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Le Maroc a fait
le choix d’un islam serein, équilibré et pondéré. Et cela fait 14 siècles que cela dure. Ainsi parle Ahmed Abbadi, le théologien en tenue
de ville. Cet homme de religion invite
à une lecture éclairée de la religion
musulmane mais aussi à un voyage dans les esprits
pour comprendre
les douleurs,
les frustrations, les colères. Dans le même temps, il en appelle
à l’ouverture d’un dialogue avec les adeptes de la salafiya jihadiya, pour mieux «déconstruire»
leur logique.
Entretien avec
un Alem adepte
de la modernité,
du dialogue et de la conciliation et un intellectuel qui n’a
de cesse de joindre
le texte à la raison.
Libération : La question de l’islam s’est posée d’une manière ou d’une autre dans notre pays. Il y a eu des avancées, des reculs et des excès. Quel regard portez-vous sur l’organisation du champ religieux dans notre pays à un moment où nous avions des mosquées clandestines dans des garages, une pratique souterraine de la religion qui a conduit aux attentats du 16 mai ?
Ahmed Abbadi : Avec l’avènement de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au pouvoir, il y a eu une prise de conscience et un gain en lucidité. On a donc commencé à déconstruire ce champ en utilisant des enzymes qui nous ont permis de prendre connaissance des fins détails de ce champ. L‘approche adoptée par SM le Roi dès 2002 était celle-ci ; mais le point culminant en a été le discours Royal prononcé en 2004 à Casablanca. A cette occasion, le Souverain a jeté les fondements de la nouvelle conception de ce champ religieux. On a pu percevoir que ce champ était articulé autour de cinq piliers, le pilier majeur étant la Commanderie des croyants. Ce qui signifie bien que c’est le Roi qui préside le champ religieux. Ce qui a profondément rassuré les divers acteurs de tout bord, et ce pour de multiples raisons. D’abord, parce que l’orientation religieuse du pays est entre des mains sûres. Ensuite parce que l’école sur laquelle se basait cette dynastie est claire : c’est la même école sur laquelle se sont fondées toutes les dynasties qui se sont succédé en terre marocaine. Il s’agit d’une école fondée au fil des siècles d’une manière sereine, posée et pondérée. J’entends ici la doctrine achaarie qui est équilibrée car elle joint le texte et la raison. Et c’est pour cette raison que les Marocains ont choisi cette doctrine parce que Achaari était « mouaatazili » et a donné l’importance à la raison. Mais il a vite compris que la raison à elle toute seule ne suffisait pas. Il fallait que cette raison soit appuyée par un autre règne de données. Des données contenues dans les textes et qui sont des données auxquelles on ne peut pas accéder par la simple raison. On a besoin de ce règne de données venant du Texte, c’est-à-dire le Saint Coran et la tradition ou la Sunna du Prophète.
«La doctrine
achaarie adoptée par le Maroc est un choix pondéré et équilibré parce que le texte est joint à la raison»
Est-ce que la doctrine achaarie telle que vous la décrivez a été mise en péril à cause de cet islam satellitaire arrosant le Maroc et du wahabisme rampant introduit dans le pays à travers notamment ces petits livres jaunes vendus à la sauvette ?
Avant l’islam satellitaire, il y avait de nombreuses doctrines et visions en matière de croyance qui pensaient s’infiltrer chez nous de toutes parts. Lors des décennies 1970-1980, l’impression de livres était chose banale et les douaniers ne fouinaient pas spécialement dans les titres des livres. Résultat, il y a eu beaucoup d’infiltration. La production locale n’était pas non plus des plus actives. La conséquence est évidente : nous avons été envahis. Il y a aujourd’hui cet « open sky » où les satellites pouvaient « broadcaster » des émissions de prêche de par le monde. En fait, nous sommes témoins de plusieurs sortes d’envahissement. C’est pour cela que je mets l’accent sur le fait que la « Aqida achaariya », est un choix pondéré et équilibré parce que le texte est joint à la raison.
Et la place de la salafiya dans tout cela ? Est-ce une évolution dans le temps et dans l’histoire pour ce qu’elle est devenue aujourd’hui ?
