culturelles festives variées qui, un moment, sont devenues aussi des manifestations de positions politiques…). Le Forum a connu une richesse et une diversité de points de vue qui ont été perturbées cette fois-ci et pour la première fois de manière visible au sein du FSM, par quelques Algériens qui n’ont aucun rapport avec nos amis algériens qui sont avec nous dans la dynamique depuis 2004, et qui sur la question du Sahara ont des positions variées, mais respectueuses de la Charte. Des communiqués ont été publiés par les organisations agressées ainsi que des points de presse ont été tenus. Le service de sécurité du FSM, des volontaires tunisiens, est intervenu de manière efficace pour éviter les dérapages de Dakar.
Nous avons eu écho d’un comité de soutien aux Sahraouis pro-Polisario par des Tunisiens.
Que des organisations partisanes tunisiennes et autres aient constitué un comité de soutien aux Sahraouis, cela n’a rien d’extraordinaire en soi et cette diversité est salutaire pour faire avancer les débats et pour que les organisations civiles s’approprient un sujet qui est resté enfermé, sans résultats, entre les gouvernants de la région. Il faut souligner que, le FSM étant un espace ouvert à tous les mouvements sociaux, notre responsabilité est de veiller à ce qu’il n’y ait aucune exclusion d’aucune organisation dans le respect de la Charte de Porto Alegre. Des conflits et des dérapages ont eu lieu sur la Syrie, sur le Sahara, sur la Palestine, sur la question kurde ; ils ont été gérés au mieux pour que cela ne dégénère pas. Nous avons même été pris à parti, y compris par les médias tunisiens, pour une soi-disant participation israélienne au FSM. Il s’est avéré qu’il s’agissait de participation de Palestiniens de 1948 qui sont porteurs de passeports israéliens. L’Assemblée de convergence des jeunes a tourné court, dans le désordre, à cause de cette question.
Le FSM est-il responsable des positions prises au sein du Forum?
Les positions prises par les organisations n’engagent pas le FSM, mais uniquement les organisations signataires des communiqués et des déclarations. Il y a eu près de 35 Assemblées sur des thématiques diverses, mais aucune ne peut, ni n’a le droit de parler au nom du FSM.
L’Assemblée dite «Assemblée des mouvements sociaux», qui crée le plus de confusion n’exprime que les points de vue de ceux et de celles qui y adhèrent. Elle n’exprime aucunement la position du FSM.
On a également eu écho d’un vote au sein du FSM, une première dans les annales du Forum.
Le FSM ne vote pas, même le Conseil international ne vote pas, ni prend des décisions par acclamation. Il est un lieu et un espace d’articulations de luttes entre les organisations qui le souhaitent, un lieu de débats et d’échanges d’expériences, un lieu d’élaboration de propositions conjointes, contre le néolibéralisme, le néocolonialisme, pour la souveraineté des peuples, pour le mieux vivre, pour la sauvegarde de l’environnement, pour le respect des libertés fondamentales, pour la libre circulation des hommes et des femmes, pour un autre monde possible et nécessaire. Ce n’est pas un hasard si l’ouverture du Forum s’est focalisée sur la question des femmes et de leurs luttes pour l’égalité et pour un projet social démocratique, comme ce n’est pas un hasard si la marche de clôture qui est une innovation du FSM de Tunis, a été consacrée à la Palestine, avec sa symbolique de rejet de l’occupation, de la militarisation de la région, de la duplicité des pays occidentaux et de l’appui inconditionnel de l’Etat américain à l’Etat sioniste.
Quel défi les forums sociaux doivent-ils relever désormais ?
La réussite du FSM nous met devant le défi de répondre à la demande internationale de le garder encore dans la région du Maghreb. Dans quelle mesure serions-nous capables d’aborder les questions conflictuelles dans le respect de la diversité des points de vue et dans le respect de la Charte du FSM ? Saurions-nous aborder nos problèmes spécifiques sans être pris en otage par un conflit particulier, pour aborder les problématiques centrales du FSM que sont le projet d’un Autre monde, d’un autre projet économique que le modèle néo-libérale, le projet de la démocratie et de respect des droits de l’Homme, de l’égalité et de la dignité qui a été le slogan central du FSM 2013 tenu à Tunis ?