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embarqué à Sabrata, en Libye, à bord de deux bateaux de pêche et d’un canot pneumatique.
plus de 200 d’entre elles sont mortes et 100 portées disparues.
Décryptage d’un drame qui a mis le pays en émoi.
Leur tragédie a fait le tour de toutes les chaines de TV et les unes des journaux et des sites d’information. Des millions de personnes de par le monde ont assisté en direct au naufrage de leur bateau au large des côtes italiennes. Ils ont été environ 1.100 personnes de diverses nationalités dont une grande majorité de Marocains à avoir embarqué à Sabrata, à bord de deux bateaux de pêche et d’un canot pneumatique. Le nombre exact des victimes reste inconnu mais on parle de près de 500 personnes mortes et d’une centaine de portés disparus.
Les malchanceux
Ils sont partis sans laisser de traces. Seules quelques photos sur facebook et des conversations sur whatsapp rappellent qu’ils ont été parmi nous. Ils s’appellent Ayoub, Ahmed, Said, Khalid, Moustapha… Tous ont péri un certain 27 mai après le naufrage de leur bateau à quelques encablures des côtes italiennes.
Les plus malchanceux sont ceux qui ont tant lutté contre la mort mais sans arriver à y échapper. Les rescapés du drame racontent les scènes macabres de plusieurs jeunes qui, happés par les flots, tentaient, tant bien que mal, de garder la tête hors de l’eau. Ils se rappellent également les moments de panique au cours desquels tout le monde tentait de sauver sa peau au détriment de celle des autres.
Leurs histoires sont presque identiques et leurs parcours aussi. Ils sont tous jeunes issus de familles modestes installées à Béni Mellal, Casablanca, Fqih Bensalah, Kalaat Serghana, Sebt… Certains d’entres eux étaient étudiants, ouvriers, ex-MRE ou chômeurs.
Said fait partie des personnes portées disparues. Son ami d’enfance, Najib raconte l’histoire d’un jeune Casablancais de 32 ans issu du quartier de Sidi Moumen, préalablement installé en Libye avant de rentrer au Maroc pour réinvestir l’argent qu’il a durement épargné en exerçant le métier de soudeur. « Il est retourné au Maroc avec l’espoir de créer sa propos entreprise mais les choses ont vite mal tourné et il a ainsi décidé de retourner en Libye avec l’espoir de pouvoir traverser vers l’Italie. La période a été propice. La situation calme de la mer durant les mois de mai et juin encourageait les passeurs à sortir leurs braques et à tenter de joindre l’Europe », témoigne Najib. Et de poursuivre : « Le jour J, il a contacté son frère sur whatsapp et lui a fixé rendez-vous sur les côtes italiennes. Mais, il n’a donné aucun signe de vie depuis. On a appelé le passeur qui nous a assuré que cinq Bangladeshis seulement sont décédés. Des mensonges qui ne vont pas tenir si longtemps puisque l’un de ses compagnons de route nous a confirmé sa mort après avoir essayé de lutter contre les éléments déchainés. En effet, Said ne sait pas nager ».
Mustapha, étudiant, 21 ans, de Fkih Bensalah a péri également dans le naufrage. Pour sa famille, tout s’est passé comme dans un rêve. Son père, sa mère et ses frères et sœurs ont le sentiment qu’on leur a volé leur fils d’entre les mains. « C’est lui seul qui a pris la décision de partir et pris contact avec un passeur, se rappelle un membre de sa famille. On a appris par la suite qu’il a été séquestré par des passeurs en Libye pendant quatre mois avant de prendre le large et de périr ».
Abdelmalk, 26 ans, pompiste de son vivant et originaire de Béni Mellal, est lui aussi parti un certain jour de mai dernier vers la Turquie avant de revenir vers la Libye. Son corps demeure introuvable. Son frère venu spécialement d’Espagne pour le chercher ne l’a trouvé ni parmi les rescapés ni parmi les dépouilles rejetées par la mer.
La Libye, une nouvelle
plaque tournante de
la migration irrégulière
Tous ont choisi la Libye devenue il y a deux ou trois ans la destination privilégiée des migrants cherchant à entrer dans l’espace Schengen. Notamment après le renforcement des contrôles à la frontière gréco-turque. La Libye est également sollicitée puisqu’elle est le point le plus proche pour accéder à l’Italie où une forte communauté marocaine native de Béni Mellal, Kaalat Sraghna, Khouribga est installée. Ceci d’autant plus que le voyage vers l’Europe via la Libye coûte moins cher. Il est aux alentours de 20.000 DH, moins cher que l’achat d’un contrat de travail dans un pays européen. Un réseau de passeurs s’active librement dans la région. Ils s’occupent de la médiation et de la coordination avec les réseaux libyens ainsi que de l’envoi des jeunes candidats à l’immigration. « Ces réseaux s’activent au vu et au su de tout le monde et ont un accès direct aux jeunes. Même après le naufrage, rien ne semble changer et aucun de ces passeurs n’a été poursuivi», nous a révélé Sakaoui Mohamed Jama, président de la Coalition Karama des droits de l’Homme (CKDH), section de Béni Mellal. Et d’ajouter : « La responsabilité des passeurs est évidente. La route vers la Libye passe aujourd’hui par l’Algérie, la Tunisie ou la Turquie et ce sont eux qui font le sale bulot ».