La salafiya est un concept, une nomination pouvant comprendre plusieurs interprétations. Si cela veut dire se lier aux origines, alors nous sommes tous Salafistes ! Mais ce lien doit se baser sur une compréhension bien précise. Sur le registre de la jurisprudence, la législation et le fiqh, le Maroc a fait le choix de l’école malékite. Rituellement, dans ce pays, on avait un choix bien précis et ce depuis l’avènement de Moulay Idriss 1er. Cela s’est renforcé avec Idriss II qui a reçu les juges qui, imbibés de ce rite, le répandaient avec beaucoup de maîtrise et « Amana », de justesse et de justice. Tous les juges, tous les grands noms qui se sont attachés à ce rite savaient comment l’ancrer. Ils savaient aussi et surtout faire l’équilibre entre les textes et les finalités. Un tel équilibre donnait une grande flexibilité à la pratique quotidienne des Marocains. Et justement le rite malékite est connu pour cet équilibre qui inclut les mœurs dans ses piliers majeurs. L’habitude quotidienne des citoyens doit être respectée tant qu’elle n’est pas en contradiction avec les textes ultimes.
«Ces expressions de religiosité politique ont toujours
été causées par cette tentative de mettre
en phase les deux dimensions pratique et identitaire»
Le rite malékite laisse-t-il de la place à la tolérance et en particulier à celles et ceux qui plaident pour la liberté de conscience ou un rite autre que celui malékite ? Comment se comporter face à tout cela dans le Maroc d’aujourd’hui ?
De par son ouverture et sa pondération, le rite était convaincant. On n’éprouvait donc pas le besoin d’un autre rite, celui malékite ayant laissé les marges nécessaires pour les flexibilités dont on aurait besoin dans toute société. Il est ici question de prospection. On ne peut émettre de fetwa sans se référer à une approche prospective anticipante.
Donc le Maroc n’a pas choisi un islam rigoriste. Y a-t-il de la place pour un islam de ce type chez nous?
C’était un islam équilibré et pondéré, car c’était avant tout un islam savant. Nous parlions à l’instant de finalité. Eh bien, la finalité ultime de l’islam est celle de rendre les gens heureux. Le but ultime et la finalité majeure parmi les finalités de la religion en soi c’est la joie. C’est la quintessence de la religion. Ceci n’a pas été omis par nos savants qui ont décrypté le soufisme sunnite. Ce sont de tels choix opérés de manière très précoce par notre pays qui ont fait en sorte que la société qui était la nôtre était bien stable, religieusement parlant
Et que s’est-il passé ?
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts! Circulation de livres, islam satellitaire, prosélytisme, les cause sont multiples. Au Maroc, la tradition était une tradition d’action, de parole. Nous avons d’abord été un peuple vocal. Et lorsque les choses ont changé et qu’on a été confrontés à plusieurs écrits et expressions orales et numériques, beaucoup se sont dit qu’il fallait essayer d’avoir
une place sous le soleil de la communication !
L’islam politique est-il au 21ème siècle une déviation du religieux?
Cela s’est passé à toute époque pendant les 14 siècles de l’existence de l’islam sur ce petit globe bleu qu’on appelle Terre ! Et cela a toujours existé dans les autres religions. Qui décide ? Qui décide de cette destinée ? Qui la gère ? Il y a toujours eu cette recherche atténuée par les choses de la vie, mais même atténuées, elles n’ont jamais cessé d’exister. Il y a toujours cette recherche visant à faire la jonction entre dimension identitaire et dimension pratique, la praxis via l’identitaire. Comment jeter les ponts entre toutes ces composantes ? Lorsqu’on voit sa praxis déphasée par rapport à sa dimension identitaire, on essaie de rectifier le tir. Lorsqu’on voit la dimension identitaire latente empêchant le progrès, empêchant d’exister et coexister, on essaie de rectifier le tir ! Cette quête innée d’un certain équilibre chez nous autres Homo sapiens a toujours existé. Ces expressions de religiosité politique ou de l’existence de politique religieuse ont toujours été causées par cette tentative de mettre en phase les deux dimensions pratique et identitaire.
Je vais poser la question autrement : Est-ce que politique et religion font bon ménage ou non ?
