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Une fois n’est pas coutume : la politique économique est largement évoquée et des termes de son lexique tels que dette publique, croissance, emploi, demande et offre globales font l’objet d’un usage abondant dans le discours électoral autant que dans les médias. Il est remarquable à cet égard que deux propos semblent jouir d’une faveur insigne : d’une part, l’économie marocaine est supposée tirée par la demande, et d’autre part, les politiques d’offre sont tenues pour des leviers essentiels de relance de la croissance. On ne peut que se réjouir que ces questions, considérées à tort comme fondamentalement techniques, soient abordées à travers colonnes et antennes. Hélas, de tels propos sont, à l’examen, erronés : outre que la politique économique au Maroc ne repose pas sur le soutien de la demande, les stratégies de l’offre qui sont au demeurant à l’œuvre, ne sont pas génératrices d’une dynamique vertueuse de croissance.
Le profil de la politique
économique n’est pas
celui que l’on croit
A lire des programmes électoraux, on s’aperçoit que « changer de modèle » est le maître slogan de leurs propositions économiques. Cet appel se résume à une affirmation répétée à l’envi sous une forme lapidaire : des politiques d’offre sont en mesure d’apporter des réponses opportunes et appropriées à l’accélération de la croissance. L’argument avancé à cet effet est que le modèle en vigueur, supposé fondée sur la demande interne, manifeste de visibles signes d’essoufflement. A y regarder de près, cet argument est sujet à discussion tant il procède d’une conclusion défectueuse de l’évaluation des contributions des composantes de la demande à la croissance globale. La méthode de cette évaluation consiste à déterminer, à partir de l’égalité entre l’offre et les composantes de la demande, à savoir la consommation des ménages, l’investissement, les dépenses publiques et les exportations, comment la croissance de l’activité économique provient de l’évolution de chacun de ces agrégats. La contribution de chaque composante est donnée par le produit de leur rythme de croissance et de leur poids respectif dans le PIB. De ce calcul, il découle que c’est la contribution de la consommation qui est la plus importante, tout simplement parce qu’elle pèse beaucoup dans l’évolution de l’activité. En déduire qu’elle est le moteur de la croissance et que la politique économique favorise la demande, c’est franchir un pas que n’autorise pas l’évaluation purement comptable afférente. Affirmer que le modèle de croissance est tiré par la demande revient en fait à supposer que la politique économique mise en œuvre accorde la priorité à la stimulation de la demande par le biais des dépenses publiques et du soutien à la consommation au moyen de hausse de revenus des ménages ou de baisse d’impôts. Ce n’est, à l’évidence, pas le cas. La politique budgétaire n’obéit pas, en effet, à cette orientation. Contrainte par le seuil de déficit public de 3%, elle est soumise à des règles qui imposent la maîtrise des finances publiques comme l’attestent les ajustements restrictifs opérés durant le quinquennat 2013-2016. La hausse des charges des produits subventionnés a conduit les autorités budgétaires à ouvrir une fenêtre d’opportunité en lançant la décompensation des hydrocarbures et en procédant à des coupes claires dans les dépenses d’investissement. Après avoir atteint 7, 3% en 2012, le déficit est réduit à 3,8% en 2016. Ces dispositions, qui participent d’un ralentissement de la demande, sont justifiées par un argument issu du référentiel de l’offre, selon lequel la demande d’investissement public évince, de par la hausse du taux d’intérêt qu’elle induit, la demande privée. De son côté, la politique monétaire est guidée par l’impératif de crédibilité. Elle a pour objectif primordial d’assurer la stabilité des prix et de créer des conditions favorable à une affectation efficiente des ressources par les agents et partant, à un niveau optimal de l’offre globale. En réponse à la décélération du crédit bancaire et à ses effets sur l’investissement, la production et l’emploi, Bank Al Maghrib a procédé à deux baisses successives du taux d’intérêt. Ce desserrement ne s’est pas traduit par une montée de l’offre de crédit et de la quantité de monnaie en circulation. Loin d’atténuer la réticence des banques à l’octroi du crédit, il en a durci les conditions. L’anticipation de l’insuffisance des débouchés a exacerbé les frictions financières en renforçant l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs et la perception des risques de vulnérabilité et d’insolvabilité. La politique monétaire a pâti, dans ce contexte, d’un déficit de demande globale. Dès lors, il n’y a pas de doute que la combinaison des instruments monétaires et budgétaires ne s’apparente pas à une politique active de gestion de la demande. S’agissant des plans sectoriels, ils relèvent manifestement de la logique de l’offre comme en témoignent leurs dispositifs d’incitation aux entreprises. Ainsi les programmes d’action en faveur de l’industrie ne s’inscrivent pas encore dans une politique industrielle qui mette les aides publiques au service de l’innovation, de la promotion d’activités à forte valeur ajoutée et de l’organisation de la diffusion des effets d’entraînement. De son côté, la décompensation des produits pétroliers vise à accroître le degré de concurrence sur le marché des produits et introduire plus de flexibilité sans interférer avec les conditions de la demande. En définitive, les avocats des politiques de l’offre appellent de leurs vœux des stratégies qui caractérisent précisément le profil de la gouvernance macroéconomique au Maroc. De ce fait, Ils procèdent comme Jourdain qui disait de la prose sans qu’il n'en sût rien.
