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Le Maroc connaît un contexte de mutation rapide. Le moteur de cette mutation est le peuplement : la population totale a presque triplé au cours des 40 dernières années alors que population urbaine a été multipliée par 2. Ces tendances se poursuivront au cours des prochaines décennies de même que les importants flux migratoires.
Parce qu'elles sont inévitables, l'urbanisation et les migrations doivent être considérées comme un potentiel à valoriser. Il ne s'agit pas de dire que ces phénomènes ne sont pas porteurs de tensions et de crises. Il s'agit de souligner que moins on aura accepté de s'y préparer, plus fortes seront les manifestations de ces tensions.
Le but de notre article n'est pas de montrer que «tout va bien», même si des progrès considérables ont été enregistrés au cours des dernières années, ni d'annoncer que le Maroc est sur la voie du naufrage, bien que la pauvreté augmente, la pression sur les ressources s'accentue, l'environnement se dégrade, les maladies (hépatites, tuberculose, etc.) y font un nombre croissant de victimes, sans parler des failles du système éducatif (le Maroc est classé 126e sur 177 pays), etc. Tout cela a été écrit de nombreuses fois. Aussi, il me semble intéressant de proposer la grille de lecture suivante: le Maroc est une région en mutation rapide; toute mutation entraîne des déséquilibres et des crises.
Entre 1960 et 2003, la population a été multipliée par 2,8 (passant de 11 à 30 millions d'habitants). Cette très forte croissance de la population s'est accompagnée d'un remarquable décollage de l'urbanisation ; les composantes de cette croissance, sont l’augmentation de la population urbaine, l'exode rural, le passage de certaines localités du statut rural à celui de l'urbain, et enfin l'extension des limites urbaines des localités existantes.
La population urbaine a d'ailleurs doublé en cinquante ans. Ceci laisse entendre une augmentation de sa part par rapport à l'ensemble de la population du Maroc en passant de 29,2 % en 1960 à 58 % en 2005. Ce taux d'urbanisation est plus important que la moyenne mondiale (48,3 %) mais très inférieur à la moyenne des pays industrialisés (74,5 %). La croissance démographique est beaucoup plus rapide en ville qu'à la campagne. En effet, la population urbaine est passée de 8,7 millions d'habitants en 1982 à 17,2 millions d'habitants en 2005. La population rurale qui représente 40 % (12,8 millions) constitue donc un fort réservoir de population qui, par exode rural, va encore densifier la trame urbaine.
On le voit, le Maroc est aujourd'hui, au coeur d'un processus très rapide de transformation de son peuplement. Il suit une tendance à long terme qui verra la société marocaine majoritairement urbaine et continuer à fournir d'importants contingents aux migrations intérieures. Mais, ces deux perspectives sont-elles de bonnes nouvelles?
Parce qu'elles sont inéluctables, l'urbanisation et les migrations doivent être vues comme un potentiel à valoriser. Certainement, le biais urbain est une des causes de la désarticulation des sociétés. En plus de ses effets néfastes sur la société (délinquance, individualisme, drogue...), la ville est souvent présentée comme ravageuse du milieu rural et principalement consommatrice de produits importés du marché mondial plutôt que de produits locaux. Elle serait aussi un agglomérat de pauvreté. Cependant, toutes les études montrent que la valeur ajoutée moyenne générée par un acteur du secteur informel urbain est plusieurs fois supérieure à celle d'un habitant du milieu rural. Mais la ville peut aussi jouer un rôle dans le développement agricole : celui de marché de consommation. La ville est donc l'avenir de l'agriculture.
Par ailleurs, la poursuite d'une forte croissance démographique contribuera à faire de la société marocaine une société majoritairement constituée de jeunes, quoique les études prévoient un vieillissement de la population (malgré la chute de la fécondité, le Maroc reste un pays démographiquement jeune puisque près de 55 % de la population a moins de 25 ans).
Ces tendances sont inévitables à l'horizon de 30 ans. Une société de plus en plus urbaine, de plus en plus mobile, de plus en plus jeune... Tout cela ne se passera pas sans crises et sans conflits.
On devrait donc dès aujourd'hui se poser les questions suivantes : comment gérer au mieux une urbanisation rapide ainsi que des migrations importantes vers les régions disposant de potentiels significatifs et relativement peu peuplées ? Comment accompagner et gérer au mieux une société majoritairement jeune ou majoritairement vieille ?