Bien sûr ! La preuve réside dans l’histoire singulière de notre pays. Cela a toujours été le cas d’une manière souple et spontanée. Les choix faits d’une manière précoce et qui se sont ancrés dans notre société ont réussi à faire l’unanimité entre élite et masse. Ce qui a assuré le cours tranquille de l’histoire religieuse de ce pays. Le premier pilier, incarné par « Imarate al mouminine » a assuré ceci. Le deuxième pilier est celui de l’administration et la gestion, autrement dit le ministère des Habous. Le troisième pilier se traduit dans la proximité. C’est le conseil supérieur des oulémas et ses 80 Conseils locaux qui gèrent cette proximité avec les citoyens. Il ne faut pas oublier la Haute instance de l’Iftae qui est présidée par SM le Roi. Le quatrième pilier a trait à la recherche et à la réflexion… Il est représenté par la Rabita Mohammadia avec ces 15 centres de recherche qui s’attellent à instruire des dossiers de manière continue et permanente. La Rabita a également ses réseaux sociaux, notamment les oulémas. Ce sont des relais qui travaillent sur le terrain et qui sont aux côtés des gens. Nous essayons d’interagir avec ces gens en formant et en bâtissant les capacités nécessaires chez nos oulémas-relais, pour pouvoir s’acquiter de cette tâche. La cinquième composante de cet édifice, ce sont enfin les zaouias et les institutions qui assurent la formation intellectuelle et scolastique religieuse.
Qui prononce l’iftae ?
Au Maroc, nous avons « Iftae » et « Irchad ». « Irchad » a trait à tout ce qui est courant et touche aux cinq piliers de l’Islam, à la pratique quotidienne de la religion, etc. Ceci est déjà écrit et instruit. Mais il y a des choses liées au contexte avec toute sa topographie et toute sa composante et que l’on doit connaître. Un contexte requiert des clefs, exactement comme le texte qui requiert aussi des clefs. C’est pourquoi la Haute instance de l’Iftae s’attelle à prendre conscience du texte et du contexte pour « lire » ce texte d’une manière équilibrée et éclairée.
«Il faut ouvrir
le dialogue avec
les adeptes de la
salafiya jihadiya»
Au fil des siècles, nous avons développé dans notre pays une sorte d’islam marocain fondé sur l’ouverture et la tolérance. Diriez-vous que la chaîne de télévision Assadissa et la radio coranique Mohammed VI contribuent à ancrer cet islam ? Est-ce que ces deux nouveaux médias audiovisuels jouent leur rôle ou non ?
Je pense que ces deux médias s’efforcent de jouer ce rôle et s’en acquittent assidûment. Je pense que c’est un honneur pour ce pays de voir tous ces talents, ces femmes et ces hommes travailler avec toute cette assiduité et toute cette expertise pour répandre cet islam modéré, cet islam éclairé qui a été le nôtre depuis toujours.
Nous avons évoqué le salafisme, je veux plus précisément parler de la salafiya jihadiya, et de ceux qui s’en proclament qui ont été condamnés et certains graciés … Est-ce que vous croyez au dialogue ? Faut-il ouvrir le dialogue avec les adeptes de cet extrémisme ?
Je suis en faveur d’un tel dialogue. Ce sont des mines gisant dans les cervelles de nos fils et filles qu’il faut racler. Le dialogue reste l’outil le plus efficace et le plus efficient pour ce faire. Des espaces de dialogue existent d’une manière limitée, et le fait de les élargir pourrait aider à racler ces mines gisant dans les psychés et les intellects de nos filles et fils qui ont pris ce chemin et adopté cette orientation. Si on revient à la littérature de ces personnes, on se rend compte qu’elle met en exergue beaucoup de blessures et de souffrances qui sont réelles à travers le conflit palestino-isralélien, la guerre en Afghanistan, le conflit bosniaque, etc. Nous avons besoin d’un mouvement de réconciliation et d’équité internationale à cet égard.