Politique de l’offre
et croissance soutenue
sont incompatibles
Toute politique économique est marquée du sceau de la théorie. La politique de l’offre repose, pour sa part, sur une représentation du comportement de l’économie dont la pierre angulaire est la parfaite flexibilité des prix, des salaires et du taux d’intérêt. Selon cette représentation, le marché du travail fixe l’emploi et le salaire à un niveau tel que la pleine utilisation du travail est assurée.
Ce même niveau détermine, compte tenu des conditions techniques de production en vigueur, l’offre globale, laquelle s’impose au marché du capital où elle se répartit en épargne et investissement et par là même à la demande de consommation et d’investissement. Dans ces conditions, toute offre excédentaire de travail induit une baisse du salaire réel et accroît l’emploi. L’apparition du chômage et le déficit d’offre sont nécessairement le résultat d’obstacles à l’ajustement par les prix. Il s’ensuit que les marchés possèdent des forces stabilisantes que le décideur public doit se garder d’entraver par des interventions destinées à agir sur la demande ou à lutter contre le chômage. Pour autant, le décideur public doit assigner à la politique économique l’objectif de stabilité.
A cet effet, il doit s’attacher à mettre en place des dispositifs institutionnels en mesure de garantir la limitation du déficit budgétaire, la soutenabilité de l’endettement et la maîtrise de l’inflation. L’adoption de règles strictes dans ce domaine est tenue pour une condition sine qua non à la croissance. D’autre part, les autorités publiques doivent mettre en œuvre des réformes de structures destinées à libérer les marchés des produits, du travail et du crédit des entraves réglementaires et à renforcer la concurrence. La flexibilité est censée accroître l’efficacité de l’allocation des ressources et élever le taux de croissance potentielle.
C’est à ce référentiel que s’adosse la politique économique au Maroc. Les politiques d’offre, proférées aujourd’hui en chœur comme remède à l’insuffisance de la croissance, sont bel et bien mises en œuvre. Leurs performances contrastent avec les vertus qui leur sont prêtées. La trajectoire de l’économie marocaine durant 2012-2016 se caractérise par un fléchissement de la croissance, une décélération de la demande intérieure, une baisse continue du taux d’emploi et la persistance d’un chômage à forte proportion de jeunes. Après une croissance moyenne annuelle de 4,7 % entre 2000-2011, le produit intérieur brut enregistre une progression de 3,2%, soit 2,3 points en moins que celle ciblée par le décideur public.
A son tour, le rythme de croissance de la valeur ajoutée des secteurs non agricoles se situe à 3,4% marquant ainsi une baisse de 1,1% comparativement à la période 2000-2011. Cette performance atteste qu’il y a loin entre l’inflexion dans la trajectoire de croissance de ces secteurs envisagée par les plans d’actions du gouvernement et la réalité. La demande domestique connaît un net ralentissement suite à la décélération qu’ont connue la consommation publique et de l’investissement en 2013. Le taux d’emploi, qui désigne la part de la population active occupée dans la population en âge d’activité, accuse une baisse continue en passant de 44,1 % en 2012 à 41,7% à 20016. En 2015, l’économie nationale n’a créé que 33.000 emplois contre 129.000 postes en moyenne entre 2003 et 2014. Dans ce contexte, le taux de chômage national est passé durant le quinquennat de 9% à 10% et celui des jeunes de 33,5% à 38%. Ces évolutions tiennent aussi bien à l’essoufflement du BTP après une décennie glorieuse (2002-2011), la faible et hésitante croissance du secteur industriel qu’à l’insuffisance persistance de la demande extérieure et aux fluctuations des activités agricoles.