Rares sont ceux qui rapprochent croissance économique, création d'emplois et dynamique démographique. Les économistes, comme disait Alfred Sauvy "refusent de voir" ce lien. Pourtant, les trente glorieuses et le baby-boom sont allés de pair et la dynamique économique des Etats-Unis s'explique par l'innovation et par une meilleure santé démographique. Les pays industrialisés, qui ont le plus créé d'emplois et réduit le chômage, sont aussi ceux où la population a augmenté le plus massivement. En somme, il s'agit là d'un vieux débat qui oppose depuis deux siècles, les malthusiens et les natalistes, et qui consiste à savoir s'il est de l'intérêt d'une nation d'avoir ou non une population nombreuse (Michel Godet, 1999).
La problématique a été remise à la mode par les agences internationales, le FNUAP (Fonds des Nations Unies pour la population) en tête, qui considèrent que la première priorité des années à venir est de relever le défi démographique pour compenser l'écart entre les taux de croissance de la population et de l'économie et résorber le conflit grandissant entre les effectifs humains et les ressources nécessaires pour les faire vivre.
Les potentialités naturelles du Maroc sont capables de supporter l'augmentation possible de la population et améliorer les conditions de vie de la population existante, si les ressources disponibles sont mieux utilisées et distribuées. Le problème n'est pas celui de la production de subsistance, et la limite de la population n'est pas fixée par les moyens de subsistance ou de revenu, mais par la répartition équitable des fruits de la croissance. Plusieurs études montrent que le Maroc peut bénéficier de cette aubaine démographique qui jouerait favorablement sur la croissance économique à long terme, à condition d'être correctement absorbée par le système productif.
Malgré la chute de la fécondité, la population du Maroc continuera, elle, à s'accroître. D'après les projections du CERED (Centre d'études et de recherches démographiques), la population du Maroc sera de 35 millions en 2014 et atteindra 41,9 millions en 2030 et 50 millions en 2050, soit une croissance additionnelle de 400.000 personnes en moyenne chaque année. A ce rythme, et selon les projections du HCP (Haut commissariat au plan), la population en âge de travailler, les 18-59 ans, verra ses effectifs passer de 16,7 à 22,6 millions en 2030.
Cette croissance aura, sans doute, des incidences socio-économiques importantes surtout que les performances technologiques et économiques du Maroc sont considérées comme très médiocres. En effet, en plus des besoins de la population existante, il faut subvenir aux besoins de la population additionnelle chaque année en matière de nourriture, d'habitation, d'éducation, de santé, etc. C'est ce décalage entre la croissance démographique et le développement économique et social qui inspire les plus grandes craintes.
* Docteur en géographie, environnement, aménagement de l'espace et paysages
Université Nancy 2
Courriel : faouzi@esmamag.com
Parce qu'elles sont inévitables, l'urbanisation et les migrations doivent être considérées comme un potentiel à valoriser. Il ne s'agit pas de dire que ces phénomènes ne sont pas porteurs de tensions et de crises. Il s'agit de souligner que moins on aura accepté de s'y préparer, plus fortes seront les manifestations de ces tensions.
Le but de notre article n'est pas de montrer que «tout va bien», même si des progrès considérables ont été enregistrés au cours des dernières années, ni d'annoncer que le Maroc est sur la voie du naufrage, bien que la pauvreté augmente, la pression sur les ressources s'accentue, l'environnement se dégrade, les maladies (hépatites, tuberculose, etc.) y font un nombre croissant de victimes, sans parler des failles du système éducatif (le Maroc est classé 126e sur 177 pays), etc. Tout cela a été écrit de nombreuses fois. Aussi, il me semble intéressant de proposer la grille de lecture suivante: le Maroc est une région en mutation rapide; toute mutation entraîne des déséquilibres et des crises.
Entre 1960 et 2003, la population a été multipliée par 2,8 (passant de 11 à 30 millions d'habitants). Cette très forte croissance de la population s'est accompagnée d'un remarquable décollage de l'urbanisation ; les composantes de cette croissance, sont l’augmentation de la population urbaine, l'exode rural, le passage de certaines localités du statut rural à celui de l'urbain, et enfin l'extension des limites urbaines des localités existantes.
La population urbaine a d'ailleurs doublé en cinquante ans. Ceci laisse entendre une augmentation de sa part par rapport à l'ensemble de la population du Maroc en passant de 29,2 % en 1960 à 58 % en 2005. Ce taux d'urbanisation est plus important que la moyenne mondiale (48,3 %) mais très inférieur à la moyenne des pays industrialisés (74,5 %). La croissance démographique est beaucoup plus rapide en ville qu'à la campagne. En effet, la population urbaine est passée de 8,7 millions d'habitants en 1982 à 17,2 millions d'habitants en 2005. La population rurale qui représente 40 % (12,8 millions) constitue donc un fort réservoir de population qui, par exode rural, va encore densifier la trame urbaine.