Vous appelez au dialogue pour déconstruire une logique et un état d’esprit…
Une logique qui n’est pas sans force, et de laquelle il faut prendre connaissance et conscience. Le rejet total ne peut pas être la solution.
le choix d’un islam serein, équilibré et pondéré. Et cela fait 14 siècles que cela dure. Ainsi parle Ahmed Abbadi, le théologien en tenue
de ville. Cet homme de religion invite
à une lecture éclairée de la religion
musulmane mais aussi à un voyage dans les esprits
pour comprendre
les douleurs,
les frustrations, les colères. Dans le même temps, il en appelle
à l’ouverture d’un dialogue avec les adeptes de la salafiya jihadiya, pour mieux «déconstruire»
leur logique.
Entretien avec
un Alem adepte
de la modernité,
du dialogue et de la conciliation et un intellectuel qui n’a
de cesse de joindre
le texte à la raison.
Libération : La question de l’islam s’est posée d’une manière ou d’une autre dans notre pays. Il y a eu des avancées, des reculs et des excès. Quel regard portez-vous sur l’organisation du champ religieux dans notre pays à un moment où nous avions des mosquées clandestines dans des garages, une pratique souterraine de la religion qui a conduit aux attentats du 16 mai ?
Ahmed Abbadi : Avec l’avènement de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au pouvoir, il y a eu une prise de conscience et un gain en lucidité. On a donc commencé à déconstruire ce champ en utilisant des enzymes qui nous ont permis de prendre connaissance des fins détails de ce champ. L‘approche adoptée par SM le Roi dès 2002 était celle-ci ; mais le point culminant en a été le discours Royal prononcé en 2004 à Casablanca. A cette occasion, le Souverain a jeté les fondements de la nouvelle conception de ce champ religieux. On a pu percevoir que ce champ était articulé autour de cinq piliers, le pilier majeur étant la Commanderie des croyants. Ce qui signifie bien que c’est le Roi qui préside le champ religieux. Ce qui a profondément rassuré les divers acteurs de tout bord, et ce pour de multiples raisons. D’abord, parce que l’orientation religieuse du pays est entre des mains sûres. Ensuite parce que l’école sur laquelle se basait cette dynastie est claire : c’est la même école sur laquelle se sont fondées toutes les dynasties qui se sont succédé en terre marocaine. Il s’agit d’une école fondée au fil des siècles d’une manière sereine, posée et pondérée. J’entends ici la doctrine achaarie qui est équilibrée car elle joint le texte et la raison. Et c’est pour cette raison que les Marocains ont choisi cette doctrine parce que Achaari était « mouaatazili » et a donné l’importance à la raison. Mais il a vite compris que la raison à elle toute seule ne suffisait pas. Il fallait que cette raison soit appuyée par un autre règne de données. Des données contenues dans les textes et qui sont des données auxquelles on ne peut pas accéder par la simple raison. On a besoin de ce règne de données venant du Texte, c’est-à-dire le Saint Coran et la tradition ou la Sunna du Prophète.
«La doctrine
achaarie adoptée par le Maroc est un choix pondéré et équilibré parce que le texte est joint à la raison»
Est-ce que la doctrine achaarie telle que vous la décrivez a été mise en péril à cause de cet islam satellitaire arrosant le Maroc et du wahabisme rampant introduit dans le pays à travers notamment ces petits livres jaunes vendus à la sauvette ?
Avant l’islam satellitaire, il y avait de nombreuses doctrines et visions en matière de croyance qui pensaient s’infiltrer chez nous de toutes parts. Lors des décennies 1970-1980, l’impression de livres était chose banale et les douaniers ne fouinaient pas spécialement dans les titres des livres. Résultat, il y a eu beaucoup d’infiltration. La production locale n’était pas non plus des plus actives. La conséquence est évidente : nous avons été envahis. Il y a aujourd’hui cet « open sky » où les satellites pouvaient « broadcaster » des émissions de prêche de par le monde. En fait, nous sommes témoins de plusieurs sortes d’envahissement. C’est pour cela que je mets l’accent sur le fait que la « Aqida achaariya », est un choix pondéré et équilibré parce que le texte est joint à la raison.
Et la place de la salafiya dans tout cela ? Est-ce une évolution dans le temps et dans l’histoire pour ce qu’elle est devenue aujourd’hui ?