La réforme des marchés des produits engendre des effets à l’inverse de ceux escomptés, comme le prouve le programme de décompensation des produits pétroliers. Après le retrait des subventions, la décision des prix est devenue le fait des entreprises de distribution. A examiner l’impact de cette mesure, on s’aperçoit qu’elle n’a pas accru l’intensité de la concurrence, ni amélioré l’efficience. D’une part, les entreprises, qui étaient en position dominante dans le cadre du système des subventions, ont renforcé leur pouvoir de marché en mettant à profit l’organisation de leurs réseaux de distribution. La suppression de ce système leur donne ainsi l’avantage de fixer les prix et les marges selon leur convenance. Aussi, elles sont enclines à adopter des comportements asymétriques en répercutant les hausses des prix et non les baisses.
Dans ce contexte, le passage d’une offre administrée à une offre, censée être concurrentielle, ne bénéficie pas au consommateur. D’autre part, la décompensation se traduit par la pratique d’une marge libre en lieu et place de la marge de structure qui comprenait, outre une fraction fixe (taxe, coût de stockage, élément de marge…), une fraction proportionnelle à la cotation du produit sur le marché international. Cette pratique a conduit à un gonflement des rentes. Des calculs des deux marges mettent en évidence un écart d’une moyenne de 116 dollars la tonne. La marge libre a enregistré entre janvier et juin 2016 une hausse d’à peu près 25%, soit un surcroît de 14% par rapport à la cotation de base.
Lors de l’élection de D’Alembert en tant que secrétaire général de l’Académie française, Voltaire lui déclare : « C’est l’opinion qui gouverne le monde et c’est à vous de gouverner l’opinion ». Cette assertion, éclatante de pertinence, invite à mesurer le poids des opinions et idées dans le façonnement de la réalité et l’orientation des comportements. Par conséquent, elles ne doivent être soustraites au questionnement, même si elles font l’objet d’un large consensus, au contraire de ce que prescrit « Le négationnisme économique, comment s’en débarrasser » de Pierre Cahuc et André Zylberberg (2016). Sous cet angle, la doxa de l’offre, fortement prégnante, doit être interrogée. Les mesures qui en sont inspirées en Europe comme celles afférentes à l’austérité budgétaire, à la réforme libérale du marché du travail, à l’allégement des charges des entreprises, débouchent sur la persistance de la croissance atone, le rationnement de l’accès à l’emploi et sur le délitement de la cohésion sociale et partant sur l’accentuation du déficit démocratique. De telles leçons doivent être méditées a fortiori dans un pays où la logique de l’offre se traduit par des contre-performances en termes de croissance, d’emploi et de bien-être social.
Le profil de la politique
économique n’est pas
celui que l’on croit
A lire des programmes électoraux, on s’aperçoit que « changer de modèle » est le maître slogan de leurs propositions économiques. Cet appel se résume à une affirmation répétée à l’envi sous une forme lapidaire : des politiques d’offre sont en mesure d’apporter des réponses opportunes et appropriées à l’accélération de la croissance. L’argument avancé à cet effet est que le modèle en vigueur, supposé fondée sur la demande interne, manifeste de visibles signes d’essoufflement. A y regarder de près, cet argument est sujet à discussion tant il procède d’une conclusion défectueuse de l’évaluation des contributions des composantes de la demande à la croissance globale. La méthode de cette évaluation consiste à déterminer, à partir de l’égalité entre l’offre et les composantes de la demande, à savoir la consommation des ménages, l’investissement, les dépenses publiques et les exportations, comment la croissance de l’activité économique provient de l’évolution de chacun de ces agrégats. La contribution de chaque composante est donnée par le produit de leur rythme de croissance et de leur poids respectif dans le PIB. De ce calcul, il découle que c’est la contribution de la consommation qui est la plus importante, tout simplement parce qu’elle pèse beaucoup dans l’évolution de l’activité. En déduire qu’elle est le moteur de la croissance et que la politique économique favorise la demande, c’est franchir un pas que n’autorise pas l’évaluation purement comptable afférente. Affirmer que le modèle de croissance est tiré par la demande revient en fait à supposer que la politique économique mise en œuvre accorde la priorité à la stimulation de la demande par le biais des dépenses publiques et du soutien à la consommation au moyen de hausse de revenus des ménages ou de baisse d’impôts. Ce n’est, à l’évidence, pas le cas. La politique budgétaire n’obéit pas, en effet, à cette