L’Organisation internationale de la migration (OIM) a identifié dans un récent rapport 234.699 migrants dans le pays pour plusieurs raisons (travail, transit, migration forcée…). Les hommes représentent 89% de la population migrante et les principaux pays d'origine sont le Niger, l'Egypte, le Ghana et le Mali.
L’OIM a enregistré entre le 30 mars et le 1er mai 2016 plus de 14 incidents maritimes sur la route centrale méditerranéenne liant la Libye à l'Italie. Quelque 1.580 personnes ont été sauvées, tandis que 753 sont portées disparues ou présumées noyées.
Le rapport a révélé, par ailleurs, que les migrants y compris les demandeurs d'asile en Libye continuent de faire l’objet de marginalisation, de discrimination et d'exploitation. Seulement 35% de ces migrants, souligne le document de l’OIM, vivent actuellement dans des logements privés, tandis que les autres sont hébergés dans les places de marché, les points de transport ou dans des bâtiments inachevés. A noter également que 4% des migrants sont incarcérés dans des centres de détention.
Le deuil impossible
Aujourd’hui, Ayoub, Ahmed, Said, Khalid, Mustapha et les autres sont partis mais ils ont laissé derrière eux une souffrance que rien ne pourra apaiser, une béance que rien ne peut combler. Leurs familles ont encore du mal à faire leur deuil. Les dépouilles des défunts gisent toujours quelque part en Méditerranée ou dans les morgues des hôpitaux italiens en attente d’une éventuelle identification. Un deuil des plus durs à faire puisqu’aucune information ne filtre sur le nombre de morts, des portés disparus et des rescapés. Beaucoup de familles vivent encore dans un doute difficile à supporter et amplifié par le silence des autorités marocaines. En fait, ni l’ambassade du Maroc en Italie, ni le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration, encore moins le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération n’ont jugé utile d’établir de contact avec ces familles.
«Personne ne nous a contactés», semble la phrase que toutes ces familles répètent à l’envi. Ces dernières ont été appelées à rechercher elles-mêmes et par leurs propres moyens les corps de leurs fils décédés. « Un membre de ma famille résidant en Italie s’est déplacé sur les lieux du naufrage et c’est lui qui nous a confirmé sa mort », lance le frère de l’un des défunts. « Nous avons pris contact avec des associations italiennes qui ont procédé à la diffusion des photos des portés disparus sur facebook et on attend toujours la mauvaise ou la bonne nouvelle», raconte un voisin. « On a eu un seul contact de la part de la Croissant Rouge marocain à Nador pour identifier une personne supposée être mon fils mais il s’est avéré que ce n’était pas le cas. Depuis, personne ne m’a contacté», témoigne un père.
Des propos qui remettent en cause le discours d’Anis Birou, ministre des Marocains résidant à l’étranger et les Affaires de la migration, qui a indiqué lors de la séance des questions orales du 7 juin dernier au Parlement que les services consulaires marocains poursuivent de près ce dossier et que des contacts ont été établis avec ces familles.
« Les 43 familles recensées par notre association ont toutes affirmé qu’elles n’ont pas vu l’ombre d’un seul officiel et n’avaient eu aucun contact même téléphonique avec quiconque d’entre eux», nous a précisé Sakaoui Mohamed Jama. Et de poursuivre : « Pis, le consul marocain à Palerme a refusé, selon la Coordination internationale de la dignité et le droit à une citoyenneté complète pour les Marocains de l’étranger (section d’Italie), d’assister ces familles dans leur détresse en justifiant cela par le fait qu’il n’avait pas les moyens nécessaires et qu’il ne pouvait nullement intervenir sans avoir reçu les instructions de Rabat. Ce qui en dit long sur les propos tenus par le ministre sous la Coupole alors que ces familles ne demandent pas la lune. Elles veulent tout simplement être informées sur le sort des portés-disparus et sur le rapatriement des cadavres des personnes décédées».
Ces familles ont aujourd’hui le sentiment d’être des laissés-pour-compte, des citoyen de seconde zone. Pourtant, elles ne sont pas les seules puisque ce n’est pas la première fois ni la dernière que nos responsables ne bougent pas le petit doigt pour assister ou soutenir des Marocains en détresse. La situation critique de nos jeunes arrêtés et incarcérés dans les prisons turques ou grecques et de ceux qui sont morts sur les routes de l’exil ou portés disparus en dit long.