La salafiya est un concept, une nomination pouvant comprendre plusieurs interprétations. Si cela veut dire se lier aux origines, alors nous sommes tous Salafistes ! Mais ce lien doit se baser sur une compréhension bien précise. Sur le registre de la jurisprudence, la législation et le fiqh, le Maroc a fait le choix de l’école malékite. Rituellement, dans ce pays, on avait un choix bien précis et ce depuis l’avènement de Moulay Idriss 1er. Cela s’est renforcé avec Idriss II qui a reçu les juges qui, imbibés de ce rite, le répandaient avec beaucoup de maîtrise et « Amana », de justesse et de justice. Tous les juges, tous les grands noms qui se sont attachés à ce rite savaient comment l’ancrer. Ils savaient aussi et surtout faire l’équilibre entre les textes et les finalités. Un tel équilibre donnait une grande flexibilité à la pratique quotidienne des Marocains. Et justement le rite malékite est connu pour cet équilibre qui inclut les mœurs dans ses piliers majeurs. L’habitude quotidienne des citoyens doit être respectée tant qu’elle n’est pas en contradiction avec les textes ultimes.
«Ces expressions de religiosité politique ont toujours
été causées par cette tentative de mettre
en phase les deux dimensions pratique et identitaire»
Le rite malékite laisse-t-il de la place à la tolérance et en particulier à celles et ceux qui plaident pour la liberté de conscience ou un rite autre que celui malékite ? Comment se comporter face à tout cela dans le Maroc d’aujourd’hui ?
De par son ouverture et sa pondération, le rite était convaincant. On n’éprouvait donc pas le besoin d’un autre rite, celui malékite ayant laissé les marges nécessaires pour les flexibilités dont on aurait besoin dans toute société. Il est ici question de prospection. On ne peut émettre de fetwa sans se référer à une approche prospective anticipante.
Donc le Maroc n’a pas choisi un islam rigoriste. Y a-t-il de la place pour un islam de ce type chez nous?
C’était un islam équilibré et pondéré, car c’était avant tout un islam savant. Nous parlions à l’instant de finalité. Eh bien, la finalité ultime de l’islam est celle de rendre les gens heureux. Le but ultime et la finalité majeure parmi les finalités de la religion en soi c’est la joie. C’est la quintessence de la religion. Ceci n’a pas été omis par nos savants qui ont décrypté le soufisme sunnite. Ce sont de tels choix opérés de manière très précoce par notre pays qui ont fait en sorte que la société qui était la nôtre était bien stable, religieusement parlant
Et que s’est-il passé ?
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts! Circulation de livres, islam satellitaire, prosélytisme, les cause sont multiples. Au Maroc, la tradition était une tradition d’action, de parole. Nous avons d’abord été un peuple vocal. Et lorsque les choses ont changé et qu’on a été confrontés à plusieurs écrits et expressions orales et numériques, beaucoup se sont dit qu’il fallait essayer d’avoir
une place sous le soleil de la communication !
L’islam politique est-il au 21ème siècle une déviation du religieux?
Cela s’est passé à toute époque pendant les 14 siècles de l’existence de l’islam sur ce petit globe bleu qu’on appelle Terre ! Et cela a toujours existé dans les autres religions. Qui décide ? Qui décide de cette destinée ? Qui la gère ? Il y a toujours eu cette recherche atténuée par les choses de la vie, mais même atténuées, elles n’ont jamais cessé d’exister. Il y a toujours cette recherche visant à faire la jonction entre dimension identitaire et dimension pratique, la praxis via l’identitaire. Comment jeter les ponts entre toutes ces composantes ? Lorsqu’on voit sa praxis déphasée par rapport à sa dimension identitaire, on essaie de rectifier le tir. Lorsqu’on voit la dimension identitaire latente empêchant le progrès, empêchant d’exister et coexister, on essaie de rectifier le tir ! Cette quête innée d’un certain équilibre chez nous autres Homo sapiens a toujours existé. Ces expressions de religiosité politique ou de l’existence de politique religieuse ont toujours été causées par cette tentative de mettre en phase les deux dimensions pratique et identitaire.
Je vais poser la question autrement : Est-ce que politique et religion font bon ménage ou non ?