On le voit, le Maroc est aujourd'hui, au coeur d'un processus très rapide de transformation de son peuplement. Il suit une tendance à long terme qui verra la société marocaine majoritairement urbaine et continuer à fournir d'importants contingents aux migrations intérieures. Mais, ces deux perspectives sont-elles de bonnes nouvelles?
Parce qu'elles sont inéluctables, l'urbanisation et les migrations doivent être vues comme un potentiel à valoriser. Certainement, le biais urbain est une des causes de la désarticulation des sociétés. En plus de ses effets néfastes sur la société (délinquance, individualisme, drogue...), la ville est souvent présentée comme ravageuse du milieu rural et principalement consommatrice de produits importés du marché mondial plutôt que de produits locaux. Elle serait aussi un agglomérat de pauvreté. Cependant, toutes les études montrent que la valeur ajoutée moyenne générée par un acteur du secteur informel urbain est plusieurs fois supérieure à celle d'un habitant du milieu rural. Mais la ville peut aussi jouer un rôle dans le développement agricole : celui de marché de consommation. La ville est donc l'avenir de l'agriculture.
Par ailleurs, la poursuite d'une forte croissance démographique contribuera à faire de la société marocaine une société majoritairement constituée de jeunes, quoique les études prévoient un vieillissement de la population (malgré la chute de la fécondité, le Maroc reste un pays démographiquement jeune puisque près de 55 % de la population a moins de 25 ans).
Ces tendances sont inévitables à l'horizon de 30 ans. Une société de plus en plus urbaine, de plus en plus mobile, de plus en plus jeune... Tout cela ne se passera pas sans crises et sans conflits.
On devrait donc dès aujourd'hui se poser les questions suivantes : comment gérer au mieux une urbanisation rapide ainsi que des migrations importantes vers les régions disposant de potentiels significatifs et relativement peu peuplées ? Comment accompagner et gérer au mieux une société majoritairement jeune ou majoritairement vieille ?
Rares sont ceux qui rapprochent croissance économique, création d'emplois et dynamique démographique. Les économistes, comme disait Alfred Sauvy "refusent de voir" ce lien. Pourtant, les trente glorieuses et le baby-boom sont allés de pair et la dynamique économique des Etats-Unis s'explique par l'innovation et par une meilleure santé démographique. Les pays industrialisés, qui ont le plus créé d'emplois et réduit le chômage, sont aussi ceux où la population a augmenté le plus massivement. En somme, il s'agit là d'un vieux débat qui oppose depuis deux siècles, les malthusiens et les natalistes, et qui consiste à savoir s'il est de l'intérêt d'une nation d'avoir ou non une population nombreuse (Michel Godet, 1999).
La problématique a été remise à la mode par les agences internationales, le FNUAP (Fonds des Nations Unies pour la population) en tête, qui considèrent que la première priorité des années à venir est de relever le défi démographique pour compenser l'écart entre les taux de croissance de la population et de l'économie et résorber le conflit grandissant entre les effectifs humains et les ressources nécessaires pour les faire vivre.
Les potentialités naturelles du Maroc sont capables de supporter l'augmentation possible de la population et améliorer les conditions de vie de la population existante, si les ressources disponibles sont mieux utilisées et distribuées. Le problème n'est pas celui de la production de subsistance, et la limite de la population n'est pas fixée par les moyens de subsistance ou de revenu, mais par la répartition équitable des fruits de la croissance. Plusieurs études montrent que le Maroc peut bénéficier de cette aubaine démographique qui jouerait favorablement sur la croissance économique à long terme, à condition d'être correctement absorbée par le système productif.
Malgré la chute de la fécondité, la population du Maroc continuera, elle, à s'accroître. D'après les projections du CERED (Centre d'études et de recherches démographiques), la population du Maroc sera de 35 millions en 2014 et atteindra 41,9 millions en 2030 et 50 millions en 2050, soit une croissance additionnelle de 400.000 personnes en moyenne chaque année. A ce rythme, et selon les projections du HCP (Haut commissariat au plan), la population en âge de travailler, les 18-59 ans, verra ses effectifs passer de 16,7 à 22,6 millions en 2030.
Cette croissance aura, sans doute, des incidences socio-économiques importantes surtout que les performances technologiques et économiques du Maroc sont considérées comme très médiocres. En effet, en plus des besoins de la population existante, il faut subvenir aux besoins de la population additionnelle chaque année en matière de nourriture, d'habitation, d'éducation, de santé, etc. C'est ce décalage entre la croissance démographique et le développement économique et social qui inspire les plus grandes craintes.
* Docteur en géographie, environnement, aménagement de l'espace et paysages
Université Nancy 2
Courriel : faouzi@esmamag.com