orientation. Contrainte par le seuil de déficit public de 3%, elle est soumise à des règles qui imposent la maîtrise des finances publiques comme l’attestent les ajustements restrictifs opérés durant le quinquennat 2013-2016. La hausse des charges des produits subventionnés a conduit les autorités budgétaires à ouvrir une fenêtre d’opportunité en lançant la décompensation des hydrocarbures et en procédant à des coupes claires dans les dépenses d’investissement. Après avoir atteint 7, 3% en 2012, le déficit est réduit à 3,8% en 2016. Ces dispositions, qui participent d’un ralentissement de la demande, sont justifiées par un argument issu du référentiel de l’offre, selon lequel la demande d’investissement public évince, de par la hausse du taux d’intérêt qu’elle induit, la demande privée. De son côté, la politique monétaire est guidée par l’impératif de crédibilité. Elle a pour objectif primordial d’assurer la stabilité des prix et de créer des conditions favorable à une affectation efficiente des ressources par les agents et partant, à un niveau optimal de l’offre globale. En réponse à la décélération du crédit bancaire et à ses effets sur l’investissement, la production et l’emploi, Bank Al Maghrib a procédé à deux baisses successives du taux d’intérêt. Ce desserrement ne s’est pas traduit par une montée de l’offre de crédit et de la quantité de monnaie en circulation. Loin d’atténuer la réticence des banques à l’octroi du crédit, il en a durci les conditions. L’anticipation de l’insuffisance des débouchés a exacerbé les frictions financières en renforçant l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs et la perception des risques de vulnérabilité et d’insolvabilité. La politique monétaire a pâti, dans ce contexte, d’un déficit de demande globale. Dès lors, il n’y a pas de doute que la combinaison des instruments monétaires et budgétaires ne s’apparente pas à une politique active de gestion de la demande. S’agissant des plans sectoriels, ils relèvent manifestement de la logique de l’offre comme en témoignent leurs dispositifs d’incitation aux entreprises. Ainsi les programmes d’action en faveur de l’industrie ne s’inscrivent pas encore dans une politique industrielle qui mette les aides publiques au service de l’innovation, de la promotion d’activités à forte valeur ajoutée et de l’organisation de la diffusion des effets d’entraînement. De son côté, la décompensation des produits pétroliers vise à accroître le degré de concurrence sur le marché des produits et introduire plus de flexibilité sans interférer avec les conditions de la demande. En définitive, les avocats des politiques de l’offre appellent de leurs vœux des stratégies qui caractérisent précisément le profil de la gouvernance macroéconomique au Maroc. De ce fait, Ils procèdent comme Jourdain qui disait de la prose sans qu’il n'en sût rien.
Politique de l’offre
et croissance soutenue
sont incompatibles
Toute politique économique est marquée du sceau de la théorie. La politique de l’offre repose, pour sa part, sur une représentation du comportement de l’économie dont la pierre angulaire est la parfaite flexibilité des prix, des salaires et du taux d’intérêt. Selon cette représentation, le marché du travail fixe l’emploi et le salaire à un niveau tel que la pleine utilisation du travail est assurée.
Ce même niveau détermine, compte tenu des conditions techniques de production en vigueur, l’offre globale, laquelle s’impose au marché du capital où elle se répartit en épargne et investissement et par là même à la demande de consommation et d’investissement. Dans ces conditions, toute offre excédentaire de travail induit une baisse du salaire réel et accroît l’emploi. L’apparition du chômage et le déficit d’offre sont nécessairement le résultat d’obstacles à l’ajustement par les prix. Il s’ensuit que les marchés possèdent des forces stabilisantes que le décideur public doit se garder d’entraver par des interventions destinées à agir sur la demande ou à lutter contre le chômage. Pour autant, le décideur public doit assigner à la politique économique l’objectif de stabilité.
A cet effet, il doit s’attacher à mettre en place des dispositifs institutionnels en mesure de garantir la limitation du déficit budgétaire, la soutenabilité de l’endettement et la maîtrise de l’inflation. L’adoption de règles strictes dans ce domaine est tenue pour une condition sine qua non à la croissance. D’autre part, les autorités publiques doivent mettre en œuvre des réformes de structures destinées à libérer les marchés des produits, du travail et du crédit des entraves réglementaires et à renforcer la concurrence. La flexibilité est censée accroître l’efficacité de l’allocation des ressources et élever le taux de croissance potentielle.