Bien sûr ! La preuve réside dans l’histoire singulière de notre pays. Cela a toujours été le cas d’une manière souple et spontanée. Les choix faits d’une manière précoce et qui se sont ancrés dans notre société ont réussi à faire l’unanimité entre élite et masse. Ce qui a assuré le cours tranquille de l’histoire religieuse de ce pays. Le premier pilier, incarné par « Imarate al mouminine » a assuré ceci. Le deuxième pilier est celui de l’administration et la gestion, autrement dit le ministère des Habous. Le troisième pilier se traduit dans la proximité. C’est le conseil supérieur des oulémas et ses 80 Conseils locaux qui gèrent cette proximité avec les citoyens. Il ne faut pas oublier la Haute instance de l’Iftae qui est présidée par SM le Roi. Le quatrième pilier a trait à la recherche et à la réflexion… Il est représenté par la Rabita Mohammadia avec ces 15 centres de recherche qui s’attellent à instruire des dossiers de manière continue et permanente. La Rabita a également ses réseaux sociaux, notamment les oulémas. Ce sont des relais qui travaillent sur le terrain et qui sont aux côtés des gens. Nous essayons d’interagir avec ces gens en formant et en bâtissant les capacités nécessaires chez nos oulémas-relais, pour pouvoir s’acquiter de cette tâche. La cinquième composante de cet édifice, ce sont enfin les zaouias et les institutions qui assurent la formation intellectuelle et scolastique religieuse.
Qui prononce l’iftae ?
Au Maroc, nous avons « Iftae » et « Irchad ». « Irchad » a trait à tout ce qui est courant et touche aux cinq piliers de l’Islam, à la pratique quotidienne de la religion, etc. Ceci est déjà écrit et instruit. Mais il y a des choses liées au contexte avec toute sa topographie et toute sa composante et que l’on doit connaître. Un contexte requiert des clefs, exactement comme le texte qui requiert aussi des clefs. C’est pourquoi la Haute instance de l’Iftae s’attelle à prendre conscience du texte et du contexte pour « lire » ce texte d’une manière équilibrée et éclairée.
«Il faut ouvrir
le dialogue avec
les adeptes de la
salafiya jihadiya»
Au fil des siècles, nous avons développé dans notre pays une sorte d’islam marocain fondé sur l’ouverture et la tolérance. Diriez-vous que la chaîne de télévision Assadissa et la radio coranique Mohammed VI contribuent à ancrer cet islam ? Est-ce que ces deux nouveaux médias audiovisuels jouent leur rôle ou non ?
Je pense que ces deux médias s’efforcent de jouer ce rôle et s’en acquittent assidûment. Je pense que c’est un honneur pour ce pays de voir tous ces talents, ces femmes et ces hommes travailler avec toute cette assiduité et toute cette expertise pour répandre cet islam modéré, cet islam éclairé qui a été le nôtre depuis toujours.
Nous avons évoqué le salafisme, je veux plus précisément parler de la salafiya jihadiya, et de ceux qui s’en proclament qui ont été condamnés et certains graciés … Est-ce que vous croyez au dialogue ? Faut-il ouvrir le dialogue avec les adeptes de cet extrémisme ?
Je suis en faveur d’un tel dialogue. Ce sont des mines gisant dans les cervelles de nos fils et filles qu’il faut racler. Le dialogue reste l’outil le plus efficace et le plus efficient pour ce faire. Des espaces de dialogue existent d’une manière limitée, et le fait de les élargir pourrait aider à racler ces mines gisant dans les psychés et les intellects de nos filles et fils qui ont pris ce chemin et adopté cette orientation. Si on revient à la littérature de ces personnes, on se rend compte qu’elle met en exergue beaucoup de blessures et de souffrances qui sont réelles à travers le conflit palestino-isralélien, la guerre en Afghanistan, le conflit bosniaque, etc. Nous avons besoin d’un mouvement de réconciliation et d’équité internationale à cet égard.
Vous appelez au dialogue pour déconstruire une logique et un état d’esprit…
Une logique qui n’est pas sans force, et de laquelle il faut prendre connaissance et conscience. Le rejet total ne peut pas être la solution.