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Entretien avec Chakib Bouallou, président du Conseil franco-marocain des ingénieurs et scientifiques
“Bon nombre de compétences expatriées sont irrémédiablement perdues pour le Maroc”
Libé : Vous avez organisé dernièrement à Paris la Convention CFMIS «Expériences des compétences scientifiques et médicales marocaines à l’étranger dans le domaine de la santé rurale et le développement humain au Maroc», quel était l’objectif de cette rencontre ?
Cette convention avait pour objectif de faire le point sur les expériences des compétences scientifiques et médicales marocaines à l’étranger dans le domaine de la santé rurale et le développement humain au Maroc. La première table ronde a concerné les compétences médicales en termes de services dans le cadre du programme de maintien sur place des populations des quartiers d’habitat insalubre. La seconde table ronde s’est intéressée à la promotion des soins de santé en milieu rural et a traité aussi la question de la politique de santé pour la prise en charge de la dépendance au Maroc. La troisième table ronde était consacrée au projet d’unité de soins mobiles pour le monde rural et l’évaluation des expériences déjà initiées. Cette première rencontre a eu lieu le 24 mars dernier, le Club «Santé, Nutrition & Agro-Alimentaire», l’un des clubs du Conseil franco-marocain des ingénieurs et scientifiques a ensuite co-organisé avec le Réseau santé des Marocains du monde (RSMM) le 23 juin les Assises de la santé au Maroc qui ont traité « Les enjeux et défis du système de santé au Maroc ».
Est-ce que vous êtes satisfait des travaux de la convention organisée à Paris?
Oui, totalement, les conclusions de cette convention sont d’une lucidité certaine. Nous préconisons un investissement et une participation active des compétences marocaines de l’étranger au sein de projets innovants, pilotes qui intègrent à la fois la santé, l’éducation et l’environnement mais nous avons surtout appelé à une puissante volonté politique de changement ! Une grande satisfaction est la constitution du Réseau santé des Marocains du monde qui a été annoncée le 23 juin à Paris et qui s’est doté d’un service de communication qui ne manquera pas d’apporter toutes les précisions nécessaires concernant ses missions et son fonctionnement.
Aujourd’hui, est-il facile de mener des projets avec les pouvoirs publics dans le pays d’origine ?
Malheureusement, il est aujourd’hui très difficile de mobiliser les scientifiques et experts établis à l’étranger, le Maroc doit s’engager dans une voie très originale qui fait l’objet d’un suivi scientifique avec comme objectif: contribuer, depuis l’étranger, au développement scientifique, technique, socioéconomique et culturel du Maroc. Pour un certain nombre de compétences expatriées, il faut avoir le courage de dire qu’elles sont irrémédiablement perdues pour le Maroc.
Quel regard portez-vous en tant qu’association sur la politique du Maroc envers les compétences à l’étranger ?
C’est un regard très critique, le bilan est maigre, rien n’a été fait ! Quelques rencontres sur les compétences sans suivi ni suite à donner et un rapport-rappel sur les volontés affichées des différents gouvernements. Or, je le répète, une fois de plus, ce qu’il faut c’est l’élaboration d’instruments permettant de créer des réseaux qui fédèrent les experts expatriés. Les activités doivent s’organiser à partir de réseaux et de nœuds en liaison avec des programmes et équipes nationaux clairement identifiés. Bien entendu, il faut assurer une coordination générale du réseau et créer un réseau de communication électronique via Internet qui permet l’échange d’informations pour la recherche de données ou l’évaluation de programmes scientifiques et techniques dans le cadre de projets communs ou tout simplement une formation continue !
Concrètement, il faut établir des cartes informatiques de la technologie et l’ingénierie, les sciences naturelles et exactes, la médecine et les sciences de la santé, les sciences de la terre et de l’environnement, etc. A travers ces cartes, on peut trouver soit les partenaires recherchés, soit définir les thématiques porteuses moyennant des indicateurs et des méthodes qui permettent de détecter les compétences requises.
Connaissez-vous une ou des expériences réussies de transfert de savoir par la communauté établie à l’étranger vers son pays d’origine ?
La réponse à cette question est apportée par les nouveaux pays industrialisés (NPI: Indonésie, Thaïlande, Philippines, Viêt-Nam, Mexique, Chili, Colombie, Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud et Turquie) qui tentent de réintégrer leurs scientifiques établis à l’étranger et qui ont réussi à rapatrier systématiquement une grande partie. L’installation de fortes infrastructures locales pour les recevoir est la base de ces politiques de retour. Une telle stratégie suppose une capacité qui fait défaut dans la plupart des pays en développement. Il existe des voies alternatives afin de soutenir des missions temporaires de consultance scientifique ou technique réalisées par des chercheurs expatriés dans leur pays d’origine. Le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) conduit depuis 1977 et le programme Totken (Transfert de connaissances par l’intermédiaire de nationaux expatriés).
Est-ce que le Maroc pourra compter sur ses compétences établies dans le reste du monde pour son développement local ?
Oui, à condition de trouver des réponses sérieuses et pérennes à deux questions: quelle est la stratégie de mise en réseau des compétences expatriées ? Comment associer une population tellement dispersée et orienter ses potentialités multiples sur des thèmes stratégiques pour le Maroc ? Dans ma réponse sur les compétences, je fais des propositions qui répondent à ces questions essentielles.
Entretien réalisé par Youssef Lahlali