C’est à ce référentiel que s’adosse la politique économique au Maroc. Les politiques d’offre, proférées aujourd’hui en chœur comme remède à l’insuffisance de la croissance, sont bel et bien mises en œuvre. Leurs performances contrastent avec les vertus qui leur sont prêtées. La trajectoire de l’économie marocaine durant 2012-2016 se caractérise par un fléchissement de la croissance, une décélération de la demande intérieure, une baisse continue du taux d’emploi et la persistance d’un chômage à forte proportion de jeunes. Après une croissance moyenne annuelle de 4,7 % entre 2000-2011, le produit intérieur brut enregistre une progression de 3,2%, soit 2,3 points en moins que celle ciblée par le décideur public.
A son tour, le rythme de croissance de la valeur ajoutée des secteurs non agricoles se situe à 3,4% marquant ainsi une baisse de 1,1% comparativement à la période 2000-2011. Cette performance atteste qu’il y a loin entre l’inflexion dans la trajectoire de croissance de ces secteurs envisagée par les plans d’actions du gouvernement et la réalité. La demande domestique connaît un net ralentissement suite à la décélération qu’ont connue la consommation publique et de l’investissement en 2013. Le taux d’emploi, qui désigne la part de la population active occupée dans la population en âge d’activité, accuse une baisse continue en passant de 44,1 % en 2012 à 41,7% à 20016. En 2015, l’économie nationale n’a créé que 33.000 emplois contre 129.000 postes en moyenne entre 2003 et 2014. Dans ce contexte, le taux de chômage national est passé durant le quinquennat de 9% à 10% et celui des jeunes de 33,5% à 38%. Ces évolutions tiennent aussi bien à l’essoufflement du BTP après une décennie glorieuse (2002-2011), la faible et hésitante croissance du secteur industriel qu’à l’insuffisance persistance de la demande extérieure et aux fluctuations des activités agricoles.
La réforme des marchés des produits engendre des effets à l’inverse de ceux escomptés, comme le prouve le programme de décompensation des produits pétroliers. Après le retrait des subventions, la décision des prix est devenue le fait des entreprises de distribution. A examiner l’impact de cette mesure, on s’aperçoit qu’elle n’a pas accru l’intensité de la concurrence, ni amélioré l’efficience. D’une part, les entreprises, qui étaient en position dominante dans le cadre du système des subventions, ont renforcé leur pouvoir de marché en mettant à profit l’organisation de leurs réseaux de distribution. La suppression de ce système leur donne ainsi l’avantage de fixer les prix et les marges selon leur convenance. Aussi, elles sont enclines à adopter des comportements asymétriques en répercutant les hausses des prix et non les baisses.
Dans ce contexte, le passage d’une offre administrée à une offre, censée être concurrentielle, ne bénéficie pas au consommateur. D’autre part, la décompensation se traduit par la pratique d’une marge libre en lieu et place de la marge de structure qui comprenait, outre une fraction fixe (taxe, coût de stockage, élément de marge…), une fraction proportionnelle à la cotation du produit sur le marché international. Cette pratique a conduit à un gonflement des rentes. Des calculs des deux marges mettent en évidence un écart d’une moyenne de 116 dollars la tonne. La marge libre a enregistré entre janvier et juin 2016 une hausse d’à peu près 25%, soit un surcroît de 14% par rapport à la cotation de base.
Lors de l’élection de D’Alembert en tant que secrétaire général de l’Académie française, Voltaire lui déclare : « C’est l’opinion qui gouverne le monde et c’est à vous de gouverner l’opinion ». Cette assertion, éclatante de pertinence, invite à mesurer le poids des opinions et idées dans le façonnement de la réalité et l’orientation des comportements. Par conséquent, elles ne doivent être soustraites au questionnement, même si elles font l’objet d’un large consensus, au contraire de ce que prescrit « Le négationnisme économique, comment s’en débarrasser » de Pierre Cahuc et André Zylberberg (2016). Sous cet angle, la doxa de l’offre, fortement prégnante, doit être interrogée. Les mesures qui en sont inspirées en Europe comme celles afférentes à l’austérité budgétaire, à la réforme libérale du marché du travail, à l’allégement des charges des entreprises, débouchent sur la persistance de la croissance atone, le rationnement de l’accès à l’emploi et sur le délitement de la cohésion sociale et partant sur l’accentuation du déficit démocratique. De telles leçons doivent être méditées a fortiori dans un pays où la logique de l’offre se traduit par des contre-performances en termes de croissance, d’emploi et de bien-être social.